Trois fois, l’Hexagone en a fait l’expérience. À
chaque vague dévastatrice de Covid-19, la France acculée
finissait par abattre sa dernière carte, celle d’un confinement obligeant
chacun à se retrancher, dans son foyer, loin les uns des autres. D’habitude,
avec 50 nouveaux cas pour 100 000 habitants enregistrés sur une semaine, le
gouvernement fronce des sourcils, à 150, il s’inquiète, à 250, il déclenche
l’alerte maximale, signe de l’urgence à agir. Or, la flambée épidémique
actuelle ne joue plus dans la même cour, comme le montrent les chiffres
vertigineux : ils sont 56 fois plus élevés que le premier seuil d’alerte, avec
un taux d’incidence jamais vu à 2800.
La France a-t-elle changé de stratégie, laissant filer
le virus ? « Cela fait déjà un moment que c’est le cas, acquiesce Éric Billy,
chercheur en immuno-oncologie. Pour le virus, c’est open bar. » Selon ce
chercheur, le gouvernement a fait le « pari » d’attendre que la vague passe. «
Les autorités ne sont pas entièrement responsables, elles peinent à mobiliser
sur les gestes barrière et le télétravail, même s’il n’y a pas non plus une
volonté manifeste de reprendre le contrôle du virus, l’idée est plutôt
d’accompagner un mouvement épidémique. »
« Je ne sais pas si c’est conscient ou non de la part
du gouvernement, interroge Mahmoud ZUREIK, qui fait le même constat. Les
mesures prises sont vraiment timides. On parle de l’épidémie comme s’il n’y
avait de toute façon plus rien à faire, abonde cet épidémiologiste. C’est assez
paradoxal. »
Ce mercredi 12 janvier, sur France-Info, le ministre
de la Santé, Olivier VÉRAN, a contré
cette idée : « On ne cherche pas à laisser circuler le variant (…),
on le freine avec efficacité », s’est-il défendu, en faisant référence à la
limitation des rassemblements, à la mise en place du télétravail obligatoire et
au passe vaccinal censé
entrer en vigueur la semaine prochaine.
Mais il l’admet : « Le variant Omicron est amené à
circuler à travers la planète, cela signifie que les pays qui ont aujourd’hui
mis en place un confinement, seront traversés par Omicron, une fois déconfinés.
Les mesures traditionnelles n’ont pas véritablement d’impact sur un variant
aussi contagieux. »
En dehors des contaminations, le gouvernement regarde
plus que tout, la montée des eaux à l’hôpital, le baromètre de l’épidémie. Si
la vaccination permet d’atténuer nettement le nombre de malades graves, la pression s’accentue, avec 24 000
personnes hospitalisées, dont 4000 en réanimation. «
L’impact est déjà important », juge l’infectiologue Karine Lacombe alors que le
pic est attendu, selon elle, autour du « 20 au 25 janvier ».
Autre différence, pouvant expliquer l’absence de
restrictions drastiques, Omicron paraît moins
dangereux que son cousin Delta et infecterait moins
les poumons. « Mais avec un grand nombre d’infections, il y aura plus
d’hospitalisations, c’est mathématique », met en garde Éric Billy. Selon différents scénarios de l’Institut
Pasteur, jusqu’à 5 200 personnes pourraient être
hospitalisées chaque jour si la trajectoire actuelle ne s’infléchit pas ; ce
chiffre chuterait à 3 600 — soit le niveau du premier pic de 2020 — si les
Français réduisent leurs contacts de 10 % et à 2 500 pour 20 %.
« La réduction des contacts est essentielle »
Tous les experts interrogés sont du même avis : même
si elle est indispensable, la France a trop misé sur la vaccination. «
Aujourd’hui, on en paye les pots cassés, juge Éric Billy. Il faut répéter que
l’aération est primordiale. À l’école, on ne parle des capteurs de C02 que
depuis septembre alors que l’on sait depuis longtemps que le virus se transmet
par aérosols ». « Des mesures sont prises, mais elles sont mal appliquées,
comme le télétravail. Or, la réduction des contacts est essentielle ».
Mais voilà, les Français sont épuisés par des mois de
restrictions. Et « il ne faut pas se cacher, on est aussi en pleine période
électorale, cela compte dans la prise de décisions », rappelle Mahmoud ZUREIK,
jugeant, comme ses confrères, qu’il n’est jamais bon de filer une épidémie
alors que l’état des connaissances sur Omicron reste parcellaire. « La sagesse,
c’est la prudence. Ce n’est pas de se baser sur des hypothèses optimistes mais
de se préparer au pire. »
Aurait-il fallu serrer la vis ? Pour
l’épidémiologiste, il faut à tout prix limiter le brassage de la population,
surtout dans les lieux où l’on se contamine le plus. « Dans les restaurants et
les bars, on pourrait mettre en place des jauges, un couvre-feu, voire prendre
des mesures plus extrêmes comme décréter leur fermeture. » Selon lui, sans ces
restrictions, le système hospitalier pourrait, malgré tout, résister. Une fois
de plus. « Mais le prix à payer serait très élevé. »
"Laisser le virus
circuler, c'est jouer avec le feu", alerte Yves Buisson. "Ce variant Omicron donne beaucoup moins de formes graves que
le Delta. Mais, comme il se multiplie plus vite, on aura toujours des entrées
en réanimation. C'est un risque qu'il ne faut pas prendre." L'épidémiologiste fait
également remarquer que le début de l'épidémie de grippe annuelle "fait rentrer tous les ans des centaines
de patients en réanimation". Selon lui, "si on abandonne toutes les mesures
barrières maintenant, on va voir des dégâts."
Pour Emmanuel RUSCH, la question
de favoriser la circulation du variant Omicron doit se peser sur la balance "bénéfice-risque". "Le constat, c'est que le virus circule
largement aujourd'hui. Il n'en reste pas moins que tenter de limiter sa
circulation permet d'étaler la surcharge pour les établissements de santé. Relâcher
toutes les mesures entraînerait une tension supplémentaire pour eux." Or
la France compte, au 13 janvier, 24 000 personnes hospitalisées, dont 3 985 en soins critiques.
Selon les
dernières modélisations de l'Institut Pasteur , arrêtées au 7 janvier, "dans tous les scénarios, le pic des admissions à l'hôpital
est attendu dans la deuxième moitié de janvier, avec un impact maximal sur l'occupation des
lits fin janvier-courant février." Dans les
scénarios jugés les plus probables par les modélisateurs et selon le taux de
transmission du virus, il y aurait de 2 500 à
3 600 hospitalisations par jour en moyenne au pic de cette vague.
Pour y faire face, l'hôpital aurait alors besoin de 17 000 à 23 000
lits d'hospitalisation conventionnelle et de 3 900 à 4 700 lits de
soins critiques.