dimanche 23 janvier 2022

Gouvernance ?



Pourquoi la gouvernance sert-elle de label à toutes les effervescences d’aujourd’hui ? La crise financière et monétaire fait rêver d’une nécessaire gouvernance des marchés. De nouveaux instruments de gouvernance sont invoqués à tous les sommets mondiaux, même dans les enceintes du FMI et de l’OCDE. Par ailleurs, sur un registre très différent, l’appel à une gouvernance plus démocratique résonne tout aussi fort. Car la crise financière est devenue une crise sociale et politique. Des altermondialistes s’enflamment contre les bourses et ils veulent expérimenter une gouvernance « participative » avec des délibérations à la base.

Pour démêler ces usages ambigus, il faut revenir sur les incertitudes de la fin des années 90. Fin de la guerre froide, remise en cause des États nations, nouveaux flux financiers internationaux. En contrepoint, va naître l’idée de gouvernance. Dans divers mondes, l’entreprise, l’administration, les associations, on recourt désormais à ce terme si « sympathique », en l’associant à des objectifs nouveaux de coopération, de coordination, de coproduction…Tout cela pour, d’un côté, plus de démocratie et, de l’autre plus de management. Mais est-ce compatible ?

La gouvernance apparaît comme un Janus aux deux faces contradictoires. D’une part, une gestion normative qui prescrit ; de l’autre l’ouverture démocratique qui fait rêver. C’est le grand écart. Du coup, la gouvernance ne serait-elle qu’une incantation, voire une manipulation ? Ce terme « caressant » de gouvernance en effet adoucit  et euphémise celui de gouvernement, il suggère une approche moins autoritaire, plus négociée. Dans le même temps, il appelle à la vigilance sur les enjeux de la gouvernance, à un approfondissement des contextes, à une mise à distance critique. Au milieu des engouements modernistes et des usages quasi aveugles de ce vocabulaire de l’action, il convient de rester lucide. Vingt ans, après le début de la circulation de cette notion, on commence à mieux voir ce que recouvre l’idée de gouvernance. Son appel à la flexibilité, c’est surtout la sous-traitance au privé. Son souci d’efficacité, c’est la mise en concurrence comptable. Oui, mais n’est-ce que cela ? À une certaine conférence Rio+20, on réclamait « une nouvelle gouvernance du développement durable », qui serait nourrie par une forte participation des citoyens. Il y a quelques années, on célébrait une gouvernance de troisième voie, entre  capitalisme et  socialisme. Et est-ce seulement une gouvernance de l’austérité dans le cadre du traité européen de stabilité ?

Comment peut-on critiquer quelque chose d’aussi légitime que l’efficacité, objecte-t-on ! Tout dépend de la définition…Dans le monde de la gouvernance, tout montre qu’il s’agit d’une quête d’efficience, qui renvoie au « résultat » chiffré, indexé sur un coût financier. Les principes politiques s’effacent ainsi derrière la gestion comptable. Avec la gouvernance, c’est à une prospective de l’action publique que nous sommes en définitive conduits. Irons-nous vers une sorte de « post démocratie », où la délibération parlementaire s’effacera derrière une gouvernance gestionnaire sans politique ? Avec  un recul qu’offre le temps beaucoup d’analyses sont désormais moins naïves qu’il y a une dizaine d’années. Mais pourquoi la gouvernance reste-t-elle pour beaucoup un si judicieux mot valise ?

La gouvernance cherche aujourd’hui à combler le vide qu’a produit la fin des grands récits politiques des XIXème et XXème siècles, libéralisme, capitalisme, socialisme et communisme. Cela reste pourtant un projet au petit pied, car pour masquer les contradictions qui la traversent, la gouvernance ne peut mettre en avant qu’un assemblage de compromis fragmentés et de micro-consensus, sans volonté d’ensemble. Si elle n’ose plus désigner une rupture radicale avec l’idée de gouvernement, la gouvernance habille un vaste ensemble de coopérations, supposées plus flexibles et moins pyramidales qu’autrefois. Mais cela n’explique rien, tant qu’on n’analyse pas le double visage, libéral normatif et social, participatif, de la gouvernance moderne. Il convient de prendre la mesure de l’écho global de l’idée de gouvernance, que ce soit dans les pays riches ou pauvres, démocratiques ou bien autoritaires. Pourquoi donc un tel succès ?

Cet engouement laisse voir qu’au-delà d’une grande dispersion dans les orientations, les préceptes de gouvernance sont marqués par deux orientations qui se contredisent, la participation citoyenne égalitaire et la concurrence de marché. C’est une ambiguïté qui fait paradoxalement le succès de la gouvernance. Par-delà les brouillages actuels, on peut juger de l’avenir de cette pâle utopie du XXIème siècle, où les débats sur la volonté politique sont censés s’effacer derrière des optimisations comptables.

 

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