vendredi 14 janvier 2022

 


Trois fois, l’Hexagone en a fait l’expérience. À chaque vague dévastatrice de Covid-19, la France acculée finissait par abattre sa dernière carte, celle d’un confinement obligeant chacun à se retrancher, dans son foyer, loin les uns des autres. D’habitude, avec 50 nouveaux cas pour 100 000 habitants enregistrés sur une semaine, le gouvernement fronce des sourcils, à 150, il s’inquiète, à 250, il déclenche l’alerte maximale, signe de l’urgence à agir. Or, la flambée épidémique actuelle ne joue plus dans la même cour, comme le montrent les chiffres vertigineux : ils sont 56 fois plus élevés que le premier seuil d’alerte, avec un taux d’incidence jamais vu à 2800.

La France a-t-elle changé de stratégie, laissant filer le virus ? « Cela fait déjà un moment que c’est le cas, acquiesce Éric Billy, chercheur en immuno-oncologie. Pour le virus, c’est open bar. » Selon ce chercheur, le gouvernement a fait le « pari » d’attendre que la vague passe. « Les autorités ne sont pas entièrement responsables, elles peinent à mobiliser sur les gestes barrière et le télétravail, même s’il n’y a pas non plus une volonté manifeste de reprendre le contrôle du virus, l’idée est plutôt d’accompagner un mouvement épidémique. »

« Je ne sais pas si c’est conscient ou non de la part du gouvernement, interroge Mahmoud ZUREIK, qui fait le même constat. Les mesures prises sont vraiment timides. On parle de l’épidémie comme s’il n’y avait de toute façon plus rien à faire, abonde cet épidémiologiste. C’est assez paradoxal. »

Ce mercredi 12 janvier, sur France-Info, le ministre de la Santé, Olivier VÉRAN,  a contré cette idée : « On ne cherche pas à laisser circuler le variant (…), on le freine avec efficacité », s’est-il défendu, en faisant référence à la limitation des rassemblements, à la mise en place du télétravail obligatoire et au passe vaccinal censé entrer en vigueur la semaine prochaine.

Mais il l’admet : « Le variant Omicron est amené à circuler à travers la planète, cela signifie que les pays qui ont aujourd’hui mis en place un confinement, seront traversés par Omicron, une fois déconfinés. Les mesures traditionnelles n’ont pas véritablement d’impact sur un variant aussi contagieux. »

En dehors des contaminations, le gouvernement regarde plus que tout, la montée des eaux à l’hôpital, le baromètre de l’épidémie. Si la vaccination permet d’atténuer nettement le nombre de malades graves, la pression s’accentue, avec 24 000 personnes hospitalisées, dont 4000 en réanimation. « L’impact est déjà important », juge l’infectiologue Karine Lacombe alors que le pic est attendu, selon elle, autour du « 20 au 25 janvier ».

Autre différence, pouvant expliquer l’absence de restrictions drastiques, Omicron paraît moins dangereux que son cousin Delta et infecterait moins les poumons. « Mais avec un grand nombre d’infections, il y aura plus d’hospitalisations, c’est mathématique », met en garde Éric Billy. Selon différents scénarios de l’Institut Pasteur, jusqu’à 5 200 personnes pourraient être hospitalisées chaque jour si la trajectoire actuelle ne s’infléchit pas ; ce chiffre chuterait à 3 600 — soit le niveau du premier pic de 2020 — si les Français réduisent leurs contacts de 10 % et à 2 500 pour 20 %.

« La réduction des contacts est essentielle »

Tous les experts interrogés sont du même avis : même si elle est indispensable, la France a trop misé sur la vaccination. « Aujourd’hui, on en paye les pots cassés, juge Éric Billy. Il faut répéter que l’aération est primordiale. À l’école, on ne parle des capteurs de C02 que depuis septembre alors que l’on sait depuis longtemps que le virus se transmet par aérosols ». « Des mesures sont prises, mais elles sont mal appliquées, comme le télétravail. Or, la réduction des contacts est essentielle ».

Mais voilà, les Français sont épuisés par des mois de restrictions. Et « il ne faut pas se cacher, on est aussi en pleine période électorale, cela compte dans la prise de décisions », rappelle Mahmoud ZUREIK, jugeant, comme ses confrères, qu’il n’est jamais bon de filer une épidémie alors que l’état des connaissances sur Omicron reste parcellaire. « La sagesse, c’est la prudence. Ce n’est pas de se baser sur des hypothèses optimistes mais de se préparer au pire. »

Aurait-il fallu serrer la vis ? Pour l’épidémiologiste, il faut à tout prix limiter le brassage de la population, surtout dans les lieux où l’on se contamine le plus. « Dans les restaurants et les bars, on pourrait mettre en place des jauges, un couvre-feu, voire prendre des mesures plus extrêmes comme décréter leur fermeture. » Selon lui, sans ces restrictions, le système hospitalier pourrait, malgré tout, résister. Une fois de plus. « Mais le prix à payer serait très élevé. »

"Laisser le virus circuler, c'est jouer avec le feu", alerte Yves Buisson. "Ce variant Omicron donne beaucoup moins de formes graves que le Delta. Mais, comme il se multiplie plus vite, on aura toujours des entrées en réanimation. C'est un risque qu'il ne faut pas prendre." L'épidémiologiste fait également remarquer que le début de l'épidémie de grippe annuelle "fait rentrer tous les ans des centaines de patients en réanimation". Selon lui, "si on abandonne toutes les mesures barrières maintenant, on va voir des dégâts."

Pour Emmanuel RUSCH, la question de favoriser la circulation du variant Omicron doit se peser sur la balance "bénéfice-risque""Le constat, c'est que le virus circule largement aujourd'hui. Il n'en reste pas moins que tenter de limiter sa circulation permet d'étaler la surcharge pour les établissements de santé. Relâcher toutes les mesures entraînerait une tension supplémentaire pour eux." Or la France compte, au 13 janvier, 24 000 personnes hospitalisées, dont 3985 en soins critiques.


Selon les dernières modélisations de l'Institut Pasteur , arrêtées au 7 janvier, "dans tous les scénarios, le pic des admissions à l'hôpital est attendu dans la deuxième moitié de janvier, avec un impact maximal sur l'occupation des lits fin janvier-courant février." Dans les scénarios jugés les plus probables par les modélisateurs et selon le taux de transmission du virus, il y aurait de 2 500 à 3 600 hospitalisations par jour en moyenne au pic de cette vague. Pour y faire face, l'hôpital aurait alors besoin de 17 000 à 23 000 lits d'hospitalisation conventionnelle et de 3 900 à 4 700 lits de soins critiques.

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Je garderai de vous, compagnons de misère, au blanc de mes jardins la noirceur de vos pas, des rides de douleur sur une eau qui fut claire...