mardi 31 décembre 2024

Nouvelle : « Les larmes d’une jeune fille »



A la fenêtre du bus, une jeune fille assise. Elle a la tête contre la vitre, les yeux perdus dans le défilement de la ville. Les lumières s’étirent en longues traînées brillantes le long des gouttes de pluie. Elle a les cheveux lâchés, du maquillage noir sur les paupières, cela lui donne l’air méchant. L’air farouche. Elle pleure doucement. Pas de sanglots, juste des larmes qui coulent le long de ses joues et emportent à la fois le maquillage. Elle a l’air d’une poupée cassée, un jouet qu’on a jeté dans un coin quand on s’en est lassé. Elle porte un blouson de cuir et un pull à capuche, un vieux jeans et des baskets en toile. Ses mains jointes sur ses genoux, gantées de mitaines rayées noir et blanc, parfois se serrent une seconde. Puis se relâchent. Une vieille femme lui demande si ça va bien. Elle est assise de l’autre côté du bus. Elle hoche la tête, ne dit rien. Puis repose son front contre la vitre. Elle a cessé de pleurer. Appuyée sur le dossier de son siège, les épaules basses, elle ferme les yeux. On dirait qu’elle a épuisé toute l’énergie qui lui restait dans ces grosses larmes qui s’épongent en deux taches rouges sur ses pommettes. Le contraste entre la pâleur de son visage et ces reflets écarlates la fait ressembler à un reflet de personne vivant, à un fantôme égaré. Sa poitrine se soulève doucement au rythme de sa respiration. Elle a sûrement une histoire. Une de ces histoires qui brisent les gens et laissent de longs silences gênants quand on a fini de les raconter. Une histoire froide et brillante comme les larmes qu’elle a versées. Une histoire triste et lourde comme la pluie qui tombe sur le toit du bus. Une histoire qu’on n’écrit pas, qu’on ne chante pas. Une histoire qu’on laisse s’enfuir sous les roues du bus. Une histoire qu’elle a voulu faire disparaitre à travers les longues trainées brillantes de la ville. Mais tous les trajets de bus finissent par avoir une fin, et elle se lève pour descendre. Elle trébuche un peu au moment de descendre les marches. Dehors, la pluie qui tombe sur ses cheveux coule le long de ses joues en fins sillons luisants. Son jeans se marbre de taches foncées et elle reste là, les yeux grands ouverts sous l’averse. Je ne sais pas combien de temps elle essaiera de se laver ainsi de ses souvenirs. Je ne sais pas si elle pleure encore, là, debout au milieu du trottoir. Je ne sais pas si elle finira par pousser la porte blanche de la maison devant laquelle elle se tient. Je ne sais pas si le choix qu’elle fera ce soir-là sera le bon. Mais parfois, quand la pluie tombe le soir, je pense à elle. Je regarde les lumières de la ville, j’appuie ma tête contre la vitre du bus et je ferme les yeux.

J’aime à croire qu’elle est heureuse.

 

lundi 30 décembre 2024

« Thermosphérique », l’éditorial de Stéphane Sahuc dans l’Humanité.



Sur Internet circule depuis quelque temps une petite vidéo très instructive. Un youtubeur suisse se livre au petit jeu des comparaisons. Son point de départ est une simple question : « Ça représente quoi “un milliard d’euros” ? » Et c’est vrai que, lorsque l’on a du mal à s’imaginer ce que cela peut changer dans la vie d’un individu de posséder 100 millions d’euros, 500 millions ou un milliard, a contrario, on mesure très bien la différence de niveau de vie entre un foyer dont le revenu s’établit à 1 000 euros ou à 5 000 euros.

Notre youtubeur propose donc pour visualiser ce que représente un milliard d’euros un petit exercice de mathématique élémentaire. « Un billet de 100 euros fait un dixième de millimètre d’épaisseur. Ce qui veut dire que 10 billets de 100 euros, donc 1 000 euros, ça fait 1 millimètre d’épaisseur. » Et de poursuivre, « un million, soit 10 000 billets de 100 euros, cela fait une pile d’un mètre de haut ». Et d’en arriver enfin au milliard d’euros, « soit 1 000 millions, et la pile de billets de 100 euros fait alors 1 000 mètres de haut, donc 1 kilomètre ». Dis autrement : « Un millionnaire, c’est un peu plus haut qu’une table, un milliardaire, c’est plus de trois fois la tour Eiffel. »

En poursuivant ce petit jeu, on se rend compte, en lisant le classement Forbes 2024 des milliardaires français, que la pile de billets de 100 euros qu’ils possèdent culmine à 637 kilomètres. Mais, même entre milliardaires, il y a les petits et les grands. La fortune « thermosphérique » de Bernard Arnault s’élève à 215 kilomètres quand un Robert Peugeot ou un Christian Louboutin dépasse à peine le kilomètre. Un kilomètre de billets de 100 euros empilés les uns sur les autres, c’est aussi ce que se sont partagé cette année les Mulliez.

En 2023, déjà, c’était une pile de 800 mètres. De quoi faire grandir de quelques mètres les fortunes personnelles des membres de la famille. Pendant ce temps, un salarié de la même entreprise, avec dix ans d’ancienneté, gagne en moyenne et en brut deux millimètres par mois. Un professeur agrégé touchera trois millimètres mensuels après trois ans d’ancienneté et finira sa carrière avec, au mieux, cinq millimètres. Il est temps de raboter de quelques dizaines, voire centaines de mètres ces fortunes indécentes.

 

« Coup de pouce à l'extrême droite partout en Europe : Musk attacks », le billet de Maurice Ulrich.



Il ne lui suffit pas de faire plus que murmurer à l’oreille miraculée de Donald Trump comme d’autres à celles des chevaux. Elon Musk, que d’aucuns voient déjà comme le président bis des États-Unis, fait une entrée comme une charge de cavalerie ou plutôt de panzers dans la campagne électorale en cours en Allemagne.

Dans un tweet il y a dix jours, l’homme le plus riche du monde estimait que seul le parti d’extrême droite AFD pouvait « sauver l’Allemagne ». Il a récidivé avec une tribune dans le journal Welt am Sonntag, le « monde du dimanche », diffusé dans plus de quarante pays. L’Allemagne, écrit-il, est au bord de l’effondrement économique et culturel et seul l’AFD peut procéder à « des changements audacieux » avec sa politique anti-immigration et la dérégulation radicale des marchés.

Der Spiegel, l’autre grand journal allemand, a réagi : « Jamais nous n’avons connu une tentative d’influence aussi ouverte de la part d’un pays étranger, surtout d’un pays ami. » Elon Musk, qui veut conquérir Mars et l’espace, devrait en rester à parler aux extraterrestres.

 

dimanche 29 décembre 2024

« La dragée », l’éditorial de Maurice Ulrich dans l’Humanité.



Emmanuel Macron est à Brégançon. Il prépare à ce qu’il paraît son allocution du 31 décembre et ce n’est pas facile. Il aura beau faire, comme on peut s’y attendre, avec les crises internationales, rien ne pourra le détourner de cette question : comment faire passer un désastre démocratique pour une avancée politique, comment donner à croire qu’un gouvernement minoritaire représente la volonté du pays.

Le désastre, c’est la suite de la dissolution et du déni du résultat des élections qui ont suivi avec le refus de reconnaître la place du Nouveau Front populaire. L’exécutif minoritaire, c’est celui de François Bayrou, après Michel Barnier, bricolé avec la droite, sous le contrôle du Rassemblement national. Qui aurait pu imaginer que Marine Le Pen, sur un simple coup de fil au premier ministre, ait écarté Xavier Bertrand – quoi qu’on pense de lui – du laborieux casting gouvernemental.

Et vogue la galère, mais déjà le capitaine, qui n’est pas à la manœuvre, part un peu tard, bien trop tard, à Mayotte, comme pour se faire pardonner. On imagine sans peine, là-bas, le niveau de sa crédibilité. Et pendant ce temps, comme deux frères, presque des jumeaux, Bruno Retailleau et Gérald Darmanin sont à la une du Journal du dimanche de Vincent Bolloré. Gérald Darmanin, désormais garde des Sceaux non sans susciter l’inquiétude de la magistrature, est à la une du Parisien dimanche de Bernard Arnault avec un entretien sur quatre pages et ce titre claironnant : « Darmanin veut frapper fort ». Fort, pas juste. Et le JDD, de son côté, détaille le « plan d’attaque » du duo « qui remet la droite en selle ».

Pour les journaux de deux des milliardaires les plus influents du pays, voilà les hommes sur qui compter. C’est au prix d’un coup de force idéologique. Immigration et insécurité : voilà les deux priorités de la France. Retraites, salaires et pouvoir d’achat, moyens pour la santé et l’éducation nationale, politiques de la ville, égalité femmes-hommes, environnement et transition écologique sont comme gommés du paysage au profit du duo triomphant mais qui ne peut faire illusion. En semblant lui tenir la dragée haute, le binôme loffre à l’extrême droite.

 

« Quand l'Opinion rêve tout haut du temps des colonies », le billet de Maurice Ulrich.



Il faut bien le reconnaître, quoi qu’on en pense. Le Vieux Lion ou le Bouledogue, c’est au choix, avait de l’humour. On parle de Churchill, bien sûr, dont l’Angleterre fête les 150 ans de la naissance. Rien d’étonnant alors si à Londres l’Impérial War Museum consacre une exposition qui fait un carton, aux dessins et satires le concernant.

Pour le bonheur de l’auteur d’une chronique de l’Opinion qui voit déferler la Churchill madness, la folie Churchill, et avoue une admiration pour son génie « qui transcende les générations », bien au-delà des rivages de la Grande-Bretagne. Ainsi retient-il que « Donald Trump s’est engagé à remettre dans le bureau ovale, le buste de son idole. En rendant hommage au partisan invétéré de la colonisation, le nouveau chef de l’exécutif américain répond par un partisan retentissant V de la victoire à la gauche wokiste ».

Il faut croire que le président Roosevelt, qui désapprouvait ouvertement le colonialisme de Churchill, était avant l’heure un militant de la gauche. Wokiste… On ignorait jusqu’alors que l’Opinion rêvait du temps des colonies. Sans humour.

 

« Construire sur les ruines », l’éditorial de Cédric Clérin dans l’Humanité Magazine.



À vrai dire, personne ne pensait à l’aube de 2024 qu’Emmanuel Macron était un grand démocrate. Mais, un an plus tard, les événements ont dépassé tout ce que nous pouvions imaginer. Le président a entamé l’année à la tête d’un pays fracturé par une réforme des retraites imposé contre l’avis d’une immense majorité de citoyens. La loi immigration introduisant une dose de préférence nationale, comme on introduirait une dose de proportionnelle, avait en réalité donné le ton de la suite. Le RN ne s’y était pas trompé en saluant « une victoire idéologique ».

En janvier, la nomination de Gabriel Attal au poste de premier ministre avait pour principal but avoué d’organiser la confrontation entre la Macronie et l’extrême droite pour les élections européennes. L’exécutif passa donc les cinq premiers mois de l’année à la mettre au centre du jeu. Le président ira même jusqu’à proposer de débattre avec Marine le Pen, pas plus candidate que lui à ce scrutin. Le 9 juin au soir, l’opération est un succès, le RN arrive en tête avec 31 % des voix, son score historiquement le plus haut. Est-ce si grave ? Pour ceux qui sont attachés à l’égalité républicaine, sans doute. À ceux qui auraient à subir les discriminations d’une politique menée par le RN, c’est sûr.

Mais, pour un président uniquement soucieux de préserver sa politique libérale au service d’une minorité, ce n’est pas si grave. La preuve ? Il prend dès le soir même le risque insensé de mettre le RN au pouvoir en annonçant, sans consulter premier ministre et président du Sénat comme l’y oblige la Constitution, la dissolution de l’Assemblée nationale.

Il aura fallu la responsabilité de la gauche sociale et politique et la mobilisation citoyenne pour éviter le pire. Le Nouveau Front populaire s’est uni et est arrivé en tête là où Macron pensait pouvoir faire disparaître une gauche divisée. Le front républicain, mis sur pied contre l’avis du président, empêche au second tour le RN d’obtenir la majorité qui lui était promise. En tentant de se relégitimer à bon compte et en prenant le risque que l’extrême droite prenne Matignon, le président a eu tout faux.

C’est en tout cas ce que lui ont dit les Français dans les urnes. La gauche en tête, sa politique désavouée, le RN mis en échec étaient les trois enseignements du scrutin. Le monarque n’en a cure. Dans un geste post-démocratique, Emmanuel Macron a choisi de montrer à tout le monde que nos institutions étaient faites pour que le pouvoir soit assuré au service des puissants. Qu’importent les urnes, la gauche ne gouvernera pas et c’est au RN, bien moins dangereux pour les intérêts qu’il défend, qu’il s’en remet pour faire tenir l’attelage bringuebalant autour de Michel Barnier. Mais les institutions n’y suffisent plus et le gouvernement a été censuré pour la première fois depuis 1962. Le contrat tacite de la Ve République, atrophie de la démocratie contre stabilité, est mort.

Il faut donc en changer. Une majorité de Français y est désormais favorable. Tout comme ils sont favorables au rétablissement de l’ISF, à la taxation accrue des dividendes et à l’indexation des salaires sur l‘inflation, aux prix planchers pour les agriculteurs ou à l’abrogation de la réforme des retraites. Un socle pour la gauche afin d’incarner la nécessaire alternative. Reste à trouver un chemin politique. La gauche unie est une force capable d’être en tête des trois blocs. Mais elle a une base sociale à reconquérir. Alors que les ouvriers et les employés ont « survoté » à gauche pendant plus d’un demi-siècle, ce n’est plus le cas. C’est là tout le chantier qui s’ouvre en 2025 et au-delà : comment faire que tous ceux qui ont intérêt au changement social s’unissent pour le faire advenir ? Vaste question. Y trouver la réponse devient incontournable.

vendredi 27 décembre 2024

« PRENDRE SES AFFAIRES EN MAIN »



Car les affaires, le destin et toutes les grandes décisions se prennent en effet en mains. Le livre aussi, à proprement parler. En ces temps d’excès et de démesure n’est-il pas rassurant de constater qu’un livre tient toujours entre les deux mains. Il n’est de livres que de mains. Fût – il de poche ou de luxe, broché ou relié, papier bible ou recyclé, tout livre ne se livre qu’entre vos mains. Il y a des livres de chevet qui accompagnent l’assoupissement, des livres de plage, de week-end, ceux que l’on achète en sachant qu’on les lira plus tard, la sagesse peut-être enfin venue. Il y a la lecture de métro, haletante et saccadée, celle du train paresseuse et buissonnière, celle de la bibliothèque studieuse et apaisante. Dans une période où le culte de la performance, de l’efficacité et de la rentabilité est valorisé à outrance jusqu’à devenir une valeur et un idéal, lire est plus que jamais un acte de résistance et de liberté. Ici rien, ou presque rien, des mains et des doigts pour enserrer le livre, pour en tourner les pages. Rien que le papier qui glisse et crisse entre pouce et index. Toucher un livre, c’est adresser une poignée de mains aux lecteurs d’hier et de demain. Lire c’est réconcilier raison et passion, déraison et émotion. Lire c’est avant tout choisir. Choisir « un » livre. Choisir « sa » lecture. Choisir le moment, le rythme. Lire, c’est choisir de vivre mieux, de voir plus large, de penser plus profond, de ressentir plus fort. Lire, c’est être moins vulnérable, moins dépendant, donc plus autonome et plus libre. Oui lire, c’est choisir délibérément de vivre à plein temps, en grand, c’est décider de vivre en liberté. C’est pourquoi le livre doit être reconnu objet de plaisir et la lecture outil de liberté !

jeudi 26 décembre 2024

« Le grand nettoyage », l’éditorial de Marie-José Sirach dans l’Humanité.



On en voit qui n’ont pas l’air malheureux de reprendre du service. Il suffisait d’observer Gérald Darmanin, en goguette le 25 décembre au tribunal d’Amiens et à la prison de Liancourt, afficher un large sourire d’autosatisfaction devant les caméras de télévision.

Le nouveau ministre de la Justice s’est fendu de quelques déclarations, sans surprise, où « rapidité » et « fermeté » seraient les deux mamelles de sa politique en la matière. Sarkozy voulait nettoyer au Kärcher les quartiers pour mettre la « racaille » en prison, Darmanin veut nettoyer les prisons de « toutes les difficultés ». On se souvient de Coluche, se moquant de la pub pour les nouvelles lessives : « Moins blanc que blanc, ça doit être gris clair mais plus blanc que blanc ? C’est nouveau, ça vient de sortir. » C’est la nouvelle formule de génie (sans bouillir) de Darmanin, passé de premier flic de France à premier justicier de France. Sarkozy va-t-il prêter son Kärcher à Darmanin ?

Dans le genre enfumage et recyclage à tous les étages, le gouvernement Bayrou ose tout. C’est à ça qu’on le reconnaît. Darmanin reprend donc du service avec, toujours place Beauvau, Bruno Retailleau, un autre obsédé de la course au Rassemblement national.

Concours de fiers à bras où effets de manche rime avec impuissance. À leurs côtés, Mme Borne, désormais ministre de l’Éducation nationale, avec à l’horizon la suppression de 4 000 postes d’enseignants, austérité oblige. Mais elle avoue ne pas être une spécialiste de ce dossier. Philippe Tabarot, ministre des Transports, adepte de la privatisation du rail, toujours prêt à remettre en cause le droit de grève. Heureusement qu’il se dit « ouvert au dialogue social »

On continue ? À la culture, on prend la même et on recommence. Rachida Dati n’a visiblement pas l’intention de quitter les ors de la rue de Valois, avec vue sur les jardins des Tuileries et les colonnes de Buren. Le patrimoine, c’est son dada. Les coupes budgétaires pratiquées à la hache dans les Pays de la Loire et ailleurs ne retiennent pas son attention tant elle n’a qu’une seule obsession, la Mairie de Paris. Enfin, il y a Manuel Valls, de retour de Barcelone. Cap sur l’outre-mer. Faut-il en rire ou en pleurer ?

« Mais quoi ? », le billet de Maurice Ulrich.



Il y a un ministre de gauche au gouvernement. Mais non, pas François Rebsamen ou Manuel Valls, personne n’y croit plus. Pas davantage Juliette Méadel, qui fut porte-parole du PS mais c’est oublié… Et ce n’est pas un troisième couteau à la tête d’un vague secrétariat d’État. C’est le ministre de l’Économie et des Finances, Éric Lombard, jusqu’alors président de la Caisse des dépôts, appelée à gérer l’épargne du livret A, où, reconduit par Emmanuel Macron l’an passé, il effectuait un deuxième mandat.

Un grand professionnel de la finance, dit-on, avec une belle carrière dans la banque, les assurances et un intermède d’un an en 1989 auprès de Michel Rocard. C’est dire… Et donc, pour l’Opinion, qui lui consacre son éditorial, il est « plutôt classé à gauche ». Les Échos, qui notent qu’il est un « fidèle soutien d’Emmanuel Macron », titrent toutefois : « Un banquier de gauche à Bercy ». Il aurait d’ailleurs parlé de l’urgence sociale lors de son investiture avant de rappeler opportunément que les entreprises sont le moteur de l’économie. Quelque chose nous échappe, mais quoi ?

« À Mayotte, le cyclone Chido révèle les failles coloniales de l’État français », l’éditorial de Rosa Moussaoui dans l’Humanité.



Macron, on le sait, a perdu tout crédit politique depuis longtemps ; voilà qu’il ne s’attache même plus à sauver les apparences. « Si ce n’était pas la France, vous seriez 10 000 fois plus dans la merde ! » À Mayotte, au milieu du cataclysme laissé par le passage du cyclone Chido, les propos du chef de l’État sont ceux d’un potentat colonial étranglé par son narcissisme.

Mais quoi d’étonnant ? C’est le propre du régime colonial de se donner comme relevant de l’éternité. C’est le propre du colonisateur de se poser en sauveur sans lequel le colonisé serait englouti par la fatalité de ses impérities. « Mayotte, c’est la France ! » répète le pouvoir.

Mayotte est surtout le nœud d’un lourd contentieux lié à la décolonisation des Comores. Après son accession à l’indépendance, le jeune État a été admis comme membre de l’ONU en vertu de la résolution 3 385 du 12 novembre 1975. Cette résolution onusienne réaffirme « la nécessité de respecter l’unité et l’intégrité territoriale des Comores, composées des îles d’Anjouan, de Grande Comore, de Mayotte et de Mohéli ». Une résolution que Paris n’a jamais respectée, érigeant même un mur invisible pour empêcher la circulation entre l’île et ses voisines.

dans le bras de mer qui sépare Anjouan de Mayotte. Les frêles embarcations naviguant là font beaucoup rire Macron, qui avait grassement plaisanté au début de son premier mandat sur les kwassa-kwassa qui « pêchent peu », mais « ramènent du Comorien ».

Paris n’a jamais accepté l’indépendance des Comores, ce chapelet d’îles à la position stratégique dans l’océan Indien. D’où la séparation de Mayotte et la politique de déstabilisation de l’archipel, de coups d’État en assassinats politiques supervisés par le mercenaire Bob Denard.

Une politique de déstabilisation destinée à démontrer que seul le maintien dans la France serait synonyme de stabilité et de prospérité. Pourtant, plus d’une décennie après le référendum entérinant la départementalisation et ses promesses d’égalité républicaine, le bilan est désastreux : pauvreté extrême, services publics délabrés, inégalité des droits. Ce bilan, c’est celui de l’État français.

Pas celui des originaires des îles voisines, que Darmanin entendait chasser l’an dernier avec son opération militaire et policière Wuambushu. Pas celui de ces populations tenues pour subalternes, dont les morts ensevelis sous les décombres des bidonvilles ne sont même pas recensés. Les catastrophes climatiques disent tout des failles des sociétés sur lesquelles elles s’abattent. Chido en est une cruelle démonstration. Une vie à Mayotte ne vaut pas une vie à Pau, à Paris ou Amiens. C’est le propre de la colonie.

« Gouvernement Bayrou : des poids lourds, vraiment ? », le billet de Maurice Ulrich.



Il a l’air sacrément content, Manuel Valls, sur la photo prise juste après sa passation de pouvoir. Deux ans ministre de l’Intérieur, puis une dizaine d’années à ramer çà et là, jusqu’à se porter candidat à la mairie de Barcelone, avec l’insuccès que l’on sait. Donc le revoilà ministre et visiblement heureux. François Bayrou a fait, nous assure-t-on dans le Figaro ou le Monde, le choix de l’expérience, laquelle selon Confucius est une lanterne qu’on s’accroche dans le dos pour voir le chemin parcouru

Et quel chemin ! Qui peut, par exemple comme Élisabeth Borne, se prévaloir d’une telle liste de 49.3 ? Vingt-trois en un an et sept mois à la tête du gouvernement, essentiellement pour faire passer une réforme des retraites rejetée par plus des deux tiers des Français. Mais le Parisien et les Échos, tous deux du groupe LVMH, à croire qu’ils se sont passé le mot, partagent en une la même analyse : c’est une équipe de « poids lourds ». Avec ça, que vogue la galère, si elle ne coule pas…

lundi 23 décembre 2024

« Quelle question ? », le billet de Maurice Ulrich.



Ce n’est pas le père Noël, mais Alexandre Bompard, le PDG de Carrefour, qui fait cette annonce à la une du Parisien dimanche : « En 2025, les prix devraient être stables. » Ça ne coûte rien de le dire, mais ça semble justifier deux pages pour une rencontre avec les lecteurs.

« Costume bleu marine sur pull à col roulé, il arrive, détendu, un peu en avance sur l’horaire. » Il est visiblement heureux, écrivent les journalistes, « de décortiquer devant nos lecteurs ce qui fait le modèle Carrefour ». Et il le fait. « Votre rémunération a fait polémique, risque tout de même Anne, « seriez-vous d’accord pour encadrer les écarts de salaire au sein d’une entreprise entre les salariés et le PDG ? ».

« Ce n’est pas une question taboue, la mienne est fixée par le conseil d’administration. » Mais encore ? « Ma responsabilité est de faire progresser la rémunération moyenne dans l’entreprise. Celle d’une caissière chez Carrefour est 30 % supérieure au Smic. » Et la sienne était pour 2023 de 4,5 millions d’euros, plus 5,3 millions en actions. Quelle était la question ?

 

« Nouveau gouvernement : François Bayrou en sursis », l’éditorial de Cathy Dos Santos dans l’Humanité de demain.



Tout ça pour ça. La nomination de François Bayrou sentait déjà le mauvais remake. Ses appels à œuvrer pour « l’intérêt général », son prétendu sens du « compromis » aurait dû le conduire à trouver une issue à la crise institutionnelle, comme le lui enjoignait le Nouveau Front populaire.

Le premier ministre a préféré claquer la porte au nez de la gauche. Résultat, la composition de son gouvernement n’est qu’un piètre recyclage de ce qui a échoué et conduit la France dans une voie sans issue. Ce n’est pas une poignée de dirigeants « Les Républicains » – quatrième force aux législatives –, ni des macronistes serviles, dont le pedigree symbolise le naufrage du projet présidentiel, qui pourront renouer le lien avec les citoyens.

Fait d’«offre publique de participation », François Bayrou a raclé les fonds de tiroirs. La reconduction au ministère de l’Intérieur de Bruno Retailleau, obsédé par l’immigration au point de faire sienne la préférence nationale chère au Rassemblement national, ou encore le pathétique repêchage d’Élisabeth Borne, madame 49.3 sur les retraites, sont autant de signaux de mépris envoyés aux Français.

La prétendue ouverture à gauche se solde par le retraitement de ministres en rupture de ban depuis longtemps avec leur famille politique, à l’image de François Rebsamen, dont le passage au ministère du Travail a laissé de bien mauvais souvenirs aux salariés. Quant à la nomination de Manuel Valls, elle relève de la vaste pantalonnade.

La feuille de route du nouvel exécutif est claire « à droite toute ». Cet aréopage a pour seule mission d’achever les chantiers interrompus de Michel Barnier. « Il faut faire des économies », se défend le locataire de Matignon, qui n’a retenu aucune leçon de la censure.

C’est l’austérité prêchée par son prédécesseur et le recours au 49.3 pour imposer des coupes budgétaires records qui lui ont coûté son poste. François Bayrou n’échappera pas à la même sanction. Sa planche de salut se résume à l’extrême droite et à la répétition d’un dangereux tête-à-tête avec le Rassemblement national auquel il devra sans cesse donner des gages. C’est ce qu’il a commencé à faire, en écartant Xavier Bertrand du gouvernement, comme l’exigeaient les lepénistes. Ce gouvernement est en sursis.

 

dimanche 22 décembre 2024

« Nouveau gouvernement : en attendant Godot », l’éditorial de Maurice Ulrich dans l’Humanité.



Ça commence à ressembler à la pièce de Beckett En attendant Godot. Mais c’est qui, ce Godot ? Des noms circulent mais on ne voit rien venir. Ah si, Bruno Retailleau. C’est paraît-il le seul à être sûr de retrouver le ministère de l’Intérieur. Il a su s’y faire une place en monomaniaque de l’immigration. Une carte pour se concilier le Rassemblement national ? Pas sûr que ce soit la bonne, mais ça donne le ton. À droite toute. François Bayrou a feint de consulter, y compris à gauche. C’était bien sûr pour ne rien lâcher, en particulier sur les retraites. Aucune ouverture réelle. Voilà donc six mois que ça dure.

Six mois pour en arriver là, après la décision jupitérienne et absurde de dissolution de l’Assemblée nationale, prise par Emmanuel Macron, seul. Qu’en espérait-il, quand il ne pouvait vraiment ignorer la perte de crédibilité de son camp, en échec aux élections européennes. Une cohabitation avec le RN et Jordan Bardella, premier ministre, avec l’idée de rebattre les cartes, encore ? Le front républicain en a décidé autrement et le résultat du Nouveau Front populaire a rendu l’opération impossible.

La logique républicaine et démocratique, on le sait, aurait voulu qu’il nomme un premier ministre ou une première ministre de gauche, pour mener une politique de gauche quand bien même elle aurait appelé à des recherches de majorités texte par texte, voire de compromis. C’est à quoi il a décidé de s’opposer, à tout prix, gagnant du temps, repoussant sans cesse une décision de plus en plus difficile à prendre jusqu’à nommer, de manière à la fois pathétique et dérisoire, Michel Barnier, puis François Bayrou, comme s’ils avaient la clé de la situation.

Quel paradoxe pour celui qui, en 2017, promettait de renouveler la politique et ne fait désormais que présider toujours plus à droite avec un casting que l’on verra dès après les fêtes, sans crédit dans l’opinion, totalement fermé aux urgences sociales et singulièrement ouvert à la multiplication des plans sociaux. Tout ça pour ça. Contrairement à la formule célèbre, il n’a rien changé pour que rien ne change.

 

« Quelle question ? », le billet de Maurice Ulrich.



Ce n’est pas le père Noël, mais Alexandre Bompard, le PDG de Carrefour, qui fait cette annonce à la une du Parisien dimanche : « En 2025, les prix devraient être stables. » Ça ne coûte rien de le dire, mais ça semble justifier deux pages pour une rencontre avec les lecteurs.

« Costume bleu marine sur pull à col roulé, il arrive, détendu, un peu en avance sur l’horaire. » Il est visiblement heureux, écrivent les journalistes, « de décortiquer devant nos lecteurs ce qui fait le modèle Carrefour ». Et il le fait. « Votre rémunération a fait polémique, risque tout de même Anne, « seriez-vous d’accord pour encadrer les écarts de salaire au sein d’une entreprise entre les salariés et le PDG ? ».

« Ce n’est pas une question taboue, la mienne est fixée par le conseil d’administration. » Mais encore ? « Ma responsabilité est de faire progresser la rémunération moyenne dans l’entreprise. Celle d’une caissière chez Carrefour est 30 % supérieure au Smic. » Et la sienne était pour 2023 de 4,5 millions d’euros, plus 5,3 millions en actions. Quelle était la question ?

 

« Attal, Barnier, Bayrou… même combat », l’éditorial de Fabien Gay dans l’Humanité Magazine.



Depuis la Covid 19, notre pays, comme le monde, voit la démultiplication des crises qui font peser de lourdes menaces sur notre humanité. Crises climatiques avec l’accélération d’événements dits naturels de plus en plus violents, comme le cyclone Chido qui a ravagé Mayotte, sans oublier les pluies diluviennes qui ont meurtri la région de Valence. Crises sociales avec des vagues de licenciements partout et une industrie européenne qui souffre du prix de l’énergie mais aussi des stratégies financières des grands groupes.

Pourtant, l’accumulation de richesses aux mains de quelques-uns n’a jamais été aussi forte et la répartition entre le capital et le travail jamais aussi défavorable aux travailleurs. Ils subissent les salaires bloqués, mais aussi l’inflation, l’économie de guerre et maintenant les discours sur la dette. Les tenants des intérêts du capital sont en action, appelant à la « responsabilité », « à la stabilité » pour imposer une nouvelle saignée dans les « dépenses de l’État ». Entendez par là, moins de services publics, moins de remboursements dans la santé, mais aussi revenir sur les trente-cinq heures « pour travailler plus », ou encore dans quelque temps introduire une part de capitalisation dans les retraites. Pour eux, la rupture avec les politiques libérales et austéritaires fait peur. L’enjeu est de taille : suraccumuler les richesses au détriment du vivant et de la nature.

Ce système capitaliste partout en crise rencontre des résistances : ici comme de l’autre côté de l’Atlantique, des peuples se soulèvent pour ne pas sacrifier leur agriculture, leur industrie, leurs vies pour un énième traité de libre-échange qui ne bénéficiera qu’à des multinationales. Ici comme ailleurs, une jeunesse refusant la fatalité de la guerre, car elle est toujours la première envoyée au front, se rebelle contre l’impérialisme, le colonialisme ou le génocide en cours à Gaza. Ici comme partout, des ouvriers épuisés, essorés par ce système, refusent le moins-disant social et la compétition, qui usent leur santé.

En France, le capital a misé sur le président Macron depuis sept ans pour œuvrer à ses seuls intérêts. Mais face aux résistances, ce capital veut aller plus loin, plus vite, plus fort pour détricoter notre modèle social, en finir avec tous les éléments de protection du peuple. Et il est prêt à un nouveau tour de vis austéritaire, y compris sécuritaire et pourquoi pas demain, raciste. Milei en Argentine ou Meloni en Italie font bien l’affaire.

Depuis la dissolution, le président Macron nie le rejet massif de sa politique, exprimé dans les urnes. Coûte que coûte, il utilisera toutes les « combinazione » politiques, en flirtant avec les limites de la Constitution, pour tenir son cap politique : Attal essoré, Barnier censuré, bienvenue à Bayrou le Béarnais. Son discours d’intronisation a montré qu’il ne changera pas de cap. Ne comptez pas sur lui pour abroger la réforme des retraites, augmenter les salaires et les pensions, sauver nos emplois industriels… Ça sera la dette, la dette, la dette.

Et si pour cela, il faut à nouveau dealer avec l’extrême droite pour assurer sa survie, il le fera. Pour rappel, il a parrainé Marine Le Pen en 2022 pour qu’elle soit candidate à l’élection présidentielle. Celui qui a « tordu » le bras au président pour aller à Matignon s’assurera à coup sûr de demander un renvoi d’ascenseur.

Face à ce nouveau coup de force contre la volonté populaire et le choix des urnes du 7 juillet dernier, il faut que les forces de gauche et de l’écologie s’organisent et s’appuient sur le mouvement social en cours, qu’il convient d’élargir et de mobiliser pour contrecarrer les plans élyséens.

 

vendredi 20 décembre 2024

« Selon que vous soyez… », l’éditorial de Cédric Clérin dans l’Humanité.



« Il faut que les sanctions tombent. » La sentence est de Bruno Retailleau, lors de l’une de ces toutes premières sorties médiatiques en tant que ministre de l’Intérieur. « Il a raison, nos textes sont trop laxistes », embrayait immédiatement Laurent Wauquiez, chef de file des députés LR à l’Assemblée nationale. La droite veut imprimer sa marque : s’attaquer au prétendu laxisme de la justice.

En France, les peines prononcées seraient trop légères et leur application éviterait trop souvent la case prison. Toutes sauf une : celle prononcée par la Cour de cassation pour corruption et trafic d’influence contre Nicolas Sarkozy, ancien président de la République et de l’UMP, dans l’affaire Paul Bismuth.

Il y a « disproportion entre la gravité de la peine et la légèreté des preuves », disait Bruno Retailleau en 2021 lors de la confirmation en appel de la condamnation de l’ancien chef de l’État. « Cette décision est profondément incompréhensible », dit aujourd’hui Laurent Wauquiez.

Le traitement de l’affaire par les médias de droite est à l’avenant. Une « défaite de la justice » et une « atteinte à l’image de la France » pour le Figaro, un « dossier vide sur des faits qui n’existent pas » pour Pascal Praud sur CNews. Et pour TF1, propriété de l’ami Martin Bouygues, ce qui est une première, ce n’est pas qu’un ancien président soit condamné à de la prison ferme, mais qu’on écoute (parfaitement légalement) un suspect et son avocat. Nicolas Sarkozy crie, comme à chaque fois, au complot politique, ce à quoi Bruno Retailleau avait répondu en 2021 par la proposition d’interdire aux juges de se syndiquer.

Le vieux complot des « juges rouges », cher à Berlusconi, Trump et autres avatars de la post-vérité, est utilisé pour masquer une solidarité de classe et nous éviter de voir le fond de l’affaire : un président est condamné pour avoir voulu corrompre un magistrat de la plus haute instance judiciaire de la République. Les multiples procédures qui visent Nicolas Sarkozy dessinent en réalité un système qui révèle l’état de pourrissement de nos institutions.

 

« François les gaffes », le billet de Maurice Ulrich.



S’il se prénommait Gaston, on l’appellerait Lagaffe. Bon, c’est François Bayrou, dont on a l’impression, qui n’est pas vraiment politique mais tout de même, qu’il n’en rate pas une. D’abord, le voyage à Pau, en avion, pour le conseil municipal, quand Mayotte vient d’être dévastée.

Ensuite, sa justification à l’Assemblée nationale. « Il n’est pas d’usage que le président de la République et le premier ministre quittent ensemble le territoire national. » Oups. Mayotte, c’est loin, mais c’est, de fait et quoi qu’on en pense, un territoire national.

Et quand, dans un courrier adressé aux forces politiques conviées à Matignon, il essaye à nouveau de se rattraper, il en fait trop : « La tragédie de Mayotte est probablement la catastrophe naturelle la plus grave de l’histoire de France depuis plusieurs siècles. » À part les éruptions de la montagne Pelée en Martinique, dont celle de 1902, avec près de 30 000 morts. Encore loupé. On ne peut pas connaître à la fois la date de naissance d’Henri IV, tous les territoires d’outre-mer et l’histoire.

jeudi 19 décembre 2024

Quand Eugénie Bastié « enquête » sur le monde, c’est la désinformation qui triomphe, l’éditorial de Rosa Moussaoui dans l’Humanité.



Insinuer, salir, discréditer. La méthode est éprouvée par les régimes autoritaires pour bâillonner les voix libres. Elle est désormais recyclée dans nos vacillantes démocraties par l’extrême droite pour mettre en pièces des journalistes, jeter leur nom à la vindicte, susciter des réflexes d’autocensure.

Dans un article cousu de mensonges, d’allusions et de propos diffamatoires, la polémiste du Figaro Eugénie Bastié porte sur le Monde des accusations qui passeraient pour comiques si elles n’obéissaient pas à ce dessein politique. Cette chroniqueuse passée par Causeur reproche au quotidien vespéral de « prendre ouvertement le parti des Palestiniens ».

Elle lui impute une « couverture partiale du conflit » qui se traduirait, selon elle, par une « indulgence » pour « les bourreaux du Hamas » et par une « haine affichée de l’État hébreu » (sic). Son service international serait un repaire d’antisémites faisant régner un climat d’« omerta » pour faire prévaloir « une ligne propalestinienne des plus radicales ».

Dans le viseur de cette habituée des plateaux de CNews, un journaliste, Benjamin Barthe, ancien correspondant dans les territoires palestiniens occupés. Sur ses travaux journalistiques récompensés par le prix Albert-Londres au sérieux reconnu par ses pairs et par les spécialistes du Proche-Orient, pas un mot. C’est que Bastié, disciple du théoricien néofasciste Alain de Benoist, issue de la Manif pour tous, figure de la nébuleuse catholique traditionaliste, s’emploie surtout à faire passer le journaliste du Monde pour un « militant » sous influence.

Cette tentative de déconsidérer un professionnel soucieux de recouper, de vérifier et d’établir des faits, loin des entreprises de propagande inhérentes à toute guerre, n’a rien d’anodin. Elle s’inscrit dans une stratégie qui devrait alarmer celles et ceux qui tiennent encore la liberté de la presse pour une condition de la démocratie. Désinformer, calomnier, lyncher : l’extrême droite s’attache au fond à semer la confusion pour donner toujours plus de crédit à ses « vérités alternatives ».

Ses caricatures, ses attaques ad hominem trouvent une chambre de résonance nouvelle dans l’écosystème médiatique qu’elle a patiemment charpenté. Les réseaux sociaux font le reste. Ce matraquage est sans rapport avec le travail de production de l’information. Les enquêtes journalistiques, elles, ne se mènent ni sur X ni à la table de Pascal Praud. Et dans les diatribes de Bastié, c’est le Figaro qui se perd.

Mayotte : « traiter » la question migratoire, la dernière ignominie de Retailleau, le billet de Maurice Ulrich.



« On ne pourra pas reconstruire Mayotte sans traiter, avec la plus grande détermination, la question migratoire. » Pour l’Opinion, Bruno Retailleau « met les pieds dans le plat ». Au moment où des enfants, des hommes et des femmes, sans moyens de communication, sans eau, sans électricité, tentent de survivre dans un monde détruit, alors qu’ils ont tout perdu, le ministre de l’Intérieur qu’il n’est plus mais qui compte bien, si l’on peut dire, le rester, fait plus qu’y mettre les pieds. Il s’en nourrit pour faire prospérer son fonds de commerce et sa popularité à droite et à l’extrême droite.

À le suivre, ce sont les migrants qui feraient obstacle à la reconstruction. Et reconstruire en dur les bidonvilles « créerait un nouvel appel d’air ». Reloger les plus pauvres, c’est attirer les pauvres. Mais que signifie « traiter » la question migratoire. Bouter hors de Mayotte – et comment ? – des milliers de malheureux ? Bruno Retailleau n’a pas de solution et n’en cherche pas. Il trace son chemin politique sur les ruines et le malheur.

 

mercredi 18 décembre 2024

« À quoi sert Bayrou ? », l’éditorial de Stéphane Sahuc dans l’Humanité.



François Bayrou s’est toujours senti comme investi d’un destin, presque d’une sainte mission. Ses candidatures à la présidence de la République étaient empreintes de cette vision quasi mystique : il aurait été choisi pour sauver la France. En ce sens, ce passionné d’Henri IV ressemble plus à Jeanne d’Arc qu’au Vert Galant. Fervent catholique, nul doute qu’il aura vu dans la concomitance entre son arrivée à Matignon et la réouverture de Notre-Dame de Paris le signe d’une légitimation divine. C’est d’ailleurs la seule légitimité dont il pourrait éventuellement se prévaloir. En le nommant, Emmanuel Macron a réussi l’exploit de placer à Matignon un homme dont le parti politique à encore moins de députés que celui de Michel Barnier, son prédécesseur.

Alors, à quoi va servir Bayrou ? En bon représentant de la démocratie chrétienne, il raconte qu’il y a « un chemin à trouver qui réunisse les gens au lieu de les diviser ». La fable du rassemblement des bonnes volontés aura-t-elle une traduction dans la composition du gouvernement ? On en doute. Les adeptes du « ni droite ni gauche » ou de sa version inclusive « et de droite et de gauche » sont en réalité des gens de droite. Le « nécessaire compromis » et le « besoin de stabilité » dont on nous rebat les oreilles ne sont que des synonymes de « soumission aux intérêts des riches ». Bayrou n’est qu’une nouvelle roue de secours – déjà crevée au demeurant – pour Macron et ceux dont ils protègent jalousement les intérêts – la bourgeoisie – pour soumettre les Français, leur faire accepter quelques semaines, quelques mois de plus des politiques antipopulaires.

Le futur que préparent Bayrou, Macron et leurs amis se devine dans la satisfaction affichée par Marine Le Pen à la suite de sa discussion avec le nouveau premier ministre. La patronne du parti d’extrême droite estime avoir été « écoutée » et est ressortie avec la certitude que les élus du RN seront « traités comme les autres ». L’achèvement de la normalisation pour offrir au capital une issue potentielle à la crise politique. Le 3 décembre, Xavier Niel vendait d’ailleurs la mèche dans l’Opinion, en affirmant que « le seul raisonnable sur le soutien aux entreprises, c’est Jordan Bardella ». Après tout, Wall Street se réjouit bien du retour de Trump.

 

« Louis Sarkozy, il a la frite », le billet de Maurice Ulrich.



Dans la famille Sarkozy, la droite demande le fils. Il a 27 ans, il s’appelle Louis et, revenu depuis trois mois des États-Unis où il avait suivi en 2008 sa maman Cécilia, il multiplie les rendez-vous avec des politiques. Rachida Dati, Sébastien Lecornu, Michel Barnier, Bruno Le Maire, mais surtout Bruno Retailleau que, paraît-il, il admire.

Dès septembre 2024, il avait eu droit à sa biographie dans Gala. S’il s’était un peu égaré très jeune en lançant des tomates à une policière, il a bien grandi depuis et, devenu dès son retour chroniqueur à LCI, c’est en commentant l’invasion israélienne au Liban le 29 septembre qu’il s’est fait remarquer, déclarant à propos du Hamas et du Hezbollah : « Israël fait le boulot de l’humanité, qu’ils crèvent tous ! »

Son père est fier de lui : « Quand je vois cette flamme, ce courage, cette volonté, ça me plaît. » De son côté, il assume d’être un « fils de » : « Si j’ouvrais une baraque à frites place de Clichy, on me ferait le même reproche. » Oui, mais pourquoi pas ?

 

DERNIER VOYAGE !

Lui, le vrai combattant contre toutes les guerres, Lui le vieux militant, vient de se faire la paire.   Pour son dernier voyage, Ils étaie...