lundi 30 juin 2025

« Comment la réforme de l’audiovisuel public fragilise la démocratie », l’éditorial de Laurent Mouloud.



Il faut le dire et le redire : la réforme de l’audiovisuel public, dont les députés doivent débattre à partir d’aujourd’hui, représente un péril démocratique de tout premier ordre. Mené tambour battant par Rachida Dati, qui en fait une affaire personnelle, ce projet vise à empiler France Télévisions, Radio France et l’Institut national de l’audiovisuel dans une même holding – France Médias –, dirigée par un seul et unique président.

Tout cela est évidemment enrubanné d’une ribambelle d’éléments de langage. Mais, sous couvert de « rationalisation » et de « pilotage stratégique », c’est bien la tentation d’une reprise en main politique du service public de l’information qui plane au-dessus de ce texte, portant un coup sévère à la diversité des contenus et à l’indépendance des rédactions.

La logique défendue par la ministre de la Culture est très claire. Au financement issu du budget de l’État (et non plus de la redevance) s’ajoutent la nomination des deux principaux directeurs (holding et information) par le pouvoir en place – via l’Arcom – et une fusion des rédactions qui, outre les « économies d’échelle » fantasmées, facilitera la diffusion des exigences éditoriales venues d’en haut.

Cette gouvernance tout en verticalité rappelle furieusement la gaullienne ORTF. Elle met sous pression les personnels, favorise une information uniformisée, accroît la suspicion sur les journalistes du service public, alors même qu’un Français sur deux ne fait déjà plus confiance aux médias pour s’informer.

Cette fragilisation de notre bien commun est inadmissible. Face à une concentration inédite du secteur dans la main de quelques milliardaires, dont certains assument l’utilisation de leurs chaînes, radio et journaux à des fins de propagande d’extrême droite, l’audiovisuel public doit être un rempart par son exemplarité, son professionnalisme, son pluralisme. L’affaiblir dans ses moyens et ses missions est un coup de poignard porté à notre vie démocratique. Et fait le jeu de ceux qui rêvent de privatisation et d’éteindre toute voix critique.

 

« Marche des fiertés : les masques tombent ? », le billet de Maurice Ulrich.



Des dizaines de milliers de jeunes avec le goût de la fête, de la liberté et d’abord celle de vivre leurs choix… Le centre de Paris saturé. Curieusement cette formidable Marche des fiertés semble avoir disparu pour partie des écrans télé, comme de la presse du dimanche. Peut-être parce que c’était aussi, comme annoncé, une marche contre l’internationale réactionnaire. La manifestation a changé de dimension.

Les mises en scène d’énormes chars sponsorisés ont disparu. Place au réel. Le Parisien dimanche ne s’est intéressé qu’au collectif Eros, d’extrême droite, dont les organisateurs ne voulaient pas la présence. On pouvait voir en fin de cortège des personnages en noir avec des masques de chien se faufiler parmi les jeunes. Des masques noirs, agressifs. Un peu plus loin on comprend. Voilà la meute.

Quelques dizaines d’hommes portant ces mêmes masques autour de l’un d’entre eux, de haute taille, avec un masque de loup. Malaise. Ils ne sont pas là pour la fête, mais comme une menace. La police est présente, mais n’a pas ordonné comme la loi l’exige le retrait des masques.

samedi 28 juin 2025

« Censure(s) », le bloc-notes de Jean-Emmanuel Ducoin.



TEMPS Il y a longtemps, Chateaubriand avait classé en trois âges l’aristocratie de son époque. Il commençait par les « supériorités ». Après quoi, il passait par les « privilèges ». Avant d’en venir à l’âge terminal des « vanités ». Et Chateaubriand concluait ainsi : « Sortie du premier âge, elle dégénère dans le second et s’éteint dans le dernier. » S’il fallait résumer la tâche de François IV à Matignon ces temps-ci, trois mots viendraient à l’esprit du bloc-noteur, précisément les mêmes que Chateaubriand : supériorités, privilèges, vanités.

Alors que le Premier sinistre se trouve asphyxié par ses adversaires politiques à l’Assemblée nationale, autant sur le dossier des retraites que sur le futur budget, voire sur la stratégie énergétique de la France, François IV cherche de l’oxygène pour poursuivre son chemin, avec un seul but en tête : non pas gouverner et/ou réformer le pays, mais bien durer. Juste durer, avec un esprit de supériorité, de privilèges, et de vanité. Mois, semaines, jours, le temps rétrécit. Et la République s’enfonce dans toutes les crises.

Même le Monde l’écrit, sous la plume de Françoise Fressoz : « De quelque côté que l’on se tourne, la France estrenvoyée à une forme dimpuissance qui nest pas de nature à contrer lepessimisme fondamental tenant lieu depuis des années de ­ciment collectif à ses habitants. » Dur constat. Et elle ajoute : « Tous les efforts déployés ces dernières semaines sur la scène internationale par le président de la République pour tenter de démontrer que la voix de la France porte encore sont balayés par la succession de coups de force qui s’y produisent, sur fond de remise en cause du lien transatlantique. »

AMBIANCE Le naufrage programmé du conclave consacré aux retraites vient d’ailleurs de sceller un nouveau moment dans la gestion d’équilibriste de François IV, puisque les socialistes souhaitent désormais re-voter une motion de censure. Il y aura donc un avant, et un après. Jusque-là, tout a glissé, ou à peu près, sur le Premier sinistre. Les motions de censure, avec l’aide des socialistes certes, se perdaient dans des phrases à rallonge. Et les couacs entre ministres nourrissaient une espèce d’ode à la liberté de parole, une forme de gestion à l’« horizontale ». La péripétie sur les retraites vient à point nommé nous rappeler que l’habileté du Palois a ses limites.

Un ancien Premier ministre le disait récemment : « Ce n’est pas un Matignon hyperrangé, ni carré. » Déjà constaté au début du printemps, les ministres, même les plus en vue, sont dans une situation d’« autogestion totale », pour reprendre l’expression de l’un d’entre eux. Combien de temps durera cette situation, sachant que Mac Macron II pourra de nouveau dissoudre dans quelques semaines ? François IV, lui, ruse pour rallonger son bail.

Les six mois de Gabriel Attal sont dépassés, cap sur les sept de Pierre Mendès France, figure citée jusqu’à plus soif par le Premier sinistre. « L’ambiance à Matignon est exécrable », rapporte un témoin, plus habitué à moquer les dîners jusqu’à pas d’heure du patron, au premier étage de son palais, qu’à ses audaces matinales. Ce dernier laisse entendre qu’une démission n’est pas impossible, histoire d’acter de manière spectaculaire l’impossibilité de sa mission.

RÉPONSE La capacité du centriste à étirer le feuilleton du conclave est-elle infinie ? De « fin mai », annoncé en janvier, l’épilogue a en effet été repoussé au début du mois de juin, puis à mi-juin, puis au terme d’une négociation de la dernière chance lundi dernier, jusqu’à cette journée de mardi à Matignon, qui ne pourrait être qu’une simple étape… vers d’autres rendez-vous. « Il a une confiance en lui-même qui lui fait penser qu’il sera capable, avec son aura et la pression médiatique, d’obtenir un accord sur le plus petit dénominateur commun », analyse un conseiller ministériel cité par Libération, qui mise sur d’ultimes concessions arrachées au Medef et à la CPME, dès cet été ou à l’automne durant les discussions budgétaires.

L’été, l’automne… le temps se contracte, mais peut encore s’étirer, sait-on jamais. D’où la question : François IV est-il si roué, ou tout simplement à la rue ? Une bonne censure avec un gouvernement renversé, et tout le monde aura la réponse !

 

vendredi 27 juin 2025

« C’est simple », le billet de Maurice Ulrich.



Considéré comme un spécialiste des questions internationales, le journaliste Jean-Dominique Merchet a craqué jeudi dans l’éditorial de l’Opinion. « Donald Trump, l’art d’être simple », titrait-il. « Donald Trump est un homme simple et nombreux sont ceux qui n’arrivent pas à comprendre cette chose pourtant si… simple. »

Surtout, dans un monde que l’on dit complexe, « cette complexité agace et déroute tous ceux qui se font gloire d’être subtils, nuancés ou experts. Elle est pourtant la clé de ce dirigeant hors normes et d’abord celle de son succès dans les urnes. (…) Donald Trump ne se fait pas de nœuds au cerveau, ne s’embarrasse pas de détails ».

C’est ainsi, sans doute, qu’au sommet de La Haye, en marge de ses exigences de financement de l’Otan au nom de la raison du plus fort et en toute simplicité, il s’est félicité du succès « monumental » de ses frappes en Iran, non sans les comparer au bombardement en 1945 d’Hiroshima et Nagasaki, « tellement dévastateur que cela a mis fin à la guerre ». 300 000 morts, sans s’embarrasser de détails.

« Veste retournée », l’éditorial de Sébastien Crépel.



Pour les députés du groupe de Marine Le Pen et ses amis, qui siègent officiellement dans l’opposition, ce n’est jamais le moment de s’opposer à François Bayrou. Depuis la nomination du maire de Pau à Matignon, en décembre 2024, les élus du Rassemblement national n’ont pas voté une seule fois la censure du gouvernement. L’occasion leur a pourtant été fournie à sept reprises. À chaque scrutin, ils ont opté pour le maintien des ministres à leur poste – et la poursuite de la politique d’austérité qu’ils mettent en œuvre. Le 19 février, leurs voix auraient permis à elles seules de faire basculer le vote. François Bayrou ne pouvait rêver meilleurs opposants. Il peut leur dire merci. En attendant mieux avec l’« union des droites » tentée jeudi par le groupe d’Éric Ciotti en direction de la minorité macroniste sur des textes devant servir de passerelle avec le RN.

Sans surprise, l’extrême droite a décidé de ne pas saisir la nouvelle perche tendue avec la motion de censure des députés PS, déposée mercredi. Cette fois, le texte vise à s’opposer à la décision du Premier ministre de ne pas rouvrir devant le Parlement le débat sur la retraite à 64 ans à l’issue du conclave entre patronat et syndicats. Pour François Bayrou, le sujet est tranché : « Tous les participants (au conclave) se sont accordés pour ne pas remettre en cause les conditions d’âge fixées par la réforme de 2023. » Autrement dit, pas question de permettre aux députés de revenir sur cette mesure.

Théoriquement, du pain bénit pour le RN, qui avait pris position contre la réforme : impossible de refuser la censure sans se dédire sur ce point. Mais l’extrême droite veut le pouvoir. Non pour s’opposer à la finance, mais pour servir ses intérêts d’une autre façon. Elle promet la censure à l’automne, au moment du budget. On verra. Paris vaut bien une veste (retournée). Au RN, l’heure est à la conversion assumée à la « règle d’or » budgétaire du traité de Maastricht, et à la chasse aux « mauvaises dépenses » pour plaire aux marchés. Pour Le Pen et consorts, les retraites en font partie.

 

27 juin 1972 : Signature du programme commun de gouvernement !



« Comme la grande majorité des communistes, j’ai participé à l’action pour aboutir à la signature du programme commun de la gauche. Avec eux, en 1971, j’ai applaudi à cette signature. Les années qui ont suivi nous ont fait prendre conscience du piège dans lequel nous nous étions enfermés. Lors des élections législatives de 1973, nous restons devant le Parti socialiste avec 21,3% contre 18,9%. Mais celui-ci revenait de loin. Quatre ans plus tôt, en 1969, 5% des électeurs avaient voté pour Gaston Defferre, le candidat socialiste à l’élection présidentielle, alors que celui de notre parti, Jacques Duclos, avait obtenu 21% des suffrages exprimés.

J’ai mené avec mes camarades la campagne pour la réactualisation du programme commun, notamment après la tenue du congrès extraordinaire de 1974 autour de l’idée : « L’union est un combat ». Les élections municipales de 1977 ont été marquées par un progrès considérable de l’implantation des communistes. Nous n’avions jamais eu autant de communes avec à leur tête un maire communiste. En Seine-Saint-Denis, vingt-sept villes sur quarante étaient dans ce cas. Aux élections législatives de 1978, le PS arrive devant le PCF avec 22,82% des voix, contre 20,61%. Cette échéance se traduisait par un sensible recul de notre parti et une progression notable du PS. Cela signifiait que les résultats obtenus aux municipales de 1977 s’expliquaient pour une large part par les progrès du PS.

C’est dans cette période, faite de succès indiscutables mais aussi d’un recul de notre influence, que je pris part à une conférence de section à La Plaine Saint-Denis. C’était avant les élections législatives de 1973, et donc peu de temps après la signature du programme commun. J’ai toujours en mémoire les interrogations d’un camarade. Sa question était pleine de bon sens : « Sur quelles bases allons-nous mener campagne pour ces élections puisque nous avons le même programme que le Parti socialiste. Comment pouvons-nous nous différencier ? » La discussion a naturellement permis d’avancer sur le fait que, pour notre part, nous voulions en finir avec le capitalisme et que nous agissions pour un « socialisme aux couleurs de la France », comme nous disions alors, tandis que le Parti socialiste, qui n’avait pas changé de nature, restait un parti social-démocrate. Il n’empêche, pour les électrices et les électeurs qui devaient se prononcer, nous étions bien liés par le même programme.

Quitter ou rester au gouvernement ?

Au moment où j’écris ces lignes, nous sommes entrés dans le « tournant de la rigueur » décidé par François Mitterrand et le débat est vif entre ceux de nos camarades partisans de voir nos ministres quitter le gouvernement, et ceux qui, au contraire, pensent qu’il faut poursuivre cette expérience. Je fais partie de ceux qui veulent que les ministres communistes quittent le gouvernement. Mais, je le dis humblement, je ne suis pas sûr d’avoir encore les réponses à la question que me posait le camarade de La Plaine Saint-Denis, et qui continue de me tarauder.

Nos résultats aux élections municipales de mars 1983 montrent que nous avions raison de redouter ce scrutin. Nous avons perdu de nombreuses municipalités conquises en 1977. Pas moins de sept en Seine-Saint-Denis. Nous payons notre participation au gouvernement. Mais combien nous aurait coûté notre refus d’y participer ? Impossible de le savoir. Rien n’est simple. Et les interrogations se bousculent dans ma tête. En tout état de cause, notre participation au gouvernement ne m’apparaît pas comme la seule explication de ces reculs. Penser qu’il suffit que le PCF soit un aiguillon capable de « tirer » le PS à gauche ne peut résumer la politique et les choix qui doivent être les nôtres. Il est temps de revisiter notre stratégie ». Romainville, le 17 avril 1983

(À L’ÂGE OÙ LA VIE SE RACONTE. Pages 73, 74 et 75.)

jeudi 26 juin 2025

« L’HUMANITÉ EN JEU », l’éditorial de Fabien Gay dans l’Humanité Magazine.



Notre humanité court un danger existentiel. Les efforts des États devraient converger vers la coopération pour lutter contre les effets du dérèglement climatique, et l’augmentation de la richesse mondiale, à hauteur de 4,6%, devrait être mise à contribution pour réduire les profondes inégalités. Au lieu de cela, des incendiaires cherchent à nous plonger dans l’abîme de la guerre.

L’intervention conjointe de Benyamin Netanyahou et ­Donald Trump pour bombarder l’Iran est une folie guerrière qui pourrait embraser le Moyen-Orient, et au-­delà. L’Iran des mollahs, que nous condamnons en tant que régime autoritaire et liberticide envers son peuple et en particulier les femmes, est bien l’agressé de la séquence. Une nouvelle fois le droit international est bafoué, et c’est la population civile iranienne qui est première victime de cette escalade militaire, comme la population israélienne.

 

L’autocrate Vladimir Poutine, sanctionné à raison dans sa sale guerre contre l’Ukraine, doit se réjouir. Les instances internationales vont-elles tolérer un deux poids, deux mesures qui renforcerait la primauté de la force sur le droit? Aucune preuve de lexistence de la première bombe nucléaire de lIran, signataire du traité de non-prolifération et régulièrement visité par lAgence internationale de l’énergie atomique, n’a été apportée. La démonstration ressemble fort à celle de Colin Powell, pour justifier la guerre en Irak, avec le succès que l’on connaît…

 

Après le Liban, la Syrie, c’est la stratégie du chaos que mène le sinistre Netanyahou, criminel de guerre, sous le coup d’un mandat d’arrêt international, qui a réussi à saboter une conférence internationale sur la reconnaissance de l’État palestinien et qui tente de détourner les regards de sa politique coloniale et génocidaire. Écraser un État, déjà exsangue du fait des sanctions occidentales et des contestations internes, ne conduira pas à un changement de régime démocratique et pacifié, qui ne peut être imposé que par la lutte des forces progressistes iraniennes. Tel-Aviv et Washington ont en revanche tout intérêt à isoler et radicaliser le gouvernement iranien pour maintenir le Moyen-Orient en état de tension. La fermeture probable du détroit d’Ormuz en est l’exemple, et les ultras du régime iranien pourraient accélérer un programme nucléaire militaire.

 

Celles et ceux qui croyaient, même chez les progressistes, que le trumpisme s’articulerait autour d’un isolationnisme pacifiste sont rappelés à la dure réalité de ce qu’est l’impérialisme états-unien. Dominants mais plus vraiment hégémoniques, les États-Unis alimentent un désordre mondial pour faire oublier leur échec dans le dossier russo-ukrainien ou leur piteuse guerre commerciale. Les pays occidentaux apparaissent hypocrites, s’autoproclamant modèles démocratiques mais laissant le droit international être piétiné quand leurs intérêts ou alliés sont impliqués. Les gouvernements européens continuent d’être spectateurs pour ne pas froisser Washington. Ces derniers jours nous démontrent l’urgence à dénucléariser le monde: la dissuasion nucléaire ne sera jamais une garantie de paix, mais un vecteur d’escalade jusqu’à l’apocalypse.

 

À quelques semaines du 80e anniversaire des bombardements d’Hiroshima et Nagasaki, conduisant à la mort de 300000 personnes, il est urgent que les nations changent leur approche de la paix, qui ne se gagnera pas avec la force, comme le rappelle l’organisation Nihon Hidankyo, dernier prix Nobel de la paix, composée de survivants des bombardements atomiques et qui œuvrent pour une dénucléarisation du monde. À l’image de l’appel commun des partis communistes iranien et israélien, c’est par un renforcement des mouvements de solidarité internationale et par les mobilisations populaires que le monde sortira de l’engrenage de la guerre.

 

« Trump et Netanyahou ne connaissent qu’une loi : celle du plus fort », l’éditorial de Rosa Moussaoui.



La Charte des Nations unies scellait voilà quatre-vingts ans la libre union de peuple résolus, au lendemain de la défaite du nazisme, « à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui (…) a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances ». L’ONU célèbre cet anniversaire dans un monde au bord de la déflagration, sous le feu croisé des invectives dont la couvrent Benyamin Netanyahou et Donald Trump.

Le premier, commanditaire du génocide en cours à Gaza, visé par un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, désigne l’ONU comme une « maison des ténèbres », un « bourbier de bile antisémite ». « Personne ne nous arrêtera », avait averti le premier ministre israélien après la plainte déposée par l’Afrique du Sud devant la Cour internationale de justice pour tenter de stopper l’insoutenable carnage perpétré dans l’enclave palestinienne.

Le second, qui a décrété le retrait des États-Unis de plusieurs instances mondiales de coopération sur la santé, le climat, les droits humains, se dit convaincu que son pays ne peut accomplir « son destin d’artisan de la paix » que par le recours à « la force ». Tous deux revendiquent une stratégie de délégitimation de toutes les institutions multilatérales. Ces alliés ne connaissent qu’une loi, celle du plus fort.

L’unilatéralisme et les desseins hégémoniques de Washington n’ont rien d’une nouveauté : ils sont une constante de la politique extérieure des États-Unis et de l’ordre international issu de la Seconde Guerre mondiale. Israël piétine depuis bien longtemps toutes les résolutions de l’ONU relatives à la décolonisation de la Palestine. Mais il y a dans la frénésie avec laquelle le chef du gouvernement israélien et le président américain violent une à une toutes les règles du droit international la promesse d’un monde proprement invivable pour tous.

Un verset de la Bible dit que ce qui ne s’obtient « ni par la puissance, ni par la force » s’obtient par l’« esprit ». Un dicton populaire, en Israël, en a renversé le sens : « Ce qui ne s’obtient pas par la force s’obtient avec plus de force. » Choisir la force contre l’esprit, contre la loi, c’est laisser libre cours à la barbarie.

 

Fonte des glaces, hausse du niveau des mers… « Tais-toi et nage », le billet de Maurice Ulrich.



Il faudra l’expliquer aux enfants. Le désert croît, la mer monte, les glaciers fondent et la neige n’est plus qu’un souvenir, il fait 45 degrés à l’ombre, mais c’est pour que les entreprises gagnent plus d’argent. Lundi, les États européens se sont mis d’accord, écrivent les Échos, pour réviser les deux directives sur lesquelles reposait le Pacte vert adopté en 2019.

C’est la suite d’un rapport de Mario Draghi, passé de la banque Goldman Sachs à la présidence de la Banque centrale européenne puis, pour un temps, président du Conseil des ministres italien, dont les conseils sont toujours appréciés. Il a en effet conclu que le poids de la réglementation sur les entreprises en matière environnementale était un obstacle à la compétitivité.

En conséquence, ce qu’on appelle le devoir de vigilance ne s’appliquera plus qu’aux entreprises au-dessus de 5 000 salariés au lieu de 1 000, et 85 % des entreprises vont être libérées des obligations de ce qui s’appelle le Reporting ESG (environnement social et gouvernance). Papa, maman, c’est quoi le déluge ? Tais-toi et nage.

 

mercredi 25 juin 2025

« Cessez le feu avec l'Iran mais rien à Gaza : le salaire de Netanyahou », l’éditorial de Maurice Ulrich.



L’appel au cessez-le-feu de Trump et son numéro de chantre de la paix ne concernent pas Gaza. On se souvient de son idée, d’un cynisme absolu, d’en faire une Riviera. On ne peut omettre non plus sa volonté de redessiner la carte géopolitique du Moyen-Orient avec le concours de Netanyahou et avec la passivité – c’est un euphémisme – de l’Union européenne (UE), à l’exception notable de l’Espagne et de l’Irlande.

Si tous les dirigeants européens n’ont pas repris les mots du chancelier allemand Friedrich Merz (« Israël fait le sale boulot pour nous tous »), c’est tout de même une sorte d’union sacrée que l’on a vu se créer dès les premiers bombardements. Emmanuel Macron déclarant pour la France qu’Israël était en droit « de se protéger et d’assurer sa sécurité ». Singulier renversement de perspective qui justifiait sans doute le report de la reconnaissance de l’État palestinien.

On ne peut être dupes. Face à la montée des protestations, dans le monde comme en Israël, l’attaque de l’Iran est arrivée à point pour Netanyahou et son extrême droite. Silence, on tue. Chaque jour, la liste des morts s’allonge, et particulièrement près des points d’« aide humanitaire » contrôlés par Israël et les Américains qui prennent des allures de pièges. 56 000 morts dont plus de 15 000 enfants. Des chercheurs de Harvard ont même avancé ces dernières heures le chiffre effarant de 377 000 disparus.

À Bruxelles, où est arrivée lundi une marche citoyenne exigeant la suspension de l’accord d’association liant Israël et l’UE, on discute de nouveau de Gaza, mais avec des précautions de langage qui laissent pantois. Rendu public vendredi, un audit de la Commission écrivait : « Il existe des indications selon lesquelles Israël n’aurait pas respecté ses obligations en matière de droits de l’homme. »

Des indications ? La Cour pénale internationale a émis explicitement un mandat d’arrêt contre Benyamin Netanyahou pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité dans la bande de Gaza. L’UE doit prendre la mesure de ses responsabilités. La complaisance devient de la complicité. Le sale boulot que Netanyahou fait « pour nous » ne peut avoir pour salaire l’oubli et le martyre de Gaza.

 

« La fortune des riches augmente moins vite que celle des ultrariches : comment voir les choses du bon côté ? », le billet de Maurice Ulrich.



Si on met à part tout ce qui va mal, on peut voir le bon côté des choses ou plutôt les choses vues « du bon côté ». D’après le cabinet de conseil Capgemini, la fortune des plus aisés dans le monde a dépassé les 90 000 milliards de dollars. Le nombre de personnes fortunées a augmenté de 2,6 % en moyenne et de 6,2 % pour les ultrariches.

Mais attention, la fête n’est pas la même partout. L’Europe est un peu à la peine. En France, c’est contrasté. Le nombre des riches disposant d’un patrimoine financier, hors résidence principale, de 1 à 5 millions de dollars a légèrement baissé, mais celui des très riches avec plus de 30 millions a augmenté de 4,5 %.

Comment expliquer ça ? Une partie de la réponse est à lire dans les Échos. « Les entreprises françaises sont connues pour être les plus généreuses d’Europe avec leurs actionnaires. » Avec des versements en hausse cette année. Et, comme on le sait, il pleut toujours où c’est mouillé. On comprend mieux le ruissellement.

lundi 23 juin 2025

« La guerre contre l’Iran, le coup de force de trop de Trump », l’éditorial de Stéphane Sahuc dans l’Humanité



Il n’a fallu que quelques mois à Donald Trump pour entraîner les États-Unis dans une nouvelle guerre, après avoir promis à tout le monde qu’il mettrait « fin au chaos au Moyen-Orient ». Une guerre qui rappelle par certains côtés celle de George W. Bush contre l’Irak et le régime de Saddam Hussein, alors accusé de disposer d’armes de destruction massive. Mais la guerre de Trump au Moyen-Orient risque de se terminer encore plus mal.

Le milliardaire de la Maison-Blanche – dont la fortune a doublé en six mois de présidence – s’est assis sur les procédures constitutionnelles de son pays en envoyant les B-2 larguer leurs bombes sur l’Iran sans aucun feu vert du Congrès. Il s’est passé d’une campagne de propagande pour embarquer ses concitoyens dans la guerre. Comme pour le reste, Trump mise sur la stratégie du choc pour imposer ses choix, sur la sidération pour museler toute opposition.

Mais attaquer l’Iran est peut-être la décision de trop. Le président des États-Unis est en échec – même s’il le nie – sur la quasi-totalité des dossiers. L’option chef de guerre déterminé devait redorer son blason, mais les Américains ne sont pas dupes du prix qu’ils risquent de payer. Les bombardements sur l’Iran pourraient renforcer l’ampleur du rejet du locataire de la Maison-Blanche.

Déjà lors du No Kings Day, le 14 juin, 4 à 6 millions de manifestants sont descendus dans la rue pour contester sa politique. Ce qui en fait l’une des plus grandes mobilisations jamais organisées dans l’histoire des États-Unis. Le refus de la guerre pourrait démultiplier le nombre de manifestations prévues d’ici au 4 juillet. Le jour de la Fête de l’indépendance sera le point d’orgue des protestations anti-Trump, comme le montrent les milliers d’initiatives déjà recensées par le site 50501, pour « 50 États, 50 manifestations, un mouvement ».

L’Amérique qui rejette le trumpisme, ses guerres, sa violence et sa brutalité relève la tête. Elle risque de connaître une répression inédite. Mais, paradoxalement, c’est peut-être d’elle que viendra l’étincelle d’un mouvement international pour refuser ce monde où la raison du plus fort, du plus riche, du plus armé devient l’alpha et l’oméga des relations internationales comme des politiques intérieures.

 

Trump bombarde l’Iran : pourquoi la presse de droite lui dit « merci » ?, le billet de Maurice Ulrich.



On sent de l’admiration. Les États-Unis, écrivait lundi le directeur de la rédaction du Parisien, Nicolas Charbonneau, « ont montré leur puissance et leur détermination, Donald Trump avait prévu de se donner du temps, il a préféré frapper fort et vite ». Dans l’Opinion, l’éditorialiste du jour était comme rassuré et même ravi : « Non le président américain ne se dégonfle pas toujours. » Une idée inventée, dit-il, pour évoquer ses menaces comme ses reculades « qui a volé en éclats »… Cette audace, « ni Bush, ni Obama, ni Biden ne l’avait eue ».

Mais c’est le politologue de droite Dominique Reynié, qui prend régulièrement sur France Inter son petit déjeuner servi par Nicolas Demorand, qui a donné une version plus forte encore de la situation. En fait, il ne s’agissait pas seulement de l’Iran et d’Israël, mais de donner un coup d’arrêt aux forces qui défient les États-Unis et aux despotismes qui veulent opérer un renversement planétaire. Et, si le monde évite ce coup de force, il le devra à « l’esprit de décision de Donald Trump ». On ne lui dit pas merci.

Nouvelle : « Les oiseaux »



Nous les envions de vivre si haut et si libres. C’est une très grande joie que de suivre des yeux un vol de grues cendrées. Elles forment un gigantesque V qui ondule mais ne se brise pas, poursuivent une route mystérieuse vers des contrées lointaines que nous ne verrons jamais. Comment ne pas aimer cette déchirante beauté de ces vols qui disparaissent à l’horizon mais qui, pourtant, continuent de vivre quelque part. Ils expriment dans leur grandeur sauvage la blessure des regrets. C’est à l’automne que l’on aperçoit le plus de vols dans le ciel, les palombes en octobre, les grues cendrées en novembre, et au cœur de l’hiver, ceux des vanneaux. Ces oiseaux de passage ont tendance, sans doute à cause des modifications climatiques, à s’attarder chez nous. Le plus secret d’entre eux est la bécasse. On l’attend, on l’espère, or elle ne voyage pas en groupe mais seule. C’est cet oiseau qui exprime le mieux le mystère du passage. Ces oiseaux fragiles et magnifiques sont dans la mort d’une tristesse infinie. En revanche, dans la vie, leurs yeux d’un noir brillant savent voir ce que nous ne verrons jamais. Auparavant, apercevoir un héron tenait du miracle. Aujourd’hui, ils sont plus nombreux dans les prairies, dans les lits des rivières et près des lacs. C’est toujours un enchantement que de surprendre l’un d’eux, une patte levée, cherchant dans l’eau basse l’ablette ou le gardon dont ils se nourrissent. Ils sont devenus de moins en moins farouches. Leur vol, d’une extrême souplesse, est une merveille de grâce et d’équilibre. Le gris de leur plumage ressemble à celui des ciels de neige. Ils étonnent toujours le regard par leur grandeur inhabituelle en des lieux où les oiseaux sont de moindre envergure. C’est le cas des rapaces, qui, eux, pour la plupart, ne migrent pas et nichent au plus haut des arbres. Le plus répandu est la buse, qui tourne tout le jour sur les ailes du vent, pour guetter une proie jusqu’au cœur des basses-cours. C’est un bel oiseau, aux plumes rousses, à l’œil violent, dont le vol lourd est silencieux. Comme celui des milans, qui demeurent des heures, suspendus au plus haut du ciel, et dont l’appel bref et rauque trahit une inquiétude pour les oisillons restés au nid. Depuis quelques années, les cormorans, qui, il y a dix ans, ne peuplaient que les bords de mer, ont rejoint les éperviers et leur disputent leur pitance. J’ai horreur de ces grands oiseaux noirs, au cou tordu, qui peuvent rester plusieurs minutes dans l’eau et dévastent lacs et rivières. Pour quelles raisons ont-ils quitté les rivages de la mer pour passer l’hiver sur les plans d’eau et rivières ? Nul ne le sait vraiment. Quelque chose, s’est rompu dans l’équilibre de ces espèces. Les migrateurs ne sont plus les mêmes et bon nombre de ceux qui migraient sont devenus sédentaires. Le monde a changé. Les oiseaux aussi. Comme parfois, les êtres humains, ils ont perdu leurs repères. Pas tous heureusement ; les oies sauvages et les grues cendrées continuent de tracer les mêmes routes, très haut, dans le ciel d’automne, et notre regard peut les suivre jusqu’à l’horizon dans lequel elles se fondent. Quand elles ont disparu, nous savons qu’elles continuent de vivre quelque part. Chaque fois, en les perdant des yeux, on peut penser aux mots magiques de Saint-John Perse : « Doublant plus de caps que n’en lèvent nos songes, ils passent, et nous ne sommes plus les mêmes. »

 

« Bombardements en Iran : la logique criminelle et irresponsable de Donald Trump et Benyamin Netanyahou », l’éditorial de Cathy Dos Santos



Donald Trump a franchi une ligne rouge. Le président s’en défend, mais il a bel et bien engagé les États-Unis dans une confrontation directe avec l’Iran, quitte à se fâcher avec son électorat « isolationniste », réfractaire à toute implication dans un nouveau conflit au nom de « l’Amérique d’abord ». Le milliardaire, qui est passé à l’acte sans l’autorisation du Congrès, continue de menacer Téhéran d’une nouvelle « tragédie » si la République islamique ne se plie pas à ses injonctions et à celles d’Israël.

Le régime théocratique et sanguinaire est contestable et condamnable mais aujourd’hui l’Iran est une nation agressée. Les pilonnages de trois centrales nucléaires – outre leur caractère éminemment dangereux – sont illégaux et illégitimes. Il n’y a pas de preuves tangibles de l’existence d’un arsenal atomique, comme l’affirment les experts de l’AIEA et… la CIA.

Le magnat de l’immobilier, adepte des volte-face fracassantes, ne semble pas mesurer l’onde de choc de son action au Moyen-Orient et au-delà. Personne ne peut prédire quelle sera la réponse de Téhéran, même affaibli. L’éventuelle fermeture du détroit d’Ormuz entraverait le commerce mondial de l’or noir et pourrait constituer un nouveau prétexte pour bombarder le pays. L’avertissement du secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, doit être entendu lorsqu’il qualifie les bombardements de Washington de « menace directe à la paix internationale ».

La croisade de la première puissance mondiale et de son allié israélien doit être battue en brèche. « La paix par la force » ânonnée par Trump et Netanyahou, et défendue en son temps par Ronald Reagan, revient à faire la guerre et à fouler aux pieds un droit international déjà fragilisé par l’impunité des crimes de Tel-Aviv à Gaza et en Cisjordanie occupée. Cette logique est criminelle et irresponsable.

Les échecs en Irak en 2003 ou encore en Libye en 2011 en attestent : imposer la paix par les armes est un non-sens aux conséquences tragiques. « On n’exporte pas la démocratie dans un fourgon blindé », disait, à juste titre, Jacques Chirac. Malgré le coup de poignard de Donald Trump, la diplomatie peut encore se frayer un chemin. À la condition de se dégager de la tutelle de la Maison-Blanche et de l’atlantisme béat de certaines chancelleries, complices de l’actuelle déflagration.

 

« Photos », le billet de Maurice Ulrich.



Il n’est pas facile d’écrire quand nous partageons un deuil et que l’actualité ne désarme pas. Magali était une collègue et une amie. Familière du festival de photographie d’Arles, elle l’était tout autant des grands qu’elle avait côtoyés, Doisneau, Cartier-Bresson, Willy Ronis… Elle était aussi très attentive au photojournalisme témoignant de la faim, des exils, des guerres, de l’exploitation du travail et du sexe, des enfants… La photo pour elle était un engagement, comme son choix de l’Humanité. Israël ne veut pas que soient diffusées des photos d’enfants de Gaza. Des enfants tués, blessés, tenaillés par la faim, qui ont désappris à rire. Les enfants d’Iran découvrent les routes de l’exode, le fracas des bombes. Magali, née dans les années d’après-guerre, avait à peu de chose près le même âge que cet enfant photographié par Doisneau sur son banc d’écolier, levant le nez et les yeux vers le ciel pour chercher les oiseaux, pas les bombardiers, que cet autre avec sa baguette de pain qui ne sera pas déchiqueté par une bombe…

DERNIER VOYAGE !

Lui, le vrai combattant contre toutes les guerres, Lui le vieux militant, vient de se faire la paire.   Pour son dernier voyage, Ils étaie...