mercredi 29 mai 2024

« Le souffle du monstre sur la nuque », la chronique de Patrick le Hyaric.



Alerte ! Un duo maléfique nous étouffe. Il prive la démocratie de son oxygène. Il est en mission pour sauver le système. Sauver une Union européenne conçue pour les puissances d’argent, alignée sur les États-Unis, roulant comme un bulldozer, sur les droits sociaux et démocratiques, et le droit à l’environnement. Le duo agit au grand jour désormais. Tantôt Bardella-Attal, tantôt Macron-Le Pen. Ensemble, ils créent un écosystème où ils se nourrissent l’un, l’autre. Leur projet commun : enterrer le pluralisme politique, fermer pour longtemps la porte à toute alternative de changement progressiste, faire disparaître les forces de gauche de transformation et de l’écologie politique. Leur stratégie ? Le mensonge permanent.

L’extrême droite qui durant une quarantaine d’années a servi de repoussoir pour maintenir de fidèles mandataires du capital au pouvoir est désormais en passe de devenir elle-même fondé de pouvoir du grand capital dans la plupart des pays européens en lieu et place de ses géniteurs.

La nourriture politique de ces extrêmes droites se trouve dans le terreau en décomposition politique, le saccage des conquis sociaux et démocratiques et de la réactivation des réflexes racistes dans des pays héritiers d’une vieille histoire de domination et de colonisation. La désignation de « l’étranger » comme responsable de tous les maux sert précisément à détourner les regards du véritable responsable des souffrances populaires et des crises : le capitalisme globalisé. L’internationale de la haine accompagne ainsi bras dessus, bras dessous l’internationale du grand capital prédateur.

La putréfaction politique sert à la recomposition du capitalisme qui se sécurise en installant une béquille. Le président de la République, une grande partie de la grande presse et de nouveaux médias rachetés directement par les puissances d’argent n’ont eu de cesse depuis des années d’élever le seuil de tolérance dont bénéficie le RN/FN.

 À l’instar de Berthold Brecht nous ne saurions trop que conseiller d’apprendre à voir plutôt que de rester les yeux ronds face au désastre possible. L’entrée en campagne d’Attal et de Macron dans une élection qui sert à renouveler le Parlement européen est un immense service à la campagne du premier de liste d’extrême droite qui ne cherche qu’à renationaliser un scrutin au moment même où se pose comme jamais l’enjeu de la nature d’une construction européenne associant les peuples et les nations solidaires libres, souveraines. Une union européenne actrice pour préserver la paix, pour lutter contre les dérèglements climatiques, pour préserver la biodiversité, pour traquer l’évasion fiscale, pour coopérer avec les pays du sud, pour préserver et élargir les sécurités sociales et les sécurités humaines tout au long de la vie, promouvoir les droits des femmes, faire vivre la solidarité et le droit d’asile.

Le duo maléfique fait absolument tout pour échapper à de tels débats. Et pour cause ! En parler reviendrait à dresser l’acte d’accusation des dirigeants européens qui ont déjà entrepris de reprendre des pans entiers des programmes des extrêmes droites. On vient de le voir sur les enjeux environnementaux avec les mauvais ajustements de la politique agricole commune pour répondre aux injonctions de l’agro-business. Il en est de même sur l’immigration avec le pacte asile-immigration.

Combattre le dégoût et l’abstention dans les classes populaires implique un débat et des initiatives politiques audacieuses, de haut niveau pour faire voir et repousser le piège anti-démocratique tendu par ce dangereux rétrécissement du débat public.

Nous sommes entrés dans une phase ou l’appareil d’État, le complexe médiatique et sondagier, une partie du système policier sont aujourd’hui utilisés pour mettre en scène le duel avec l’extrême droite.

Passée de 37 à 115 députés se répartissant dans deux groupes depuis les élections de 2019, l’extrême droite pourrait en avoir 150 sur 705 députés européens après le 9 juin. Des députés qui agiront contre les droits des femmes, contre toutes avancées sociales, et pour protéger les grandes fortunes, les détenteurs de capitaux et la rente, contre des décisions favorables à l’environnement, contre le droit d’asile, pour la mise au pas de la justice et de la presse. Leur objectif est de formater la construction européenne dans le cadre de nationalismes capitalistes menant la guerre sociale contre les travailleurs et soufflant sur les braises de la guerre militaire. Chaque citoyen, chaque travailleur, chaque retraité qui utilise le bulletin du RN/FN se tirent, souvent sans même le savoir, une balle dans le pied. Le nationalisme qui porte en lui le repli, le rejet de l’autre, s’oppose frontalement aux exigences de coopération, d’alliances ; d’engagement commun pour faire face aux fracas du monde, aux rapaces de la finance, du numérique et de la militarisation, aux dérègleurs du climat.

La progression des extrêmes droites au Parlement européen peut avoir comme conséquence, l’accélération de la fusion des droites ou un consensus renforcé entre la droite du parti populaire européen et Renew avec les sociaux-démocrates pour conforter les politiques austéritaires et atlantistes. Dans les deux cas, les travailleurs, les jeunesses seront perdants.

Les démocrates, les progressistes, les syndicalistes, les militants des droits humains, les associations ont donc la lourde responsabilité de ne pas laisser les citoyens s’enfermer dans la tenaille Macron-Le Pen.

Laisser-faire, c’est ouvrir les portes d’une catastrophe d’autant plus grave que le pouvoir ne se contente pas d’organiser ce « mauvais duo ». Il reprend aussi des parties de la partition de l’extrême droite quand ils votent ensemble, la politique agricole commune ou le pacte asile-immigration – que Macron juge insuffisamment ferme.

Ce même pouvoir, qui à Bruxelles, a voté contre la directive sur le devoir de vigilance des entreprises qui devait obliger les multinationales à « corriger leur impact négatif sur l’environnement et les droits humains » ou la directive sur les plates-formes numériques censée améliorer les droits des travailleurs de celles-ci. Ce pouvoir qui veut faire une sérieuse entaille dans le droit du sol et prépare le terrain glissant de la préférence nationale dans la loi immigration votée par Le RN/FN.

Dans un tel contexte, les responsabilités des forces de gauche et de l’écologie politique sont immenses. Se vautrer dans le sol boueux de vaines polémiques, des insultes, et des ressentiments désespère et nourrit une abstention qui fait monter les piles de bulletins d’extrême droite dans les urnes. Aucune force de gauche et de l’écologie ne profite de l’affaiblissement de l’autre. Surtout, c’est le monde du travail et de la création qui a plus que jamais besoin d’être protégé et de disposer de forces politiques pour ouvrir un processus de transformation sociale, écologique et démocratique.

Dire cela ne signifie pas qu’il faudrait couvrir d’un voile trompeur les différences et les divergences. Il y en a sur l’OTAN, la nature de la construction européenne, la sortie ou non du capitalisme, l’énergie. Mais il y a aussi tous les dévouements et les luttes communes pour l’amélioration du sort des travailleurs, la défense et le renouveau de la République, les combats pour une Europe sociale, solidaire, écologiste, féministe, antiraciste, anticolonialiste, pour une autre politique agricole commune, pour assécher les paradis fiscaux, une autre répartition des richesses, la promotion des services publics.

C’est si vrai que durant la législature qui se termine, sur les 14 910 votes au Parlement européen, dans 80 % des cas les députés de gauche et écologistes français ont voté de la même façon. Une proportion identique lors de la précédente législature. Du reste, le programme de la défunte NUPES comprenait sur les enjeux européens un programme partagé tout en actant des désaccords. Tout en votant communiste et en appelant à voter communiste le 9 juin prochain, je considère que le gain de voix d’une force sur l’autre est une entrave à la conquête de majorité d’idées et surtout de majorité politique pour à la fois sortir du macronisme, empêcher l’extrême droite de le remplacer et bâtir dans le débat et dans l’action un processus anticapitaliste de progrès social et écologique. À court terme, l’affaiblissement de chaque force de gauche revient à s’amputer de l’élection de députés européens au profit en général de la liste placée en tête dans les enquêtes d’opinion. Cultiver, mobiliser, convaincre, donner le goût des urnes devrait être notre œuvre commune.

L’initiative unitaire et européenne des syndicats, CGT, CFDT, UNSA contre l’extrême droite doit être saluée. Les paroles de Sophie Binet rappelant que « l’extrême droite arrive toujours au pouvoir quand la gauche est divisée » doivent être écoutées. Les marches et actions unitaires qui germent un peu partout à l’initiative d’associations et de citoyens, d’actrices et d’acteurs de la culture doivent être soutenues. Les combats pour des avancées sociales et l’égalité créent des solidarités à l’entreprise comme dans la cité et rendent sensibles les intérêts de classe, les solidarités et des alliances permettant de dépasser les rejets, l’essentialisation des individus et le racisme. Condition pour mettre fin à l’élargissement des flaques brunes qui s’étalent sur le pays. Le temps presse. Car, qui ne sent pas le souffle odorant et rauque du monstre derrière sa nuque ? Qui ne voit s’affaiblir les palpitations du cœur de la démocratie ? Le sursaut est nécessaire. Il est encore possible !

Patrick Le Hyaric

28 mai 2024

 

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