L’Histoire a l’habitude de se dispenser des femmes,
l’histoire de l’art en fait tout autant. Pourtant, il y a toujours eu des
femmes artistes, mais on a tout simplement ignoré leur travail et l'histoire
les a oubliées ». Un oubli qui nous rend toutes et tous ignorant.e.s d’une
partie de notre patrimoine culturel et artistique : en effet, en dehors de
quelques références, qui connaît les noms de ces femmes architectes,
compositrices, artistes, cinéastes, écrivaines qui ont participé à
l’édification de notre culture ?Depuis de nombreuses années maintenant, des
chercheur.euse.s, collectifs et associations, alertent sur l’invisibilisation
des femmes et tentent de redonner leur place à ces créatrices qui constituent
le capital artistique et culturel de l’humanité.
Quelle que soit la discipline, jeune ou ancestrale,
les noms des femmes restent cruellement invisibles. Pour preuve, né alors que
les mouvements féministes se créaient, l’art encore jeune qu’est le cinéma
s’est déjà construit un panthéon bien masculin : qui hormis les cinéphiles
averti.e.s connaît l’œuvre d’Alice Guy ? Qui sait que Musidora - égérie
des Surréalistes - fut productrice dès 1917 ? Ou encore que la journaliste
Germaine Dulac a, elle, créé la compagnie DH Films en 1916 ? Sans parler
de Jacqueline Audry, cinéaste, qui de 1945 à 1968, a réalisé seize longs
métrages de fiction, ce qui en fait la plus prolifique au monde.
Et lorsque l’on cite « Angélique Mongez »,
« Adélaïde Labille-Guiard », « Hortense Haudebourt-Lescot » …
qui peut dire à quelle discipline et quels siècles rattacher ces noms ?
Qui connaît ces femmes peintres ayant exercé entre la fin du XVIIIe et le début
du XIXe siècle ? De même, quelle place dans nos bibliothèques pour les
œuvres de Catherine Bernard, Marie-Anne Barbier, Marceline Desbordes-Valmore ou
encore Hélène Bessette ? Oubliées des livres d'histoire de l'art, comment
peuvent-elles être connues du grand public.
Grâce aux travaux et aux mobilisations des différentes
associations, on mesure mieux l’étendue de l’invisibilisation. Ainsi « la base
de données Joconde », qui répertorie les œuvres des musées français, permet de
comptabiliser dans les collections du Louvre — qui rappelons-le couvre une
(plus que vaste !) période allant de l’Antiquité au milieu du XIXème
siècle — 42 peintures exécutées par 28 femmes, sur un total de 5387 œuvres,
soit 0,78 % du corpus. Un chiffre qui en dit long.
Regard similaire quant au monde musical :
seulement 1 % des œuvres jouées en salle sont des pièces de compositrices
classiques.
Une étude a révélé que, de 1946 à 2017, la part de
réalisatrices dans la sélection officielle n’a jamais dépassé les 20% et seuls
7% des grands prix ont été remportés par des femmes.
Comment expliquer concrètement ce résultat ?
Faire de l'histoire, c'est faire des choix, donc exclure. En histoire de l'art,
il y a eu une mise à l'écart des femmes, qui n'était pas forcément
conscientisée. Ainsi, à la fin du XVIIIe siècle les femmes peintres étaient
aussi bien considérées que les hommes.
Une histoire un peu différente pour d’autres
disciplines dans lesquelles, la société de leur temps leur a tout simplement
refusé les moyens de faire entendre leur voix. Prenons l’exemple de
l’architecture : étant donné leur place, les femmes ont joué un rôle et
marqué leur trace dans l'architecture vernaculaire. Par la suite, elles ont été
mises à l'écart des métiers technologiques et prestigieux et éloignées de la
formation académique jusqu'au début du XXème siècle, époque à laquelle la
profession d'architecte et ses écoles se sont ouvertes aux femmes.
La place des femmes dans la musique a connu une construction
similaire : la filière musicale a consisté à nier l’accessibilité des
femmes à une forme de génie ou de créativité musicale. De manière plus formelle
encore, elles ont été limitées à des instruments particuliers, les instruments
à vent, par exemple, leur étant longtemps interdits.
La littérature n’est pas en reste. Les autrices ont pu
voir, de leur vivant, leur travail souvent critiqué, minimisé, relayé au rang
de littérature « de seconde zone ».
L’espace public au XXIème siècle continue de rendre
les existences de ces artistes et intellectuelles invisibles : les rues
portant des noms de femmes pèsent à peine 5 % dans le total des rues baptisées
d’un nom de personnage historique ou relevant du champ culturel.
Autre lieu d’enjeux, les programmes scolaires. Comment
espérer faire changer les choses si au moment de leur formation les futur.e.s
citoyen.ne.s ignorent, la place qu’ont eu les femmes dans la création ?
Les recherches montrent la part plus qu’infime que
représentent les femmes autrices (3,7 %) et artistes (6,7 %) dans l’ensemble
des manuels. Quant aux femmes philosophes, elles n’y sont citées que cinq fois
(695 fois pour les hommes philosophes). Parmi les personnalités historiques et
spécialisées (science, sport, critique littéraire, sciences humaines etc.), les
femmes ne sont que 15,5 %.
Pour achever le travail d’invisibilisation, les œuvres
des autrices restent moins rééditées que celles de leurs homologues de genre
masculin. Ainsi dans le domaine musical les partitions éditées et jouées à une
époque subissent le manque de demande – liée de fait à l’ignorance même de leur
existence – qui annule leur réédition. Les œuvres littéraires et poétiques
subissent le même sort. De même, les numérisations des œuvres sur pellicules et
donc périssables, restent des enjeux majeurs. Là aussi l’absence au répertoire
des œuvres des femmes reste leur premier ennemi.
Pour les institutions culturelles et artistiques, il
s’agit désormais de rendre visibles les femmes de l'art et de la culture car
elles demeurent sous-représentées. Pour tous les arts, les créatrices subissent
les mêmes discriminations : elles sont moins exposées, moins programmées
dans les festivals, moins rémunérées, moins aidées par les bourses et les
subventions, moins honorées par des prix que les hommes.
Les temps changent, heureusement et les expositions et
manifestations mettant les artistes femmes à l’honneur plus sont nombreuses.
Cependant un long chemin reste à parcourir
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