Contrairement à ce qui s'est passé en
Seine-Saint-Denis, le tribunal administratif de Melun (Seine-et-Marne) a estimé
qu'imposer les 1607 heures annuelles dans les collectivités posait peut-être un
problème en matière de libre administration des collectivités territoriales, et
a transmis la question au Conseil d'État.
Les décisions des tribunaux administratifs se suivent et ne se ressemblent pas. Il y a un mois, le tribunal administratif de Montreuil (Seine-Saint-Denis), saisi par le préfet, ordonnait à cinq communes réfractaires d’appliquer les dispositions de la loi de transformation de la fonction publique. Les maires de Bobigny, Stains, Noisy-le-Sec, Montreuil et Tremblay-en-France se voyaient ordonner de prendre sous 40 jours une délibération pour fixer « une durée annuelle de travail effectif de 1607 heures ».
Tout comme en Seine-Saint-Denis, le préfet a saisi le
TA de Melun sous forme de déféré-suspension, à l’encontre de dix communes ou
EPCI du Val-de-Marne qui « n’ont pas remis en cause avant le 1er janvier
2022 les règles de temps de travail dérogeant aux 1607 heures annuelles
».
Le préfet avait attaqué ces dix communes ou EPCI (1)
en arguant que le refus, par les maires concernés, de soumettre au conseil
municipal une délibération relative au temps de travail des agents « révèle
l’existence d’une décision (…) de refuser d’appliquer la loi ». Le
préfet a donc demandé au juge de suspendre cette décision, même si celle-ci est
implicite. Le préfet a par ailleurs demandé au juge d’enjoindre les maires
concernés de transmettre la délibération sous un mois, « sous
astreinte de 1 500 euros par jour de retard ».
Le tribunal a rendu des décisions différentes selon
les cas. Pour la moitié des communes et établissements concernés (Thiais, Grand
Orly, Gentilly, Arcueil, Le Kremlin-Bicêtre), il a tout bonnement rejeté la
demande du préfet, et donc refusé de sanctionner les communes. Explication : « Le
juge des référés a estimé que, en dépit du retard constaté, le processus
d’adaptation, qui suppose une procédure longue en raison de la consultation des
personnels, des réorganisations des services et le vote de l’assemblée
délibérante, était effectivement engagé et qu’il n’y avait en conséquence pas
de décision suffisamment caractérisée de refus d’application ».
Pour les autres communes, le juge a estimé qu’il y
avait bien un refus caractérisé d’appliquer la loi, et il a suspendu cette
décision. À Villejuif, par exemple, il s’agit bien d’une décision assumée par
l’équipe municipale : l’ordonnance du tribunal de Melun indique que « le
maire de Villejuif a signé au mois de février
2021 une tribune par laquelle des
élus ont manifesté leur refus d’appliquer
dans leur collectivité un temps de
travail de 1 607 heures par an ».
Mais, contrairement à ce qui s’est passé en Seine-Saint-Denis, le juge n’a pas accédé à la demande du préfet de ne donner qu’un mois pour appliquer la décision : « Compte tenu des contraintes encadrant l’adoption de nouvelles mesures d’organisation du temps de travail », il a estimé que cette procédure ne pouvait « se faire raisonnablement dans un délai d’un mois », et a donné quatre mois aux communes pour adopter des mesures conformes à la loi, sans astreinte.
Mais il y a plus important encore : certaines
communes avaient, à l’occasion de cette procédure, plaidé que les dispositions
de la loi de transformation de la fonction publique ne sont pas conformes à la
Constitution, en ce qu’elles « méconnaissent le principe de libre
administration des collectivités territoriales ». Ces communes ont
donc demandé au tribunal administratif de transmettre ce point au Conseil
d’État sous la forme d’une QPC (question prioritaire de
constitutionnalité).
Le tribunal administratif de Melun – ce qui constitue
une surprise – leur a donné raison. Il a estimé que cette question
n’était « pas dépourvue de caractère sérieux » et a donc accepté de
la transmettre au Conseil d’État.
Rappelons que jusqu’à la réforme constitutionnelle de
2008, il n’était pas possible de remettre en question la conformité à la
Constitution d’une loi déjà entrée en vigueur. C’est désormais possible, pour
toute personne, sous la forme d’une question prioritaire de constitutionnalité.
Mais la loi prévoit un « double filtre » : d’abord, un tribunal doit
accepter de transmettre la QPC au Conseil d’État ou à la Cour de cassation,
selon qu’il s’agisse d’une question de droit public ou de droit privé. Ensuite,
ces derniers examinent à leur tour la QPC et ont trois mois pour décider s’ils
la renvoient au Conseil constitutionnel, seul habilité à juger de la
constitutionnalité d’une disposition. Dans ce cas, le Conseil constitutionnel
a, à son tour, trois mois maximum pour statuer.
La première étape a donc été passée. Il reste aux
maires concernés à attendre la décision du Conseil d’État de renvoyer ou non la
QPC devant le Conseil constitutionnel. En cas de refus, ce sera la fin de
l’histoire : cette décision est incontestable et ne peut faire l’objet
d’aucun recours. Dans le cas contraire, il restera à attendre le jugement des
Sages, qui auraient alors à trancher sur cette question en effet
fondamentale : le temps de travail des agents de la fonction publique
territoriale relève-t-il de la libre administration, ce qui signifie que les
maires seraient libres d'en décider à leur guise ; ou peut-il être
strictement fixé par la loi ? Réponse, au plus tard, en septembre.
(1) Thiais, Gentilly, Arcueil, Villejuif,
Bonneuil, Fontenay, Le Kremlin-Bicêtre, Ivry-sur-Seine, Vitry-sur-Seine, EPT
Grand Orly.
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