samedi 12 mars 2022

Espérance !

 


Il avait baptisé sa rivière « espérance ». Tout simplement parce que les hommes ont toujours souhaité vivre près d’elle, espéré sa présence, persuadés qu’elle ne les trahirait pas, qu’elle ne les décevrait pas, qu’elle était vivante comme eux, plus qu’eux, peut-être et quelle saurait les rendre heureux. Il avait appris qu’une rivière est un être vivant, qu’elle a un corps, une âme, un territoire, une famille, des rires, une jeunesse, des colères, des souvenirs, une histoire, et surtout, comme les hommes : une enfance, une jeunesse, une maturité, une vieillesse et une mort. Dès qu’il plongeait dans ses eaux, il a senti battre son cœur dans les grands fonds, comme l’Antonio de Giono dans « le chant du monde ». 


C’est là, en effet,  que bat le cœur de la rivière, dans une eau glauque, épaisse, vigoureuse, et qui vibre, palpite comme un muscle. Du cœur au corps, il n’y a qu’un pas, ou plutôt une brasse coulée. Il a découvert ses jambes souples, ses cheveux d’algues douces, ses yeux verts et ses bras de velours. Et puis, il a émergé dans le soleil, sous un ciel qui coulait sur lui en vagues bleues, avec le souvenir d’une peau, la sensation d’une caresse. Tout de suite, il l’a aimée avec passion. Pour la connaître, l’apprivoiser, il est remonté jusqu’à sa source, car on veut tout savoir sur ceux que l’on aime. Au sommet d’une très vielle montagne, il l’a vue émerger du ventre de la terre, se faufiler entre les gentianes et les campanules, cascader en riant comme une enfant dans les torrents glacés. Il a tenté de protéger sa jeunesse dans les gorges rocheuses qui la déchirent et la font souffrir. Là résident les blessures de toute rivière, qu’il faut panser amoureusement, patiemment pour les rendre plus fortes, les préparer eu plaines, au monde des adultes. 


Il a minutieusement exploré son territoire : ses gorges, ses méandres, ses falaises, ses rapides, ses calmes, ses hauts – fonds, ses vignobles, ses rivages de sable ou de galets. Il a dormi sr ses berges pour l’écouter dormir la nuit, l’entendre soupirer et rêver près de lui. Il a respiré ce qu’elle respire pour mieux la comprendre : la mousse, l’herbe, les fougères, le calcaire, le granit, les champs, la vase et la marée. Il a appris bien d’autres choses et il a commencé à savoir qui elle était vraiment. La somme de celles des êtres humains qui descendaient le bois en Bordelais, les pêcheurs, les passeurs, les braconniers, les haleurs, les aubergistes, les matelots, les poètes, les artistes qui ont sculpté son âme romane au fronton des églises et des châteaux. Il a voyagé sur son eau vagabonde et visité les villages qu’elle effleure d’une caresse, il a pris soin de s’arrêter pour parler aux hommes qui vivent près d’elle et il a fait connaissance avec ses enfants : les ruisseaux  affluents qu’elle accueille, qu’elle protège et qu’elle aime comme une mère trop pressée. 


Il a partagé aussi ses chagrins d’hivers pluvieux, ses colères superbes, ses crues couleur de terre et ses folles tempêtes. Il a aimé ses caprices, ses besoins de solitude, de tristesses et ses rires sonores dans les étés de feu. Il a accepté, comme elle, sa vieillesse paisible et l’a accompagné jusqu’au bout du chemin – ce chemin qui chemine, disait d’elle Montaigne. C’est de la Dordogne d’un de mes fidèles amis, à laquelle Montaigne fait référence. Vous l’aurez sans doute deviné ! Descendant de l'Auvergne, entaillant les plateaux du Périgord, la Dordogne finit par s'étaler dans une large plaine avant de rejoindre la Garonne. Montaigne, aujourd'hui, reconnaîtrait-il sa «chère rivière» ?


« Quand je considère l’impression que ma rivière de Dordogne fait de mon temps vers la rive droite de sa descente, et qu’en vingt ans elle a tant gagné, et dérobé le fondement à plusieurs bâtiments, je vois bien que c’est une agitation extraordinaire; car, si elle fut toujours allée ce train, ou dut aller à l’avenir, la figure du monde serait renversée. Mais il leur prend des changements : tantôt elles s’épandent d’un côté, tantôt de l’autre; tantôt elles se contiennent ». Ce témoignage de Montaigne, observateur attentif de la rivière de Dordogne, nous rappelle combien sont changeants les paysages créés et modelés par un fleuve.

 

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