jeudi 28 août 2025

« Chantage à la dette : la gauche ne tombe pas dans le piège de Bayrou et propose ses solutions » (Aurélien Soucheyre)



Le chantage à la dette orchestré par François Bayrou ne prend pas du tout à gauche. Élus et économistes savent comment sortir du déficit et proposent de financer l’urgence sociale et écologique en retrouvant une souveraineté sur l’emprunt, sans passer par les marchés financiers.

Ils ont refait le coup. Lundi 25 août, François Bayrou a ajouté son nom sur la longue liste des responsables politiques qui instrumentalisent la question de la dette publique pour faire peur aux Français.

« Un danger immédiat pèse sur nous, auquel nous devons faire face, non pas demain ou après-demain, mais aujourd’hui même, sans retard d’aucune sorte, sans quoi l’avenir nous sera interdit et le présent durement et lourdement aggravé », a déclaré le premier ministre, qui veut imposer aux Français un effort de 44 milliards d’euros en 2026 pour réduire le déficit.

François Bayrou et la stratégie de la peur

Le chef du gouvernement a sollicité un vote de confiance à l’Assemblée nationale sur le sujet, le 8 septembre. Il estime qu’il n’y a « pas d’autre méthode » que la sienne si la France veut éviter le « chaos ». Il a même accusé les citoyens d’en être les premiers responsables.

« La dette, ce ne sont pas les gouvernements qui la consomment », a-t-il asséné, ciblant les « retraités », les « consommateurs », les « fonctionnaires », les « assurés sociaux » et les « entreprises ». « La vérité, c’est que la dette, c’est chacun d’entre nous », et que tout le monde va devoir se partager l’addition, a-t-il annoncé.

Mais qui est vraiment responsable de la dette ? Comment s’est-elle creusée ? Son niveau est-il vraiment catastrophique ? L’austérité est-elle la seule façon de la rembourser ?

« La dette, c’est un vrai sujet, mais la façon dont François Bayrou présente les choses montre qu’il se livre à une nouvelle tentative d’enfumage. Il cherche à faire peur aux gens, car la dette constitue un outil de sidération extraordinaire pour faire croire que les Français vivent au-dessus de leurs moyens et vont devoir se résigner à une dégradation de leurs retraites, de leurs hôpitaux, de leurs écoles, et de leur modèle social », dénonce Nicolas Sansu, député PCF auteur d’un rapport sur le sujet en 2015.

« Il ne faut pas considérer légèrement cette question. Mais le catastrophisme de Bayrou et les solutions qu’il propose sont typiques de ceux qui agitent la dette qu’ils ont eux-mêmes creusée pour sabrer l’État social et les services publics, alors que ce remède nous conduit droit vers la récession et la marchandisation des services », pense aussi Éric Coquerel, président LFI de la commission des Finances à l’Assemblée nationale.

Une dette record mais pas de risque immédiat de crise

Si les solutions et les évaluations du danger divergent, tous les acteurs politiques s’entendent cependant sur les chiffres. Le niveau de la dette française s’élevait à 3 345 milliards d’euros au premier semestre 2025. Un chiffre qui a augmenté de 2 000 milliards en vingt ans, en plus de passer de 60 % du PIB dans les années 2000 à 113,9 % du PIB cette année.

Enfin, le budget consacré à la charge de la dette est en hausse : 26 milliards en 2020, 66 milliards cette année, 75 milliards prévus pour 2026, et même 107 milliards envisagés en 2029. Il va ainsi dépasser le budget de l’éducation nationale (65 milliards en 2026) et celui de la défense (57 milliards), tout en restant derrière celui des aides aux entreprises (211 milliards en 2023) et des retraites (environ 300 milliards chaque année).

La situation est donc sérieuse et préoccupante, mais pas affolante avec un risque de banqueroute imminent, selon l’économiste Éric Berr. « Au XXe siècle, la dette est parfois montée à 300 % du PIB. Et, dans la période où la France s’est le plus rapprochée de la crise, la charge de la dette représentait 42 % des dépenses publiques. Or, aujourd’hui, nous sommes à 3 %. »

L’universitaire, membre des Économistes atterrés, ajoute que la France n’a aucune difficulté à emprunter. « Ses titres de dettes sont parmi les plus demandés au monde, entre la 10e et la 15e position. Et il y a toujours deux à trois fois plus de demandeurs de ces titres que nécessaire. »

La France a assez d’épargne pour éviter le surendettement

D’ailleurs, l’épargne totale des Français est mesurée autour de 6 000 milliards d’euros, « et le patrimoine national est estimé à 6,6 années de PIB. La dette, elle, représente un an de PIB, et elle est contractée pour une durée de remboursement sur plus de huit ans », ajoute Éric Coquerel. La France a beaucoup plus d’actifs que de passifs, et n’est donc clairement pas en situation de surendettement, ou d’incapacité à emprunter demain.

Mais Éric Berr alerte toutefois sur un danger, d’une tout autre façon que celle de François Bayrou. « Ce qui compte, c’est l’usage que l’on fait de la dette, et aussi son taux d’intérêt réel, inflation déduite. Tant que ce taux est inférieur à la croissance, tout va bien. Le taux d’intérêt réel peut même se retrouver négatif, auquel cas l’État s’enrichit en empruntant. Mais le problème actuel vient du fait que les politiques macronistes ont miné la croissance. Depuis 2017, la perte de recettes en France est de 60 milliards d’euros par an, selon la Cour des comptes. Ce sont ces cadeaux aux plus riches qui ont augmenté le déficit, en plus de freiner la dépense publique, qui est génératrice d’activité économique, de création de richesses et de croissance. Quand la Macronie baisse les impôts sur le capital, emprunte sur les marchés financiers pour les dépenses de fonctionnement, puis impose l’austérité, elle est clairement dans le rôle du pompier pyromane qui fonce droit vers la récession, la dégradation de la note de la France, et la hausse des taux d’intérêt. »

Ce qui conduit Éric Coquerel à affirmer que le pari macroniste est un échec. « La part du PIB liée à l’industrie est passée sous les 10 %. La pauvreté n’a jamais été aussi élevée depuis trente ans. Les services publics sont exsangues. Et pour la première fois l’an dernier l’investissement public et privé consacré à la transition écologique a diminué. De son côté, la dette augmente, mais elle ne sert pas aux emprunts d’avenir. Elle sert à financer les cadeaux aux plus riches, en plus de payer des taux d’intérêt aux marchés financiers. »

Mobiliser l’épargne des Français pour financer l’avenir

Dès lors, que faire ? « Il ne faut plus emprunter sur les marchés financiers. Ils ont tout intérêt à ce que nous ayons une dette qui les rémunère. La puissance publique doit retrouver sa souveraineté sur le financement de notre économie », insiste Nicolas Sansu.

Depuis les années 1970, les États se sont massivement tournés vers les marchés pour l’emprunt. La France a détricoté peu à peu son circuit du trésor. Et la Banque centrale européenne (BCE) impose de passer par le circuit des banques privées. L’ancien sénateur PCF Éric Bocquet a calculé que, depuis 1979, « la France a versé 1 300 milliards d’euros d’intérêts aux marchés. Il est là le vrai scandale de la dette ».

Nicolas Sansu et les communistes proposent que les États puissent enfin emprunter à taux zéro auprès de la BCE, en plus de nationaliser des banques. « Quand le PCF propose d’investir 500 milliards d’euros dans l’écologie, l’industrie, l’énergie, les services publics, l’emploi, il s’agit d’une dette vertueuse, qui permet de répondre aux enjeux et de créer des richesses, argumente le député. Cela doit passer par un emprunt sur lequel nous serions souverains. Le Japon a une dette située à 235 % de son PIB, mais les Japonais détiennent eux-mêmes 90 % de cette dette. L’épargne des Français, avec des livrets qui financent l’urgence sociale et écologique, pourrait ainsi être davantage mobilisée », et par là même rémunérée.

Taxer les ultra-riches, une solution ignorée

N’en déplaise à François Bayrou, les solutions sont déjà là, sur la table, mais le gouvernement refuse d’en débattre. « Pour réduire les déficits, il faut récupérer les 60 milliards de recettes perdues par an sous Macron, il faut revoir les 211 milliards d’aides aux entreprises, il faut mettre en place la taxe Zucman, un impôt minimal de 2 % sur le patrimoine des ultra-riches, qui rapporterait 20 milliards d’euros par an. C’est possible », soutient Éric Berr.

La dette aurait dès lors une tout autre utilité. « En octobre dernier, l’Assemblée nationale avait voté, à l’initiative de la gauche, 60 milliards de recettes en plus, ce qui conduisait à une baisse du déficit à 2,7 % du PIB, en plus de financer des dépenses d’urgence et de relance, votées en commission. Nous avions une majorité pour, avant que le gouvernement ne raye cette copie à coups de 49.3 », se souvient Éric Coquerel, qui prône par ailleurs la création d’un pôle public bancaire pour financer de grands investissements d’avenir.

« Plutôt que d’affoler avec la dette, Bayrou ferait mieux de parler des mégafeux, des inondations, des canicules, qui risquent d’être dix fois plus destructeurs d’ici à la fin du siècle selon le Giec, ajoute l’élu. Il dit que l’on ne peut pas léguer de dette à nos enfants ? C’est surtout un monde dangereux et invivable qu’on ne peut pas leur léguer. Il surjoue la question de la dette financière, parfaitement gérable, pour ne pas parler de la dette sociale et écologique, autrement plus pressante. »

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