Le chantage à
la dette orchestré par François Bayrou ne prend pas du tout à gauche. Élus et
économistes savent comment sortir du déficit et proposent de financer l’urgence
sociale et écologique en retrouvant une souveraineté sur l’emprunt, sans passer
par les marchés financiers.
Ils ont refait
le coup. Lundi 25 août, François Bayrou a ajouté son nom sur la longue
liste des responsables politiques qui instrumentalisent la question de la dette
publique pour faire peur aux Français.
« Un danger immédiat pèse sur nous, auquel nous devons faire face, non
pas demain ou après-demain, mais aujourd’hui même, sans retard d’aucune sorte,
sans quoi l’avenir nous sera interdit et le présent durement et lourdement
aggravé », a déclaré le
premier ministre, qui veut imposer aux Français un
effort de 44 milliards d’euros en 2026 pour réduire le déficit.
François Bayrou et la stratégie de la peur
Le chef du
gouvernement a sollicité un
vote de confiance à l’Assemblée nationale sur le sujet, le 8 septembre. Il estime qu’il
n’y a « pas d’autre méthode » que la sienne si la France veut
éviter le « chaos ». Il a même accusé les citoyens d’en être
les premiers responsables.
« La dette, ce ne sont pas les gouvernements qui la consomment », a-t-il asséné, ciblant les « retraités »,
les « consommateurs », les « fonctionnaires »,
les « assurés sociaux » et les « entreprises ».
« La vérité, c’est que la dette, c’est chacun d’entre nous »,
et que tout le monde va devoir se partager l’addition, a-t-il annoncé.
Mais qui est
vraiment responsable de la dette ? Comment s’est-elle creusée ? Son
niveau est-il vraiment catastrophique ? L’austérité est-elle la seule
façon de la rembourser ?
« La dette, c’est un vrai sujet, mais la façon dont François Bayrou
présente les choses montre qu’il se livre à une nouvelle tentative d’enfumage.
Il cherche à faire peur aux gens, car la dette constitue un outil de sidération
extraordinaire pour faire croire que les Français vivent au-dessus de leurs
moyens et vont devoir se résigner à une dégradation de leurs retraites, de
leurs hôpitaux, de leurs écoles, et de leur modèle social », dénonce Nicolas Sansu, député PCF auteur d’un rapport
sur le sujet en 2015.
« Il ne faut pas considérer légèrement cette question. Mais le
catastrophisme de Bayrou et les solutions qu’il propose sont typiques de ceux
qui agitent la dette qu’ils ont eux-mêmes creusée pour sabrer l’État
social et les services publics, alors que ce remède nous conduit droit vers la
récession et la marchandisation des services », pense aussi Éric Coquerel, président LFI de la
commission des Finances à l’Assemblée nationale.
Une dette record mais pas de risque immédiat de crise
Si les
solutions et les évaluations du danger divergent, tous les acteurs politiques
s’entendent cependant sur les chiffres. Le
niveau de la dette française s’élevait à 3 345 milliards d’euros au premier semestre 2025. Un
chiffre qui a augmenté de 2 000 milliards en vingt ans, en plus de
passer de 60 % du PIB dans les années 2000 à 113,9 % du PIB cette
année.
Enfin, le
budget consacré à la charge de la dette est en hausse : 26 milliards
en 2020, 66 milliards cette année, 75 milliards prévus pour 2026, et
même 107 milliards envisagés en 2029. Il va ainsi dépasser le budget de
l’éducation nationale (65 milliards en 2026) et celui de la défense
(57 milliards), tout en restant derrière celui des aides aux entreprises
(211 milliards en 2023) et des retraites (environ 300 milliards
chaque année).
La situation
est donc sérieuse et préoccupante, mais pas affolante avec un risque de
banqueroute imminent, selon l’économiste Éric Berr. « Au XXe siècle,
la dette est parfois montée à 300 % du PIB. Et, dans la période où la
France s’est le plus rapprochée de la crise, la charge de la dette représentait
42 % des dépenses publiques. Or, aujourd’hui, nous sommes à
3 %. »
L’universitaire,
membre des Économistes atterrés, ajoute que la France n’a aucune difficulté à
emprunter. « Ses titres de dettes sont parmi les plus demandés au
monde, entre la 10e et la 15e position. Et il y a
toujours deux à trois fois plus de demandeurs de ces titres que
nécessaire. »
La France a assez d’épargne pour éviter le
surendettement
D’ailleurs, l’épargne
totale des Français est mesurée
autour de 6 000 milliards d’euros, « et le patrimoine
national est estimé à 6,6 années de PIB. La dette, elle, représente un an
de PIB, et elle est contractée pour une durée de remboursement sur plus de
huit ans », ajoute Éric Coquerel. La France a beaucoup plus
d’actifs que de passifs, et n’est donc clairement pas en situation de
surendettement, ou d’incapacité à emprunter demain.
Mais Éric Berr
alerte toutefois sur un danger, d’une tout autre façon que celle de François
Bayrou. « Ce qui compte, c’est l’usage que l’on fait de la dette, et
aussi son taux d’intérêt réel, inflation déduite. Tant que ce taux est
inférieur à la croissance, tout va bien. Le taux d’intérêt réel peut même se
retrouver négatif, auquel cas l’État s’enrichit en empruntant. Mais le problème
actuel vient du fait que les politiques macronistes ont miné la
croissance. Depuis 2017, la perte de recettes en France est de
60 milliards d’euros par an, selon la Cour des comptes. Ce
sont ces cadeaux aux plus riches qui ont augmenté le déficit, en plus de freiner la
dépense publique, qui est génératrice d’activité économique, de création de
richesses et de croissance. Quand la Macronie baisse les impôts sur le
capital, emprunte sur les marchés financiers pour les dépenses de
fonctionnement, puis impose l’austérité, elle est clairement dans le rôle du
pompier pyromane qui fonce droit vers la récession, la dégradation de la note
de la France, et la hausse des taux d’intérêt. »
Ce qui conduit
Éric Coquerel à affirmer que le pari macroniste est un échec. « La part
du PIB liée à l’industrie est passée sous les 10 %. La pauvreté n’a jamais
été aussi élevée depuis trente ans. Les services publics sont exsangues. Et
pour la première fois l’an dernier l’investissement
public et privé consacré à la transition écologique a diminué. De son côté, la dette augmente, mais elle
ne sert pas aux emprunts d’avenir. Elle sert à financer les cadeaux aux plus
riches, en plus de payer des taux d’intérêt aux marchés financiers. »
Mobiliser l’épargne des Français pour financer
l’avenir
Dès lors, que
faire ? « Il ne faut plus emprunter sur les marchés financiers.
Ils ont tout intérêt à ce que nous ayons une dette qui les rémunère. La
puissance publique doit retrouver sa souveraineté sur le financement de notre
économie », insiste Nicolas Sansu.
Depuis les
années 1970, les États se sont massivement tournés vers les marchés pour
l’emprunt. La France a détricoté peu à peu son circuit du trésor. Et la
Banque centrale européenne (BCE) impose de passer par le circuit des banques privées. L’ancien sénateur PCF
Éric Bocquet a calculé que, depuis 1979, « la France a versé
1 300 milliards d’euros d’intérêts aux marchés. Il est là le vrai
scandale de la dette ».
Nicolas Sansu
et les communistes proposent que les États puissent enfin emprunter à taux zéro
auprès de la BCE, en plus de nationaliser des banques. « Quand le PCF
propose d’investir 500 milliards d’euros dans l’écologie, l’industrie,
l’énergie, les services publics, l’emploi, il s’agit d’une dette vertueuse, qui
permet de répondre aux enjeux et de créer des richesses, argumente le
député. Cela doit passer par un emprunt sur lequel nous serions souverains.
Le Japon a une dette située à 235 % de son PIB, mais les Japonais
détiennent eux-mêmes 90 % de cette dette. L’épargne des Français, avec des
livrets qui financent l’urgence sociale et écologique, pourrait ainsi être
davantage mobilisée », et par là même rémunérée.
Taxer les ultra-riches, une solution ignorée
N’en déplaise à
François Bayrou, les solutions sont déjà là, sur la table, mais le gouvernement
refuse d’en débattre. « Pour réduire les déficits, il faut récupérer
les 60 milliards de recettes perdues par an sous Macron, il
faut revoir les 211 milliards d’aides aux entreprises, il faut mettre
en place la taxe Zucman, un impôt minimal de 2 % sur le patrimoine des ultra-riches, qui
rapporterait 20 milliards d’euros par an. C’est possible », soutient Éric Berr.
La dette aurait
dès lors une tout autre utilité. « En octobre dernier, l’Assemblée
nationale avait voté, à l’initiative de la gauche, 60 milliards de
recettes en plus, ce qui conduisait à une baisse du déficit à 2,7 % du
PIB, en plus de financer des dépenses d’urgence et de relance, votées en
commission. Nous avions une majorité pour, avant que le gouvernement ne raye
cette copie à coups de 49.3 », se souvient Éric Coquerel, qui prône
par ailleurs la création d’un pôle public bancaire pour financer de grands
investissements d’avenir.
« Plutôt que d’affoler avec la dette, Bayrou ferait mieux de parler
des mégafeux, des inondations,
des
canicules, qui risquent
d’être dix fois plus destructeurs d’ici à la fin du siècle selon le Giec, ajoute l’élu. Il dit que l’on ne peut pas léguer
de dette à nos enfants ? C’est surtout un monde dangereux et invivable
qu’on ne peut pas leur léguer. Il surjoue la question de la dette financière,
parfaitement gérable, pour ne pas parler de la dette sociale et écologique,
autrement plus pressante. »

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