C’est un beau titre, mais c’est bien plus : un sésame, une de ces phrases d’autrefois qui ouvrent une porte sur le monde enchanté des souvenirs, des chimères, des histoires qu’on croyait définitivement perdues dans les remous du temps et qui – magie de la photographie – nous reviennent par les mystérieuses trouées de la mémoire. Cinq enfants – deux filles et trois garçons – cheminent sur la route. C’est le printemps ; mille fleurs poussent dans les champs, s’accrochent aux branches des arbres où elles semblent tomber du ciel ; elles enchantent l’image. Les deux fillettes marchent devant, côte à côte ; elles regardent le sol, l’esprit tout entier absorbé par on ne sait quelles graves considérations : est-ce la poésie à apprendre par cœur, dont elles n’ont retenu que les premiers vers qui les préoccupe ?
L’un des garçons s’est arrêté au bord du chemin et,
immobile, accroupi, il observe quelque chose parmi les herbes, on ne sait
quoi : un papillon dépliant le kaléidoscope de ses ailes ? Une
sauterelle qui vous fixe de son regard vide avant de bondir ? Une souris
morte, avec son ventre blanc et doux où un rayon de soleil allume des reflets
soyeux… ? Ses deux camarades se sont arrêtés, eux aussi, ils
attendent le verdict de l’observateur. Leur marche, comme suspendue, laisse
entendre qu’il n’est pas temps de lambiner ; la cloche de l’école va bientôt
sonner et il y a encore un bout de chemin à faire. La photographie date des
années cinquante. À cette époque, je fréquentais les mêmes chemins, j’avais le
même cartable, les mêmes pantalons courts, les mêmes chaussettes en laine qui
tombaient sur les chevilles. Les filles portaient de longues tresses blondes
qu’on rêvait de dénouer. Et lorsqu’on avait pris du retard et qu’on se mettait
à courir pour rattraper le temps perdu, le cartable tressautait dans le dos,
contrariant notre course, pendant que les livres, les cahiers, le plumier
ballottaient bruyamment au rythme de nos pas. De tout cela, je me souviens
très bien, car je n’étais pas loin ; si j’avais couru un peu plus vite,
j’aurais peut-être réussi à entrer dans la photographie.
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