jeudi 27 février 2025

« Médias : menons la bataille idéologique », l’éditorial de Fabien Gay dans l’Humanité.



De la stratégie de dédiabolisation à sa banalisation, puis sa normalisation, l’extrême droite a patiemment tissé sa toile, bien aidée par une partie des forces du capital qui voit en elle une garantie de poursuivre leur œuvre destructrice : épuiser le vivant et la nature pour suraccumuler les profits à leur avantage exclusif.

Du rôle d’influenceurs sur les réseaux sociaux à la prise de contrôle capitalistique de grands médias, en passant par la formation des futures élites et la création de fondations, musées et même d’un parc d’attractions, l’extrême droite a gangrené toute une partie de la société, façonnant peu à peu un nouveau récit national. De Bolloré à Stérin, dont nous avons révélé le projet Périclès, l’extrême droite avance aujourd’hui à visage découvert. Plus personne ne peut dire qu’il ne savait pas.

Leurs idées nauséabondes, racistes et xénophobes ont contaminé le débat médiatique désignant un bouc émissaire « idéal » à tous les maux de la société : l’étranger et surtout le musulman, qui représenteraient une menace existentielle et civilisationnelle pour la société française et européenne. En alimentant les peurs, les fantasmes et les préjugés, l’extrême droite n’hésite plus à instrumentaliser tous les faits divers, même les plus sordides ou meurtriers pour sa petite entreprise de haine.

Ce poison ne se limite pas aux chaînes de désinformation en continu où prennent place des spécialistes et des experts de la vérité alternative. Il atteint désormais les discours d’une grande partie de la droite dite républicaine. C’est dans ce contexte, que l’Arcom a décidé – non pas sous la pression « de l’extrême gauche » ou d’une quelconque théorie du complot – de retirer à C8, et son émission phare TPMP, mais aussi à la chaîne NRJ 12, leur fréquence TNT.

De France 4 à C8 en passant par D8, Cyril Hanouna est passé de gentil troubadour à bouffon des droites extrêmes. Insultes, propos et actes misogynes et homophobes, provocations multiples, son émission a été condamnée plus de 50 fois, sans aucun effet sur la ligne éditoriale. Pourtant, une fréquence d’État doit respecter la loi, remplir des obligations en matière de pluralisme des idées, de dignité humaine. Ce n’est donc pas la liberté d’expression qui est « assassinée », c’est bien le respect de nos lois qui est réaffirmé.

Cette machine infernale ne s’arrêtera pas et Hanouna rebondira. Si nous continuons à ne pas prendre au sérieux cette guerre idéologique, par naïveté ou passivité, nous le paierons tôt ou tard. Les grands défenseurs d’Hanouna ne désarment pas, préparant le coup d’après, en dressant des parallèles honteux entre cette décision de l’Arcom et la liberté de parution de Libération, de l’Humanité, attaquant même la Fête de l’Humanité. L’avertissement est donc clair : si l’extrême droite arrive au pouvoir, nos titres respectifs seront directement dans le viseur, non pas en nous censurant, mais en asséchant les aides publiques à la presse pour nous faire trébucher, voire tomber.

Il faut donc nous préparer à mener une offensive de la même ampleur. Il ne peut y avoir de démocratie pleine et entière sans presse libre et indépendante des puissances de l’argent qui garantit le pluralisme des idées. Les forces progressistes devraient porter l’exigence de mettre en œuvre une nouvelle loi anti-concentration des médias qui devrait interdire à une personne ou un groupe industriel de détenir plus de trois titres de presse différents. 90 % des titres de presse sont aux mains de 10 milliardaires. Rappelons que M. Bolloré détient toujours quatre fréquences. On est loin de la censure.

Autre idée, que nous proposons depuis deux ans, l’instauration d’une taxe, indolore pour les deniers publics, à hauteur d’1 % sur le chiffre d’affaires des recettes publicitaires du numérique, de la télévision, de la radio et de la presse papier, qui abonderait un fonds pour « l’indépendance et le pluralisme de la presse » dont pourraient bénéficier tous les titres qui répondent aux critères des médias à faibles ressources publicitaires.

Enfin nous proposons à tous les médias qui se sont rassemblés en juin dernier contre le risque d’une victoire du RN, de se réunir, se rencontrer et échanger pour tenir ensemble la première convention de la presse libre et indépendante, pour mener ensemble la bataille idéologique et médiatique dont notre pays a besoin pour résister à la contre-révolution réactionnaire mondiale et construire ensemble… Au travail !

« Très fluide », le billet de Maurice Ulrich.



Tiens, s’est-on dit, en lisant dans un de nos quotidiens le titre d’un grand entretien avec un professeur de philosophie américain, Patrick J. Deneen, connu pour ses travaux sur le libéralisme, voilà un point de vue intéressant sur ce qui est en cours aux États-Unis : « Les classes dirigeantes occidentales sont prêtes à utiliser des moyens illibéraux pour défendre le libéralisme. »

Mais quelle erreur ! C’est de l’Europe dont il est question, où, comme l’a dit le vice-président Vance à Munich, la tyrannie étouffe les peuples en les empêchant de s’exprimer librement comme aux États-Unis. Bien. Mais on y lit aussi une analyse comparée des extrêmes droites type Steve Bannon et du « libertarianisme technologique » d’Elon Musk.

Quand le premier se veut nationaliste et populiste, le second défend « un ensemble d’arrangements beaucoup plus fluides à l’échelle mondiale (voire intergalactique) ». Intergalactique… Bien sûr ! La galaxie d’Andromède, la plus proche de la nôtre, étant à quelque deux millions et demi d’années-lumière, il va falloir être très fluide. En attendant, Patrick J. Deneen n’a pas fini de tourner en orbite.

 

« Sortir des rails », l’éditorial de Stéphane Sahuc dans l’Humanité.



La Cour des comptes a rendu le rapport flash sur « la réalité des chiffres » du système des retraites, pour citer François Bayrou. Le premier ministre a reçu une véritable gifle. Lui qui annonçait partout qu’il y avait un déficit caché abyssal a été démenti par une institution qu’on peut difficilement accuser de gauchisme échevelé.

La discussion peut s’engager sur des chiffres sérieux. Les organisations syndicales sont bien décidées à démontrer qu’il est nécessaire d’abroger la retraite à 64 ans et possible de la financer en restant dans le système par répartition, le seul à même de garantir le niveau de vie à la retraite.

À partir de là, le débat doit également s’engager sur le sens même de la retraite. Dans une émission télévisée, le président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, a expliqué que ses services avaient testé l’évolution financière du système en cas de départ à 65 ans, à 63 ans et à 62 ans. Et 60 ans ? lui demande-t-on. « Non, là, on sort des rails », assure-t-il.

C’est bien là que le bât blesse, l’approche de la question des retraites se fait uniquement via un prisme comptable pour éviter un débat de société et de civilisation. Doit-on travailler plus longtemps parce que l’on vit plus longtemps ? Ne serait-ce pas plutôt parce que nos aînés ont gagné des baisses de temps de travail que ce soit par jour, par semaine ou à l’échelle d’une existence, que l’espérance de vie s’est allongée ?

Un appel lancé il y a deux ans tout juste par des organisations de jeunesse, des personnalités syndicales et politiques, des économistes, des intellectuels posait d’ailleurs cette problématique du « temps après la vie au travail » : « Doit-il devenir l’antichambre du cimetière ou être un nouvel âge de la vie ? »

Ce débat doit se poursuivre publiquement, car il détermine le sens que l’on donne à une société. Il pose la nature de l’ambition civilisationnelle. Cela implique de sortir des rails idéologiques qu’impose le capitalisme pour justifier sa course effrénée au profit et dicter sa logique mortifère pour l’immense majorité des individus, la nature et la planète elle-même. Le « conclave » doit devenir agora.

 

« Ah bon ? », le billet de Maurice Ulrich.



Professeur d’université et président du think tank l’Institut Sapiens (ceux qui savent), Olivier Babeau vient de publier l’Ère de la flemme. Comment nous et nos enfants avons perdu le sens de l’effort (Buchet-Chastel), livre dont fait grand cas le Figaro, qui lui consacre un entretien d’une pleine page. Et là, se dit-on, il n’a pas entièrement tort car, en effet, il ne s’est vraiment pas foulé.

Nous sommes entrés dans « un nouveau cycle caractérisé par la préférence pour la paresse. (…) Nous vivons une crise sans précédent de notre rapport à l’effort » et « la perte d’influence des grands récits du devoir, religion et patrie, a fait disparaître la morale du sacrifice ».

Avec de telles analyses, mieux vaut rester au lit. Sinon, que faire ? « Défendre l’effort, c’est partir en guerre contre la passion de l’égalité bien française (…), c‘est reconnaître une légitimité aux hiérarchies et une forme de responsabilité à ceux qui réussissent moins. » Il devrait en parler, tiens, c‘est l’occasion, avec des agriculteurs, par exemple… Dernière question du Figaro : « Ne craignez-vous pas de passer pour un réac ? » Ah bon ?

 

mercredi 26 février 2025

« Affaire Bétharram : des mutismes qui font système », l’éditorial de Cathy Dos Santos dans l’Humanité.



L’écheveau se démêle à mesure que la parole des victimes de Notre-Dame de Bétharram se libère. Les mots sont durs, violents ; ils disent toute la souffrance endurée et emmurée durant des décennies. La chape de plomb qui a étouffé la voix de ces enfants maltraités, violés est insupportable car elle renvoie à des dysfonctionnements politiques et institutionnels d’un autre âge.

Michel a été marqué au fer rouge, nous confie-t-il. Son témoignage dans nos colonnes est inédit ; il est aussi glaçant que les murs de l’institution catholique qui a volé son enfance et traumatisé le reste de son existence. Son récit est accablant, car il accuse nommément un directeur de cet établissement privé d’avoir commis des violences sexuelles.

Jean Tipy n’aura jamais à répondre de ces accusations. Il a poursuivi sa carrière d’enseignant dans d’autres centres scolaires, à Limoges, mais également à Stanislas, à la réputation sulfureuse, avant de décéder en 2009. C’est le deuxième directeur à être incriminé. Cela fait beaucoup.

Les plus de 140 plaignants ont, un jour ou l’autre, raconté leurs souffrances. En guise d’écoute, ils ont été ignorés. Au sein de l’institution, ils ont subi dédain et punitions par des personnels qui ont délibérément couvert des atrocités. À croire qu’à Bétharram, la parole n’a jamais été d’évangile.

Difficile d’imaginer que de tels agissements ne sont jamais parvenus jusqu’aux oreilles de la congrégation des bétharramites, que la hiérarchie de l’Église n’a jamais su à quel sadisme se livraient ces hommes de Dieu. Les mutismes ont jusqu’alors fait système. Cette omerta se fissure aujourd’hui. La plainte pour non-dénonciation de crime déposée contre François Bayrou, conseiller général et député du territoire à l’époque des faits incriminés, ne relève pas d’une cabale. Elle participe à faire toute la lumière sur les violences sexuelles et psychologiques perpétrées dans cet établissement. Certaines sont prescrites, d’autres non.

À la justice de poursuivre le travail. Mais quoi qu’il advienne, le fonctionnement de ces institutions privées et catholiques, trop souvent incompatible avec le droit, la laïcité et les missions de la République, comme on l’a vu à Stanislas, devra lui aussi être revu à l’aune de ce nouveau scandale. Elles ne peuvent jouir d’aucune complicité morale et politique.

« Entre Donald Trump et Emmanuel Macron, c'était couillu », le billet de Maurice Ulrich.



« Retrouvailles viriles à la Maison-Blanche ». Le Parisien, mardi 25 février, n’a pas raté la rencontre entre Emmanuel Macron et Donald Trump dans le Bureau ovale. En d’autres termes, nous dit le quotidien, c’était couillu, entre hommes, quoi. « Le mélange de camaraderie et de rivalité était bien présent (…), souriant, Macron lui enserre le bras comme pour stopper ses exagérations. L’hôte de la Maison-Blanche salue sa relation spéciale avec son homologue ; ce dernier loue son accueil très amical comme toujours. »

Et après, que se passe-t-il, une fois que les deux acteurs, comme dans la Rivière rouge, un film d’Howard Hawks, ont comparé leurs revolvers ? Rien. Au même moment, ou presque, les États-Unis, à l’ONU, votaient avec la Russie un texte évoquant une paix rapide sans aucune garantie pour l’Ukraine après avoir rejeté une résolution présentée par Kiev et les Européens, consacrant leur virage stratégique. À ce point, la « complicité » affichée devient de la soumission. Tout bien considéré, le titre du Parisien, qui fait semblant de croire ce qu’il raconte, a les allures d’un hommage au mâle alpha.

 

mardi 25 février 2025

« Guerre en Ukraine : face aux fake news de Trump sur l'agression russe, la nécessaire réponse des européens », l’éditorial de Maurice Ulrich dans l’Humanité.



Il y a trois ans, alors que le monde essayait de ne pas y croire, les troupes russes agressaient l’Ukraine. Faux, dit aujourd’hui le président des États-Unis, c’est Kiev qui a déclenché la guerre et son président est un dictateur. Donald Trump emprunte le vocabulaire de Vladimir Poutine, épouse les analyses de Vladimir Poutine.

On peut commenter ce qui s’est passé avant l’invasion, l’extension de l’Otan au cours des vingt, voire trente années qui ont précédé, mais le fait est là. C’est la Russie qui a entrepris de soumettre par les armes un pays voisin après lui avoir déjà arraché des territoires.

Après des années de soutien à Kiev avec les pays de l’Union européenne, le basculement des États-Unis laisse le monde pantois. Il est brutal et cynique. Trump voudrait en même temps que l’Ukraine lui cède la moitié de ses terres rares, en compensation de l’aide qui lui a été apportée.

Ce n’est pas le seul but du deal avec Poutine, qui prend l’Europe à contre-pied. Il faut sans doute y voir aussi un coup dans une partie de billard à trois bandes avec la Chine, devenue l’autre hyper-puissance capable de menacer la suprématie de Washington dans de multiples domaines, jusqu’à l’intelligence artificielle, dont les hyper-milliardaires qui entourent désormais Trump se croyaient jusqu’alors maîtres et propriétaires.

C’est dans ces conditions qu’Emmanuel Macron, avant le premier ministre britannique, s’est rendu ce lundi à la Maison-Blanche. Il compte, nous assure-t-on, sur une certaine proximité avec le président. On se souvient de viriles poignées de main, d’un dîner à la tour Eiffel, de Notre-Dame où, avec Elon Musk, Trump était présent en guest star, comme on dit outre-Atlantique. Je vais lui dire, a annoncé Emmanuel Macron, « au fond, tu ne peux pas être faible face au président Poutine. Ce n’est pas toi, pas ta marque de fabrique, c’est pas ton intérêt ».

Pourquoi pas ? Mais on doute que la carte psychologique soit suffisante et que l’affaire se règle avec une tape dans le dos. Si Emmanuel Macron peut se faire entendre, c’est avec la voix d’une Europe ferme sur des valeurs démocratiques menacées, déterminée dans son soutien à l’Ukraine et sa politique de défense, attachée au multilatéralisme. Ce n’est pas gagné, mais c’est ça ou Canossa.

 

« Un ennemi », le billet de Maurice Ulrich.



Waouh… Elles sont dos à dos, les bras croisés, vêtues de noir avec du cuir, elles nous regardent, et le titre du Figaro Magazine qui les a mises toutes les deux à la une est un défi : « Les guerrières ». Christelle Morançais, la présidente de la région Pays de la Loire, qui vient de s’illustrer avec près de 80 % de baisse des subventions à la culture et à la vie associative, Agnès Verdier-Molinié, directrice du machin appelé Ifrap, censé étudier les politiques publiques, bien connue pour son activité essentielle, sa présence depuis une vingtaine d’années sur les plateaux télé pour y dénoncer inlassablement les dépenses excessives de l’État, l’assistanat, le nombre de fonctionnaires, les indemnités de chômage, l’incurie des syndicats, la haine des riches, la fureur égalitaire, etc.

Interviewées sur six pages, c’est sans surprise que les deux guerrières reprennent en boucle la même ritournelle, sans ménagement : « Aujourd’hui on juge un ministre à sa capacité à dépenser toujours plus » (Christelle Morançais, trop forte). Des guerrières nous dit-on, mais, avec cette une, leur ennemi le plus redoutable ne peut être que le ridicule.

 

lundi 24 février 2025

Nos pensées, contre l’oubli !



C’est le plus souvent, arrivés à l’hiver de nos vies que nos pensées vont vers celles et ceux qui nous ont apporté aide et soutien dans les moments difficiles, vers les êtres chers que nous avons aimés. Lorsqu’il arrive que nous mettions les pas dans les pas de ceux qui nous ont précédé sur cette terre, nous sentons frissonner l’arbre du silence. Provenait-il de l’arbre dont nous sommes issus ? Celui de nos parents, de nos familles, de nos ami-e-s les plus cher-e-s, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Nous ressentons alors, le besoin de faire revivre dans nos mémoires, ces êtres auxquels on doit tout. Grâce à leur travail, à leur force, à leur courage et, bien souvent à leur souffrance. Qu’est-ce qui compte, en effet, dans une vie, sinon la fidélité à des valeurs, à un monde de justice et de paix, à des êtres à qui nous devons tout, qui nous ont fait ce que nous sommes ? À quoi serviraient les livres s’ils ne portaient pas témoignage de ceux qui ont aimé, qui ont souffert, qui ont lutté pour eux-mêmes, mais aussi et surtout pour préparer notre avenir, celui de nos enfants et petits-enfants ? Peu importe, que parfois, elles aient été banales, ces vies. En vérité, aucune ne l’est dès qu’elle a subi le choc de l’Histoire en marche, de ses guerres, de ses malheurs, de ses avancées progressistes ou de ses grandes mutations. Elles appartiennent à des femmes et des hommes dont le passage sur terre, a laissé des traces ineffaçables. Des vies qui n’étaient pas plus aisées que celles d’aujourd’hui, particulièrement pour celles et ceux qui ne possédaient rien, sinon leurs mains pour travailler. Ces vingt dernières années le monde a changé à une vitesse folle. Un monde devenu davantage celui du fric, des actionnaires et de leurs dividendes. Aujourd’hui, on est censé beaucoup communiquer, mais on ne transmet pas. Cette communication est horizontale, rarement verticale. Les livres transmettent vraiment, protégeons-les ! C’est peut-être la raison de leur survie. On ne reviendra pas en arrière et il ne le faut pas. Au reste, la marche du monde, ne s’est jamais embarrassée des vies minuscules, hier comme aujourd’hui. Ces vies, ces expériences, ces combats du siècle passé, sont précieux parce qu’ils constituent un socle sur lequel prendre appui pour franchir les obstacles. Puiser à leur source doit donner des forces et de l’espoir pour rendre demain meilleur. La littérature, qui est, avant tout, une lutte perpétuelle contre l’oubli et le temps, doit, s’attacher à cette mission grâce à laquelle, espérons-le, elle survivra tout en témoignant du fait que les humains, comme les arbres, pour pousser haut ont besoin de racines profondes et vigoureuses.

 

« Le Scouarnec, Pelicot : des hommes ordinaires ? », l’éditorial de Marion d’Allard dans l’Humanité.



Joël Le Scouarnec, dit-on, est un homme ordinaire. Un M. Tout-le-Monde, comme furent avant lui qualifiés les 51 bourreaux de Gisèle Pelicot ; comme le sont, supposons-le, les personnels impliqués dans les violences à Notre-Dame de Bétharram. Mais les cas par cas mis bout à bout interpellent, tant cela éclaire crûment ce que beaucoup voudraient encore considérer comme de simples faits divers qui plongeraient, par le hasard d’une mauvaise rencontre ou le vase clos d’une famille dysfonctionnelle, les victimes et leurs proches dans la spirale du traumatisme.

Tant cela illustre, surtout, les déviances d’une masculinité toxique, cette toute-puissance que certains hommes exercent sur le corps des femmes et des enfants. Le patriarcat est un poison qui enferme les victimes dans le silence et la honte, renforce le sentiment d’impunité des agresseurs. D’autant plus s’ils sont socialement intégrés, « bons pères de famille », professeurs, médecins, prêtres ou pompiers, notables, donc insoupçonnables. Ordinaires.

De celle des femmes à celle des enfants victimes de violence, la libération de la parole est une avancée majeure. Elle doit être écoutée, accompagnée, comprise et prise en compte. Oui, la honte doit changer de camp. Mais, derrière le slogan, la tâche est immense, qui exige, avant tout, une action politique, policière et judiciaire déterminée, et nécessite une prise de conscience individuelle et collective de ce que ces affaires disent de notre société, malade de ses faux-semblants et de ses archaïsmes.

Quelques semaines seulement après la clôture de l’éprouvant procès des viols de Mazan, il va falloir reprendre son souffle avant de replonger. Replonger dans les affres d’un dossier sordide, où l’omerta l’a disputé aux défaillances du système judiciaire.

L’ampleur du procès qui s’ouvre ce lundi 24 février dépasse les frontières de l’Hexagone. En témoigne le nombre de médias étrangers accrédités. Un procès hors normes. Celui d’un chirurgien à la perversité machiavélique, accusé d’avoir agressé sexuellement ou violé, en trente ans, 299 de ses patients, sédatés, âgés de 11 ans en moyenne. Trois décennies d’impunité, malgré les alertes, les dénonciations, les condamnations antérieures. Oui, la justice passera. Et il faudra, à nouveau, en tirer les leçons.

 

samedi 22 février 2025

« Le gouvernement nous emmène dans le mur », l’éditorial de Fabien Gay dans l’Humanité Magazine.



Mais où va le gouvernement Bayrou ? Après avoir imposé, par un nouveau 49.3, un budget dégradé, copier-coller de celui de Barnier et en jouant sur les peurs – « La France a besoin d’un budget… même mauvais » –, ce gouvernement déroule une politique à faire pâlir de jalousie l’extrême droite. En plus de mentir éhontément devant la représentation nationale sur sa connaissance des crimes sexuels perpétrés à l’école Bétharram, le premier ministre veut imposer un agenda politique inquiétant.

Alors que Mayotte est encore à terre, soufflée par le cyclone Chido, qu’aucun euro n’est encore arrivé pour la reconstruction, ce gouvernement donne son feu vert à l’Assemblée nationale pour remettre en cause le droit du sol. Ceux qui se proclament sans cesse de la République et de son arc, pour mieux en exclure des forces progressistes, touchent donc à un de ses éléments fondateurs.

En s’asseyant sur les principes d’indivisibilité de la République et d’égalité devant la loi, en introduisant une discrimination fondée sur l’origine, totalement contraire à l’article Ier de la Constitution, le gouvernement franchit un nouveau cap et laisse planer le projet d’une réforme constitutionnelle plus globale sur le droit du sol. Car, après Mayotte, ce sera au tour de la Guyane puis, en réalité, de l’ensemble du territoire. Même le ministre des Outre-Mer, Manuel Valls, s’en inquiète. C’est dire la dérive ! Comment interpréter cette reprise d’une marotte de l’extrême droite tout en pensant l’étouffer ?

Nous vivons un basculement, ici, en France, avec un gouvernement libéral qui prépare les esprits à l’arrivée de l’extrême droite.

Le « socle commun » (macronistes, LR et affiliés) commet non seulement une grave erreur mais agit avec une lâcheté sans nom qui légitime l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite. Les projets de réforme sur la justice des mineurs qui veulent en finir avec l’excuse de minorité, ou encore le projet de loi agricole qui, au nom de la simplification, élude l’enjeu environnemental, sont de cet acabit. À chaque fois, les droites permettent à l’extrême droite de valider ses thèses. Et, à la fin, ce seront eux qui avaleront le socle commun et s’empareront du pouvoir.

Refuser de voir cela est une erreur politique. Ce mouvement est mondial. Le monde de la tech, pointe avancée du capital le plus radicalisé, a choisi de favoriser les extrêmes droites partout sur la planète pour remodeler la géopolitique mondiale. L’Amérique de Musk exige de Trump qu’il annexe le Groenland et partage l’Ukraine, pour mettre la main sur les métaux précieux et les terres rares, pour envoyer SpaceX sur Mars. Leur vérité alternative est propulsée par de puissants algorithmes ou des médias amis.

Et gare à ceux qui se mettront à travers leur chemin. Il y a vingt ans, Bush alimentait la théorie de l’axe du mal pour mener des guerres en Irak et en Afghanistan. Le vice-président américain est venu rappeler aux peuples européens que s’ils n’adhéraient pas à la grande alliance des réactionnaires, alors ils seraient considérés comme des ennemis de la « liberté d’expression », et donc de la liberté.

Nous vivons un basculement, ici, en France, avec un gouvernement libéral qui ne s’appuie sur aucune légitimité populaire et qui prépare les esprits à l’arrivée de l’extrême droite qui, elle-même se trouve dans une accélération de l’histoire au niveau mondial. Il est temps que les forces de gauche et de l’écologie ripostent ensemble, dans le dialogue et non dans l’invective et les outrages. L’enjeu est trop grand. Il faut recréer l’espoir d’un projet porteur de rupture et de changement majeur pour la vie de milliers de travailleurs et travailleuses, basé sur le partage des pouvoirs, des savoirs et des richesses pour plus de justice sociale, l’écologie et la paix.

 

vendredi 21 février 2025

Nouvelle : « Arrêter le temps ! »



La pendule de l’entrée a cessé son balan, le carillon ne sonne plus…J’ai voulu arrêter le temps, simplement l’arrêter pour ne plus avoir à subir ses effets. Oh ! Pas pour lui, mais pour ceux qu’il aime, qui autour de lui petit à petit déclinent et se vident de leur substance vitale. Alors il a fermé sa porte à clef, baissé les volets, coupé le téléphone. Il a éteint les lumières, débranché la radio. De toutes les pendules il a ôté les piles. Il est resté seul à suspendre les heures. Les yeux fermés pour ne plus voir, ne plus les voir, les voir souffrir. Non, il ne dort pas : il ne pense pas. Depuis combien de jours est-il ainsi, impossible à le dire, il a arrêté le temps. Et là, le chat gratte à la fenêtre, le chien pleure dans sa niche, quelqu’un tambourine à la porte. Il ne veut pas répondre, il ne veut plus rien voir. Des cris, des appels, mais pourquoi ne le laissent-ils pas oublier tout ? Il ouvre les yeux... il fait noir, il entend, il entend la cloche de l’église qui sonne midi... Le temps ? Le temps a continué sans lui ! Il a osé lui faire ça ? Il ouvre portes et fenêtres, et il le voit en face de lui, sur le visage buriné du facteur, le temps passé. Il a voulu arrêter le temps, il a filé sans lui, il a voulu protéger ceux qu’il aime, les empêcher de vieillir et de disparaître, en fait il n’a fait que se voiler les yeux, il n’a fait que les abandonner, il les a laissés vieillir sans lui, il a dilapidé ces instants qu’il aurait pu passer avec eux. Il a perdu ces précieuses minutes qui font que le présent est à vivre de peur que demain n’arrive jamais. Personne ne peut arrêter la vie ni suspendre le temps, il faut le vivre intensément pour que chaque minute s’imprime au souvenir et que ces minutes gagnées sur la vie soient multipliées par cent.

jeudi 20 février 2025

« 30 ans après le meurtre d'Ibrahim Ali, le devoir de mémoire », l’éditorial de Marie-José Sirach dans l’Humanité.



Le 21 février 1995, Ibrahim Ali, 17 ans, français d’origine comorienne, était tué d’une balle dans le dos dans le 15e arrondissement de Marseille. Assassiné par trois colleurs d’affiches du Front national en maraude. Avec ses amis, il revenait d’une répétition de musique.

Tous se dépêchaient pour ne pas rater le bus. Ibrahim Ali ne montera jamais dans ce bus. Le premier réflexe des assassins fut de se réfugier dans les locaux du parti d’extrême droite. Bruno Mégret, alors maire FN de Vitrolles, leur apporta immédiatement son soutien. Et Le Pen père laissa libre cours à son ignominie : « Ce malheureux incident a attiré l’attention générale sur la présence à Marseille de 50 000 Comoriens. Que font-ils là ? »

Ce « que font-ils là ? » éclaire la rhétorique raciste et xénophobe qui est le fonds de commerce électoraliste de l’extrême droite. Le FN est devenu RN, la fille a succédé au père et malgré le ripolinage de la façade, son idéologie identitaire gangrène plus que jamais le débat politique dans notre pays. On appelle ça la « dédiabolisation ». Ce « que font-ils là ? », aujourd’hui, se dit « submersion ».

Les Retailleau, Ciotti, Darmanin et jusqu’au premier ministre François Bayrou emploient ce terme sans ciller, jouant de la surenchère, parlant d’« ensauvagement » de la jeunesse et d’identité nationale. Tous se gardent bien de rappeler le décompte macabre des jeunes gens tués par la police ces trente dernières années, de Malik Oussekine à Nahel Merzouk, d’Adama Traoré à Cédric Chouviat, sans oublier Zyed Benna et Bouna Traoré, électrocutés dans un transformateur le 27 octobre 2005, il y a vingt ans…

Dimanche dernier, à Paris, une bande de types encagoulés aux cris de « Paris est nazi ! » s’est introduite dans des locaux d’une association de travailleurs immigrés turcs, blessant grièvement plusieurs personnes. Ces groupuscules fascistes carburent à l’idéologie lepéniste. Il est temps que cesse la complaisance au sommet de l’État avec cette rhétorique identitaire qui anime ces groupuscules néofascistes. C’est cette même idéologie qui a tué il y a trente ans Ibrahim Ali, cette même mécanique de haine qui met en danger notre démocratie.

 

« Liberté », le billet de Maurice Ulrich.



Le vice-président des États-Unis, J. D. Vance, ayant sévèrement critiqué l’Europe à propos de la liberté d’expression, c’est très logiquement que les ambassades américaines dans le monde ont reçu la consigne de résilier leurs abonnements à la presse. C’est tout aussi logiquement que les journalistes de l’Associated Press sont désormais interdits à la Maison-Blanche. L’agence ne respecte pas la liberté d’expression de Trump qui a décidé de renommer « golfe d’Amérique » le golfe du Mexique.

Que va-t-il arriver à la presse française si elle s’acharne à appeler la Manche, ce qu’Elon Musk veut librement baptiser « canal George Washington ». Il serait aussi question de renommer l’aéroport Dulles de Washington « aéroport Donald Trump ».

Un élu démocrate a estimé qu’il serait plus pertinent de donner ce nom à la prison la plus proche de la résidence de Trump en Floride, ne voyant pas d’honneur « plus approprié » pour le président. On prend tout ça très au sérieux mais on se demande quand même, par moments, si renommer « Donald Trump » un hôpital psychiatrique ne conviendrait pas mieux.

 

« Richard Ferrand, élu grâce à l'abstention de l'extrême droite : comment la digue a sauté », l’éditorial de Sébastien Crépel dans l’Humanité.



Faut-il que le Conseil constitutionnel, instance pourtant décriée pour son conservatisme pesant dans l’interprétation de la loi, soit potentiellement dérangeant pour que le pouvoir place systématiquement un de ses affidés à sa tête. L’actuel chef de l’État a suivi les mauvaises habitudes monarchiques de ses prédécesseurs avec la nomination de Richard Ferrand, son fidèle lieutenant sans aucun bagage de juriste, à la présidence des « sages ».

Or le contrôle du Conseil constitutionnel est devenu un enjeu déterminant dans le conflit de légitimité politique exacerbé qui oppose les trois « blocs » issus des législatives de juillet, entre la coalition « centrale » minoritaire et discréditée mais qui se maintient au pouvoir, une gauche renforcée mais cantonnée pour l’heure dans l’opposition et une extrême droite menaçante et conquérante.

Pour la première fois de la Ve République, le Parlement avait la faculté de bloquer le « fait du prince », s’agissant de la présidence d’une institution qui dispose quand même du pouvoir de censurer les lois qu’il vote. Depuis 2008, en effet, un droit de veto est accordé au législateur sur la nomination par le chef de l’État de membres du Conseil constitutionnel.

 

Il s’agit d’une des contreparties lâchées par Nicolas Sarkozy, que celui-ci imaginait purement cosmétiques, en échange de la révision constitutionnelle qui a corseté les débats et le droit d’amendement des parlementaires. Dans la logique ultra-majoritaire de l’époque, l’hyperprésident d’alors ne pouvait songer qu’un de ses successeurs verrait son candidat pressenti pour présider aux destinées des juges de la Rue de Montpensier mis en difficulté par sa réforme.

À une voix près, mercredi, ce droit de veto a finalement échappé aux députés. L’histoire retiendra que c’est l’abstention des députés RN qui a sauvé le soldat Ferrand. L’extrême droite estime en effet avoir obtenu l’assurance du nouveau président des « sages » qu’il ne s’opposera pas à l’usage du référendum par le RN si celui-ci accède au pouvoir. Une digue essentielle vient de sauter en vue de l’application de son programme xénophobe et autoritaire. L’horloge du danger fascisant s’est encore rapprochée de minuit.

« Chimène », le billet de Maurice Ulrich.



« Il est joli garçon, l’assassin de papa »… Comme dans cette version parodique du Cid, certains de nos chroniqueurs et essayistes commencent à lire les déclarations à la conférence de Munich de J. D. Vance, le vice-président américain, avec les yeux de Chimène.

Dans les Échos, Gaspard Koenig, dont on aura sans doute oublié qu’il avait pensé se présenter à la présidentielle après avoir parcouru la France à cheval, a découvert que, « dissimulé parmi les provocations et les exagérations, le message principal touche juste ». Cela quand il dénonce en Europe « des restrictions excessives à la liberté d’expression ».

Dans le Figaro, c’est Alexandre Devecchio, animateur de ses pages idées, également chroniqueur sur la chaîne de Vincent Bolloré CNews, qui le cite : « Écoutez ce que votre peuple vous dit. » Pour lui, J. D. Vance prolonge la réflexion des intellectuels qui, en France déjà, ont dénoncé la sécession des élites, incapables d’entendre ce que veut vraiment le peuple, contrairement à Trump, Elon Musk, Peter Thiel et les hyper-milliardaires qui ont pris le pouvoir… pour le peuple.

 

mercredi 19 février 2025

« Face aux convulsions du monde, l’urgence d’initiatives populaire et unitaire », la chronique de Patrick Le Hyaric.



Le croisement des déclarations du président argentin Javier Milei à Davos, l’intervention du vice-président états-unien J.D. Vance à la conférence de Munich sur la sécurité (la MSC), les incursions de Musk sur la planète, la tentative de règlement de la guerre en Ukraine entre Trump et Poutine sans les dirigeants ukrainiens pourtant les premiers concernés, sans les responsables européens, après la volonté trumpiste d’annexer Gaza, le refus sec du vice-président Vance de rencontrer le chancelier allemand Olaf Scholz au profit d’un entretien avec la candidate aux législatives de l’extrême droite AfD, héritière du nazisme, sont autant d’événements cumulés qui marquent nettement un changement d’époque. Un basculement.

Un cycle gravissime peut s’ouvrir si ensemble les peuples européens, avec d’autres dans le monde, baissent la garde, s’ils ne combattent pas les chauvinismes belliqueux et les nationalismes guerriers. La base de la contre-offensive porte sur les idéaux républicains, ceux de la Révolution de 1789 et ceux des Lumières, ceux des grands penseurs et créateurs européens, porteurs d’une culture émancipatrice. À force d’avoir méprisé, ces grandes valeurs humanistes, démocratiques, sociales, féministes, écologistes au profit des tableaux comptables austéritaires sous-tendant la concurrence libre et prétendument non faussée, les dirigeants européens n’ont que leurs gémissements à offrir. Pis, pareils à ceux qui tendent des bâtons pour se faire battre, ils empruntent la rhétorique des dirigeants de Washington, contre le progrès social, contre les normes, contre l’État social, contre les immigrés. À force de se soumettre, ils sont de plus en plus humiliés.

Nous ne nous en réjouissons pas, car ce seront les peuples, les travailleurs et la jeunesse en quête d’avenir, qui en paieront le prix si nous ne parvenons pas à défendre la paix et à défricher les chemins d’une autre construction européenne s’inscrivant dans un après-capitalisme.

Voilà pourquoi, face aux périls qui courent et accourent, fous sont celles et ceux qui font profession de diviser le camp de gauche, le camp de l’émancipation, le camp de la quête de justice et d’égalité en osmose avec le combat pour le climat et le vivant.

Face aux désintégrations que tente de provoquer l’internationale du techno capitalisme libertarien fascisant, l’urgence est à l’unité populaire pour porter le projet d’un post-capitalisme à inventer.

Mesurons et faisons mesurer la profondeur des dangers.

Le discours de Milei à Davos est la théorisation d’une option politique qui n’est pas seulement la contestation du « socialisme » mais, au-delà du reaganisme, le rejet du libéralisme politique et le retour au XVIIIe siècle avant l’éclosion des Lumières. C’est aussi le sens du discours du vice-président nord-américain contre « les réglementations excessives ; contre « l’idée sinistre [sic], injuste et aberrante de la justice sociale ». Autant de discours qui infusent dans les métastases du capitalisme européen et de ses zélés commis politiques.

La haine de l’égalité se superpose désormais dans les bouches des dirigeants nord-américains à une attaque contre tout projet de construction européenne.

Les dirigeants européens semblent surpris, choqués, désorientés, totalement démunis. Leur alignement permanent sur l’imperium ne pouvait pourtant que les placer devant une situation de désintégration de la Communauté européenne. Un projet qui plongerait encore plus les travailleurs et les peuples dans la barbarie économique et guerrière. À la suite du Brexit, les travailleuses et travailleurs du Royaume-Uni en savent quelque chose !

Mesurons la puissance des dangers qui se profilent avec la construction d’un axe de type nouveau entre Washington et Moscou, au long duquel brûle le droit international et au sein duquel le nationalisme en gestation parviendrait à maturation.

La haine du droit international est un projet commun à ce que l’on peut appeler le « capitalisme politique », ce système où des oligarques règnent au Kremlin comme à la Maison-Blanche. Tous deux sont en quête de territoires nouveaux à exploiter. Tous deux sont prêts à de nouveaux partages du monde. Tous deux haïssent la liberté, les droits des femmes et ceux des homosexuels, les immigrés, le progrès social et promeuvent la « liberté » d’exploiter, de spéculer, d’écraser toute opposition, de vociférer sans entrave. Leur culture commune d’un violent nationalisme ne les rend que plus dangereux, tant nous savons que les alliés d’aujourd’hui peuvent être les ennemis en guerre de demain.

La motivation de cette alliance de circonstance se trouve dans la désignation de la Chine comme ennemi principal de l’imperium nord-américain. Celui-ci est rejoint par le poutinisme qui n’a jamais accepté que la Chine lui rappelle la nécessité de respecter les souverainetés territoriales.

Faute d’avoir élaboré une stratégie autonome pour un processus débouchant sur une architecture de sécurité commune du continent en dehors de l’élargissement permanent de l’Otan, les dirigeants européens se trouvent pris en tenaille entre les gargantuesques appétits de l’imperium nord-américain et les forces du nationalisme du Kremlin qui continue de rêver à la « Grande Russie ».

Le peuple ukrainien qui risque de continuer d’être le malheureux pion, qui a déjà beaucoup souffert dans sa chair, pourrait encore douloureusement en faire les frais. Le Fonds monétaire international, les grandes banques et un certain nombre d’oligarques ukrainiens sont prêts à livrer leurs terres rares à la voracité du capitalisme états-unien qui réclame ainsi déjà son retour sur investissement dans la guerre. Et la bagarre pour les chantiers de reconstruction entre firmes capitalistes européennes et nord-américaines commence à faire rage.

Voici que les mêmes demandent aux pays membres de l’Union européenne d’être les supplétifs du maintien de l’ordre, d’une fragile paix, sur le territoire ukrainien face à la Russie, afin de permettre aux forces armées US d’investir la région Asie-Pacifique. Rien de tel pour ouvrir la voie à de nouvelles confrontations militaires. La chose est sérieuse puisque l’administration Trump affirme qu’elle n’interviendrait pas en cas de conflit entre des pays de l’Union européenne et la Russie. C’est l’inversion de l’article 5 du traité de l’OTAN qui prévoit une assistance entre ses signataires.

On aurait grand tort de rester spectateur face à de tels bouleversements. On ne peut non plus laisser croire qu’il s’agit d’événements fortuits ou inopinés. La politique nord-américaine est d’une grande constance, même si nous assistons en ce moment à une brutale accélération. Trump et ses acolytes sont plus clairs, plus directs, plus violents, plus grossiers, mais le terrain a été largement préparé par l’administration Biden. Dès lors qu’ont été imposées les sanctions contre la Russie, les États-Unis, déjà forts de l’extraterritorialité du droit nord-américain et de la prédominance du dollar, ont obtenu de l’UE le droit d’exporter leur carburant GNL (« gaz naturel liquéfié ») et leurs armes, le transfert des données des Européens au moment même où l’administration états-unienne réclamait et obtenait l’accroissement des budgets de défense dans chacun des pays membres de l’Union européenne.

À la faveur de la guerre d’Ukraine, l’Allemagne et la Pologne produisent un effort de réarmement inconnu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’Allemagne consomme de plus en plus de capitaux publics pour le surarmement alors que son industrie est sans doute la principale victime de la dépendance aux hydrocarbures des États-Unis, notamment dans le secteur automobile. Le sort des travailleurs allemands s’en trouvera de ce fait encore plus dégradé, accentuant la crise politique dans ce pays pourtant présenté jusqu’ici comme l’exemple de « la culture du compromis » et comme la réussite exemplaire de L’Europe néolibérale. Un compromis qui n’est que compromission avec le capitalisme international, lequel exige à présent que le fameux « compromis » s’élargisse à l’extrême droite.

Le choc historique en cours produit d’inquiétantes métastases au sein même de l’UE, avec la complicité active de la présidente allemande de la Commission de Bruxelles, contre la France particulièrement, contre son industrie de défense et sa présence à la table du Conseil de sécurité de l’ONU.

Derrière les discours autour des enjeux de « sécurité commune », d’ « armée européenne », de « boussole stratégique », de « défense commune », se trame au sein du capitalisme européen une guerre sans merci contre les industriels français.

C’est ce qui se joue, par une sorte de coup de force juridique mené par la présidente de la Commission contre l’esprit et la lettre du traité européen avec ce qui est baptisé « le marché unique de la défense ». Les rodomontades et les convocations, par le président de la République, de réunions d’urgence des dirigeants européens auxquels est ajouté l’agressif Royaume-Uni en deviennent ridicules et humiliantes pour la France.

À la suite du rapport Draghi qui mettait en évidence la fragmentation de l’industrie européenne de la défense (qui entraverait sa capacité à produire à grande échelle) et qui appelait les États membres à se concentrer sur « l’agrégation de la demande et l’intégration des actifs industriels de défense », le projet de « marché unique de la défense » tente de ressusciter la « Communauté européenne de la défense » que les gaullistes et les communistes mirent en échec dans les années 1950.

Il se trouve que ce projet est contraire à plusieurs articles au traité sur le fonctionnement de l’UE selon lesquels les États membres conservent la responsabilité de leur sécurité nationale (Art. 4) ; les pays membres continuent de protéger leurs productions et le commerce de leurs armes (Art. 346). L’article 5 du traité stipule expressément que « toute compétence non attribuée à l’Union dans les traités appartient aux États membres ». Or, la production d’armes et l’exportation de celles-ci restent de la compétence des États. C’est ce que met en cause la Commission européenne dans ce projet de directive, avec l’accord, notamment, de l’Allemagne et de l’Italie. Ces pays tentent aujourd’hui d’imposer de force l’européanisation du contrôle des exportations sous supervision nord-américaine alors que, déjà, l’intégration du numérique et de l’intelligence artificielle rend l’industrie de défense européenne dépendante des oligopoles états-uniens.

Les Etats-Unis jouent depuis plusieurs années – avec quelques complicités de pays européens et celle de la Commission – sur les rivalités intra-européennes, en particulier entre la France et l’Allemagne, afin d’asseoir définitivement leur domination sur le continent européen sans avoir à s’engager outre mesure.

C’est ce qui se joue actuellement avec le déploiement d’une force de paix en Ukraine alors que, pour l’heure, l’Union européenne est exclue de négociations qui concernent pourtant la paix dans sa région. Dans le même mouvement, les dirigeants nord-américains mènent campagne pour installer durablement en Europe des gouvernements d’extrême droite nationaliste, porteurs d’amplification de guerres sociales, d’extinction de la démocratie et de germes de guerres armées.

Singer cette extrême droite ne fait qu’accélérer sa venue au pouvoir. Affaiblir les droits sociaux et démocratiques, désarmer les travailleuses et travailleurs, mépriser les productions de biens et services utiles aux besoins sociaux et humains, refuser la souveraineté des travailleurs sur les productions, combattre toutes les régulations et les normes pour jeter nos concitoyens dans le feu des guerres économiques, ne fait qu’affaiblir notre pays.

La mobilisation populaire pour la justice, la paix, la démocratie dans la perspective d’un nouveau projet européen construit par et avec les travailleurs et les peuples est d’une grande urgence. L’exigence de la construction d’un front citoyen unitaire, démocratique et progressiste européen pour sortir du piège de l’alignement transatlantique et empêcher un désastre est à l’ordre du jour.

Cet inquiétant contexte oblige les forces progressistes, démocratiques, républicaines. Rien ne devrait les détourner du patient travail de fortification, d’élargissement et d’enrichissement du Nouveau Front populaire et citoyen voulu par les électrices et électeurs de gauche depuis le mois de juillet 2024. Le moment est trop grave, trop sérieux, trop préoccupant, pour jeter du poison sur l’herbe bien tendre de l’union populaire. À rebours de ces stériles crispations, ouvrant grands nos bras et nos cœurs à tous les républicains pour convoquer avec elles et eux, dans chaque ville, des rassemblements et des marches pour la démocratie et la paix.

Patrick Le Hyaric

18 février 2025

 

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