On l’a échappé belle. À quoi auraient ressemblé les commémorations de la
libération de Paris et du territoire national sous un gouvernement dirigé par
le Rassemblement national ? À une trahison des idéaux et une souillure des
héros de l’été 1944, sans aucun doute. À une captation d’héritage, sûrement,
dans l’air du temps de la grande inversion des valeurs et des repères qui
traite les forces héritières de la Résistance comme des collabos, et celles des
descendants de Vichy comme les authentiques républicains. En témoigne
l’invraisemblable procès médiatico-politique fait à la gauche à la faveur des
attentats du Hamas du 7 octobre, et qui vise à gommer l’antisémitisme
congénital du RN pour en reporter la tache sur les formations du Nouveau Front
populaire.
Qu’on se rappelle les heures qui ont précédé la panthéonisation de
Manouchian et l’incroyable silence complice qui a accompagné l’invitation faite
à Le Pen, que seule est venue briser « l’Humanité » demandant
solennellement au président de la République de désavouer cette présence
insultante. Qu’on se remémore la tempête soulevée par la réponse d’Emmanuel
Macron dans nos colonnes – « Les forces d’extrême droite seraient
inspirées de ne pas être présentes » –, les torrents d’indignation tournés
non contre le RN mais contre notre titre et son audace. C’est le directeur des
rédactions du « Figaro » Alexis Brézet, un de ces républicains qu’on
aurait frémi d’avoir comme allié dans la clandestinité, qui exécute sans état
d’âme la résistance communiste sur les ondes de Bolloré, mais qui cajole les
Le Pen comme les héritiers d’Estienne d’Orves ou de Daniel Cordier, le
secrétaire de Jean Moulin ! On songe alors à quelle falsification
historique de grande envergure l’arrivée au pouvoir du RN aurait ouvert les vannes,
déguisant les bourreaux en héros et vice versa.
Cette entreprise de révisionnisme accélérée, sorte de reformatage des
mémoires pour mettre la gauche hors circuit et installer le RN en position
d’unique alternative à Emmanuel Macron, a été stoppée dans son élan par le
succès imprévu du « barrage républicain » de l’entre-deux-tours des
législatives. Le racisme ontologique de l’extrême droite, sa haine de la
République, le poison antisémite qui continue d’infuser dans ses canaux, son
aversion pour les conquêtes du Conseil national de la Résistance : tout
est remonté à la surface. Quelques jours ont suffi pour que ressurgissent les
réflexes émoussés par des mois de lavage des cerveaux en continu sur les
chaînes de la TNT et dans les organes centraux de la presse Bolloré.
La campagne des législatives a montré qu’on n’efface pas au détergent
idéologique l’expérience enracinée des années noires de l’Occupation dans les
esprits de tout un peuple. Mais elle a montré aussi que des relais puissants
s’activent, de moins en moins dans l’ombre, pour porter les valeurs de
l’extrême droite au pouvoir. Avant de se jouer dans les urnes, le combat est
donc un combat d’idées, mais aussi un combat pour la vérité historique, où
s’entrechoquent les récits dans lesquels se joue la présentation des faits,
exacte ou contrefaite. Notre numéro participe de cette bataille pour la pleine
reconnaissance de la place de la Résistance comme mouvement populaire dans la
libération du pays, de la part décisive prise par sa composante communiste, aux
côtés d’autres, que l’entrée des Manouchian et des FTP-MOI au Panthéon a
consacrée. La lutte contre la bête immonde n’est pas terminée, à nous de la
poursuivre toutes et tous.
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