J’aime les fruits qui sont, qui étaient, qui demeurent
un don naturel de ce monde qui nous porte. Surtout lorsqu’ils ne sont pas
cultivés, qu’ils naissent sur les arbres ou sur les haies. Ainsi les mûres, que
j’ai toujours récoltées et que je récolte encore, au début du mois de
septembre, dans un panier d’osier que je vide par gourmandise à mesure qu’il se
remplit. Leurs grains noirâtres, si doux et si sucrés, ne recèlent pas la
moindre amertume. Ils poissent la peau d’une pellicule qu’il faut lécher pour
la faire disparaître, c’est du moins le seul moyen que je connaisse, et le
seul, de surcroît, à me faire redevenir enfant. Et puis, il y a les prunelles
bleues que l’on trouve sur les haies et qu’on ramasse à pleines poignées,
malgré leur âpreté qui enflamme la bouche. Seul le gel attendrit un peu ces
prunelles, mais il faut avoir la patience de l’attendre. Comme ces cerises
sauvages, qui ont du mal à mûrir, mais dont le rouge pâle a quelque chose
d’émouvant à cause, précisément, de cet effort vain sans cesse renouvelé. Leurs
arbres sont le plus souvent d’une extrême maigreur, le tronc aussi bien que les
branches. Et pourtant ils s’obstinent à donner des fruits – à qui, pourquoi ?
Au passant, pour l’aider, j’aime à le croire, pour le rouge clair sur le vert
tendre des feuilles, parce que la vie ne calcule pas. Ici, dans le Gers, les
figuiers sauvages sont nombreux le long des chemins. Au contraire des cerisiers
sauvages, ils mûrissent, et la chair de leurs fruits, sous une peau épaisse est
parsemé de petites graines aussi sucrées qu’elle. Elle fond dans la bouche avec
un moelleux de soie. Il est vrai que c’est dans leur chair que se révèlent
leurs fruits. Qu’elle soit fondante, âpre, rugueuse, douce, sucrée, elle trahit
la nature de l’arbre qui l’a fait naître, son cœur et sa force. Ainsi les
pêches de vigne, qui se font rares, et dont les arbres, malingres, disent la
fragile saveur. Ils poussent non pas dans un verger ou un jardin, mais dans une
vigne. Pourquoi ? Probablement parce que le terrain leur convient, plus
sûrement parce que leurs fruits désaltèrent très bien et que le travail, sous
le soleil, était pénible, asséchant, assoiffant. Les femmes et les hommes qui
ont planté ces arbres n’ont pas choisi ces endroits par hasard. D’ailleurs tout
ce qu’ils faisaient l’était par utilité. La vie était trop dure pour autoriser
la fantaisie. Les pêchers sont toujours là, donnent de petits fruits dont la
chair blanche, très blanche, fond dans la bouche comme un lait frais, et
témoignent d’un temps où les plaisirs, aussi, étaient de faible dimension. Mais
comme ils étaient rares, ils paraissaient grands. Qui ne se souvient, aussi,
des fruits du grenadier. Ces graines, d’un rouge sang, paraissent à la fois
acides et sucrées. J’en mangeais, étant enfant. Leur souvenir me hante. Quelque
chose d’inattendu, de précieux, à savourer sans se presser, graine après
graine, pour un plaisir un peu étrange, vaguement coupable, reçu comme un
trésor. Je sais qu’on peut en trouver, à la bonne saison, mais je n’ai jamais
fait la démarche d’en acheter. Par peur de briser le trésor ? Pour ne pas être
déçu ? C’est de cela qu’on vit. De ces dérisoires richesses dont l’unique
valeur est l’écho qu’elles éveillent en nous. Un écho qui nous dépasse, ne
s’explique pas, sinon par l’ineffable douceur de cet ébranlement.
mercredi 14 août 2024
NOUVELLE « SALADE DE FRUITS » !
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