jeudi 29 février 2024

GUSTAVE COURBET VU PAR ÉMILE ZOLA



« J'ai déjà dit (Zola parle), qu'il y a eu trois grands talents dans l'école française du XIXème siècle : Eugène Delacroix, Ingres et Courbet, et je pense que ce dernier était aussi grand que les deux premiers. Les trois ensemble ont révolutionné notre art : Ingres accoupla la formule moderne à l'ancienne tradition ; Delacroix symbolisa la débauche des passions, la névrose romantique de 1830 ; Courbet exprima l'aspiration au vrai - c'est l'artiste acharné au travail, asseyant sur une base solide la nouvelle formule de l'école naturaliste. Nous n'avons pas de peintre plus honnête, plus sain, plus français. Il a fait sienne la large brosse des artistes de la Renaissance, et s'en est servi uniquement pour dépeindre notre société contemporaine. Remarquez qu'il est dans la ligne de la tradition authentique. Tout comme le travailleur de talent qu'était Véronèse ne peignait que les grands de son époque - même quand il lui fallait représenter des sujets religieux -, de même le travailleur de talent qu'était Courbet prenait ses modèles dans la vie quotidienne qui l'entourait. C'est autre chose que ces artistes qui, voulant être fidèles aux traditions, copient l'architecture et les costumes des artistes italiens du XVIème siècle.

Au Champ-de-Mars il n'y a qu'une toile de Courbet : La Vague, et même ce tableau n'y figure que parce qu'il appartient au musée du Luxembourg, et dès lors l'Administration des beaux-arts a bien été obligée de l'accepter. Et c'est cette toile unique que nous montrons à l'Europe, alors que Gérôme dans la salle voisine ne compte pas moins de dix tableaux et que Bouguereau va même jusqu'à douze. Voilà qui est honteux. Il aurait fallu assigner à Courbet à l'Exposition universelle de 1878 toute une salle, comme on l'a fait pour Delacroix et Ingres à l'Exposition de 1855.

Mais on sait bien de quoi il retourne, Courbet avait participé à la Commune de 1871. Les sept dernières années de sa vie ont été de ce fait un long martyr. On commença par le jeter en prison. Ensuite, à sa sortie de prison, il faillit mourir d'une maladie qu'avait aggravée le manque d'exercice. Après, accusé d'avoir été complice du renversement de la colonne Vendôme, il fut condamné à payer les frais de la reconstruction de ce monument. On lui réclamait quelque chose dans la région de trois cents et quelques mille francs.

Les huissiers furent lancés à ses trousses et on opéra la saisie de ses tableaux. Il fut obligé de vivre en proscrit et mourut à l'étranger l'an dernier, exilé de la France dont il aura été l'une des gloires. Imaginez un gouvernement qui fasse saisir les toiles de cet artiste pour solder les comptes de la restauration de la colonne Vendôme ! Je comprendrais mieux s'il les avait fait saisir pour les exposer au Champ-de-Mars. Cela aurait été plus à l'honneur de la France.

Du reste, on a toujours traité Courbet en paria. En 1867, quand la médiocrité académique de Cabanel s'étalait déjà devant les étrangers accourus de toutes parts, Courbet a dû organiser une exposition particulière pour montrer ses œuvres au public. Il n'est plus parmi les vivants. On se doute pourquoi cette suprême humiliation, la plus grave de toutes, lui a été infligée, d'exposer au Champ-de-Mars son tableau La Vague. La place étroite qu'on a cédée à l'artiste est ironique au plus haut point et inconvenante. Qu'on enlève La Vague, car elle donne à réfléchir à tous les artistes magnanimes et indépendants qui s'arrêtent devant elle. Ils douteront du grand disparu, qu'on essaie d'enterrer sous une poignée de terre.

La Vague fut exposée au Salon de 1870. Ne vous attendez pas à quelque œuvre symbolique, dans le goût de Cabanel ou de Baudry : quelque femme nue, à la chair nacrée comme une conque, se baignant dans une mer d'agate. Courbet a tout simplement peint une vague, une vraie vague déferlant sans se laisser décourager, sans se soucier des rires qui accueillaient ses toiles, du dédain ironique des amateurs. On le raillait, on l'appelait le peintre nébuleux, on feignait de ne pas comprendre dans quel sens il fallait prendre ses tableaux. Puis un beau jour on s'avisa que ces prétendues esquisses se distinguaient par un métier des plus délicats, qu'il y avait beaucoup d'air dans ses tableaux ; qu'ils rendaient la nature dans toute sa vérité. Et les clients affluèrent dans l'atelier de l'artiste ; ils l'ont tellement surchargé de travail vers la fin qu'il lui a fallu en partie donner de l'ouvrage bâclé. Je ne connais pas d'exemple plus frappant de la peur que ressent le public devant tout talent neuf et original, et du triomphe inévitable de ce talent original pour peu qu'il poursuive obstinément ses buts. »

 

« Silence, on colonise », l’éditorial de Cédric Clérin dans l’Humanité



C’est heureux, vous ne trouverez pas un dirigeant occidental pour soutenir la colonisation. Mais vous aurez bien du mal à en trouver un pour agir contre elle. En tout cas, en Cisjordanie. Alors que les regards sont braqués sur Gaza et la tragédie qui s’y déroule, le versant cisjordanien de cette guerre en apprend peut-être encore davantage sur les visées d’Israël. Point de Hamas à combattre là-bas, et pourtant l’armée et les colons harcèlent, agressent, chassent impunément les Palestiniens de leurs terres.

Après l’annonce d’un nouveau plan de 3 300 constructions en Cisjordanie, la France a réagi fortement, en rappelant « sa condamnation de la politique de colonisation, illégale au regard du droit international ». Quelques jours plus tôt, c’est Josep Borell, le haut représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères, qui tonnait : « Les colonies (…) alimentent les tensions, entravent les efforts de paix et constituent une grave violation du droit international. » Et puis ? C’est tout.

Au lendemain de l’invasion russe en Ukraine, l’Europe avait surpris son monde en réussissant à mettre d’accord les États membres sur plusieurs paquets de sanctions contre des dirigeants et oligarques russes. Rien de tel en ce qui concerne les dirigeants israéliens, qui violent eux aussi le droit international quotidiennement depuis bientôt cinq mois, et même depuis des décennies. C’est pourquoi un collectif d’habitants de Cisjordanie a décidé d’adresser une requête directement à Josep Borell.

Il s‘agirait d’appliquer aux cinq principaux ministres israéliens responsables des opérations en Cisjordanie le régime mondial de sanctions en matière de droits de l’homme dont s’est dotée l’UE. Celui-ci stipule que « l’UE refuse de rester les bras croisés alors que de graves violations et atteintes en matière de droits de l’homme sont commises ». L’initiative du collectif obligerait donc l’Union européenne à prendre ses responsabilités et à passer aux actes. Nul doute que l’UE réagira vite, sauf à faire la preuve d’un incompréhensible deux poids, deux mesures entre l’Ukraine et la Palestine.

 

« Mistral gagnant », le billet de Maurice Ulrich.



Cocorico ! Perché sur son éditorial, l’une des plumes libérales de l’Opinion, Rémi Godeau n’en peut plus. Le succès de la start-up française Mistral AI, dans le domaine de l’intelligence artificielle, avec la mise au point d’un équivalent du fameux ChatGPT, le système producteur de textes, traducteur, etc. est « un vent d’optimisme » qui souffle sur la France.

Suit une envolée lyrique comme on en connaît rarement dans la littérature économique : « Face aux misérabilistes que la réussite dégoûte, aux crypto-collectivistes prêts à tuer le capitalisme d’innovation, aux passéistes sourds à la révolution qui vient, la start-up française apporte un démenti cru à la fatalité de notre déclassement. » Soit, et c’est à saluer, la France n’est pas sans cerveaux.

Mais l’enthousiasme de Rémi Godeau lui fait taire un détail. L’entrée de Microsoft au capital de Mistral AI, comme cela s’est passé avec OpenAI, qui avait précisément mis au point ChatGPT, avec la remise en cause des objectifs de départ, au service du bien commun. Mistral AI a besoin du groupe géant pour se développer. Qui gagne ?

 

mercredi 28 février 2024

FLAMMES !



Elle est dans la cheminée pour réchauffer l’hiver. Elle est dans la casserole qui chauffe le ragoût Elle est dans la guerre au bout du révolver. Elle est sous la fusée qui part dans l’univers. Elle est sous la terre provoquant le coup de grisou. Elle est dans l’incendie qu’allume le pervers. Elle est dans tes paroles et dans tes quelques vers. Elle est dans ton corps lorsque l’on te bafoue. Elle est dans le rouge, qui, d’un coup passe au vert. Elle est dans le printemps quand poussent les primevères. Elle est dans nos artères lorsque notre sang bout. Elle est dans tes yeux et sous ton pull-over. Elle est dans l’horizon quand il est découvert. Elle est dans la nuit, dans le regard du hibou. Elle est dans le soleil quand il devient sévère. La flamme régit nos joies, nos peines et nos travers. Elle est dans la vie, dans la mort, elle est partout. Et, elle se multiplie ne dit-on pas, les flammes de l’espoir ou les flammes de l’enfer.

 

mardi 27 février 2024

« Course à l’abîme », l’éditorial de Stéphane Sahuc dans l’Humanité.



« Mais où sera la force de sagesse ? Depuis des années, il n’y a plus de droit public européen et on peut dire qu’il n’y a pas d’Europe. Or, sans l’action morale d’une conscience européenne très forte, tous les problèmes de l’Orient européen sont insolubles. » Ces mots, Jean Jaurès les écrit le 30 juin 1914, deux jours après l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand. Un mois plus tard, la conjonction du jeu des alliances, des nationalismes, de tactiques politiques aventureuses et d’intérêts impérialistes contradictoires mène le monde à la guerre.

Certes, nous ne sommes pas dans un contexte similaire, mais l’escalade militariste en Europe est des plus inquiétantes. Désormais, des chefs d’État, à commencer par le président français Emmanuel Macron, parlent d’inéluctable « attaque russe » et envisagent ouvertement d’envoyer des troupes en Ukraine. Tenter de faire croire que le passage de « soutien à l’Ukraine » à « ennemi en guerre avec la Russie » obligerait Poutine à déposer les armes est au mieux de la naïveté, mais plus sûrement une hypocrisie assumée.

En appelant les peuples à se préparer à la guerre, les pays occidentaux veulent leur faire accepter plus facilement l’explosion des budgets militaires. Autant de centaines de milliards d’euros qui n’iront pas aux budgets sociaux ou environnementaux utiles aux populations mais qui permettront de se fournir en matériels et munitions divers chez l’Oncle Sam, pour le plus grand bonheur des marchands d’armes états-uniens. 

Ces déclarations martiales ne sont pas sans conséquences diplomatiques. Elles peuvent conduire les Russes à élargir leur zone d’opération, accroissant ainsi le risque de dérapage. Nombre de pays de l’Alliance atlantique sont frontaliers de la Russie, et certains n’hésiteront pas à faire jouer l’article 5 du traité de l’Otan, qui oblige les alliés à se venir en aide.

« Si l’Europe tout entière ne révolutionne pas sa pensée et ses méthodes, (…) l’Orient de l’Europe restera un abattoir où, au sang du bétail se mêlera le sang des bouchers, sans que rien d’utile ou de grand germe de tout ce sang répandu et confondu », écrivait encore Jaurès dans son éditorial. Aujourd’hui, le monde aurait besoin que l’Europe tout entière révolutionne sa pensée et ouvre une autre voie que la course à l’abîme.

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« Danger », le billet de Maurice Ulrich.



Ouh là ! Ça fait un titre dans un de nos quotidiens : une intelligence artificielle parvient à distinguer le cerveau des hommes et des femmes. Un algorithme développé par des chercheurs de Stanford en Californie pourrait, à partir des IRM, repérer des différences dans le fonctionnement de la mémoire, la gestion des émotions… Il ne manquait plus que ça et, surtout, ça veut dire quoi ?

Hegel, en son temps, c’est-à-dire au début du XIXe siècle et dans la Phénoménologie de l’esprit, consacrait une dizaine de pages non dénuées d’humour et d’ironie à la prétention qu’avait la phrénologie, alors en vogue, de déterminer les comportements et les passions à partir de la forme du crâne… On sait ce que les nazis en ont fait.

Ce n’est pas à partir de sa forme, écrivait-il, « que l’on assassine, vole, poétise » et, ce n’est pas en tant que partie animale que le cerveau fonctionne, « mais en tant qu’être de l’individualité auto-consciente ». Les chercheurs de Stanford ne tirent pas de conclusions hâtives de leurs observations, mais attention, danger.

 

« Plombée », l’éditorial de Sébastien Crépel dans l’Humanité.



La tâche est immense et peut-être insurmontable pour la nouvelle tête d’affiche macroniste aux élections européennes. Valérie Hayer hérite de la lourde charge de mener la liste de son camp le 9 juin. Mais, à peine désignée, la jeune femme inconnue du grand public, qui a succédé à Stéphane Séjourné à la tête du groupe Renew au Parlement européen, est déjà lestée de la prestation contre-productive du chef de l’État au Salon de l’agriculture, ce week-end.

Hué, sifflé par les paysans en colère, Emmanuel Macron a plombé l’entrée en campagne de sa tête de liste. La candidature de la députée européenne sortante, élue sur la liste de Nathalie Loiseau en 2019, a pourtant été pensée pour aller chercher les voix du monde agricole et de leurs soutiens, très majoritaires dans l’opinion. La désignation de cette fille de famille d’agriculteurs est l’indice très clair que la Macronie juge que l’élection se jouera notamment sur le terrain de la crise paysanne. Et qu’elle compte sur ce coup politique pour refaire son retard sur son concurrent du RN qui plane très loin en tête des sondages, à dix points au-dessus de la liste Renaissance.

Cela suffira-t-il ? Rien n’est moins sûr. Les électeurs sont fatigués des stratégies de communication du président de la République. Il faudra plus qu’une ascendance familiale paysanne sur un CV pour convaincre le monde agricole que la liste Hayer est à même de défendre les agriculteurs français à Bruxelles. Les électeurs pourront, pour s’éclairer, examiner le bilan des candidats, et confronter leurs actes à leurs programmes. Celui de Valérie Hayer reste à établir, mais d’ores et déjà, on remarque que la députée a donné quitus, le 13 juin 2023, aux orientations de l’Union européenne en matière de concurrence, et a voté, le 9 mai 2023, la suspension pour une année supplémentaire des droits de douane sur les produits agricoles ukrainiens importés, fruits et légumes inclus. Autant de politiques aujourd’hui au cœur de la controverse sur le dumping des productions qui ruinent les paysans français, faute de respecter les mêmes normes sociales et environnementales.

 

« Par jour », le billet de Maurice Ulrich.



Dans l’incapacité de trouver les mots pour qualifier la rémunération de Carlos Tavares, le PDG de Stellantis, on peut s’intéresser à ses aspects pratiques, philosophiques ou encore psychiques. 36,5 millions par an. Cent mille euros par jour ce qui représente, euh… sauf erreur, cinq ou six années de salaire d’un ouvrier du groupe.

D’un strict point de vue pratique, ça interpelle comme on dit. Que fait-on de cent mille euros par jour. On sait par exemple (le sait-on vraiment ?) que, dans quelques rares restaurants, ça paye tout juste deux bouteilles de grand cru. Mais on imagine que Carlos Tavares, dans ce cas, les passerait en frais généraux.

Il faut donc imaginer qu’il s’achète tous les mois un appartement sur les Champs-Élysées ou qu’il prépare sa retraite, l’avenir de ses enfants, petits-enfants, etc. jusqu’à la fin des temps. Philosophiquement, on peut dire avec Schopenhauer qu’il faut, à ce point, penser les autres comme des fantômes, n’ayant pas d’existence réelle. Une aberration psychique en somme, qui pose encore une question. Comment peut-on accepter ça ?

 

lundi 26 février 2024

« Combattre l’hystérie militariste », la chronique de Patrick Le Hyaric.

 


Au moment où, en de multiples endroits du globe, rougeoient les fournaises des tensions et des conflits les classes dominantes basculent dans l’hystérie de guerre. Le mot paix est désormais effacé des interventions publiques au profit de celui du réarmement. L’agression guerrière poutinienne contre le peuple ukrainien, a considérablement dérouté, divisé et affaibli les mouvements pour la paix, et a permis aux États-Unis de se réinstaller en Europe et d’élargir encore l’Otan, tout en donnant de la force au complexe militaro-industriel outre-Atlantique allié aux géants du numérique. Au placement de son pays en économie de guerre contre les besoins sociaux, Poutine ajoute un autoritarisme renforcé et un nationalisme belliqueux. Développant ses thèses lors d’un entretien avec un journaliste d’extrême droite américain, il a, à nouveau, refait l’histoire et contesté Lénine qui reconnaissait la possible autonomie de l’Ukraine et des nations périphériques de la Russie. Comme les Occidentaux, il a enfoui en son obscur tréfonds les mots « paix », « détente », « diplomatie ». Pire, il paradait la semaine dernière à bord d’un avion de nouvelle génération capable de transporter des bombes atomiques. Cette politique de la force tue chaque jour, détruit des capacités de production industrielle, agricole en Ukraine comme des services publics, des écoles, des lieux de culture, tandis que les jeunes Russes sont enrôlés dans une guerre qui n’est pas la leur, mais celle des oligarques soucieux d’élargir leur sphère d’exploitation et de profits. En voulant coûte que coûte intégrer l’Ukraine à l’Union européenne, les classes dominantes nourrissent la même ambition qui les conduit, sans attendre, avec la complicité des oligarques ukrainiens, à demander des sacrifices et des reculs sociaux aux travailleurs ukrainiens déjà victimes de la guerre. Déjà la guerre économique est installée entre paysans ukrainiens et ceux des autres pays de l’Union européenne. Comme quoi la guerre ne libère pas, elle asservit au seul service du grand capital de part et d’autre.


Telle était l’ambiance lors de la récente conférence de Munich*, qui s’est tenue du 16 au 18 février, au cours de laquelle a été mis en discussion un programme politique visant à appeler les citoyens des pays européens à se préparer à la guerre. Elle s’est conclue par la pressante demande de l’accélération de la production d’armement en Europe. Cette orientation stratégique a été justifiée par les déclarations de Donald Trump à la veille de cette réunion. Lui, redevenant président des États-Unis, il n’aiderait plus les pays membre de l’Otan à se défendre si ceux-ci ne consacraient pas 2 % de leurs richesses annuelles aux dépenses militaires. Il déclara même vouloir encourager « la Russie à faire ce que bon lui semble ». On aurait tort d’y voir une simple provocation. Attiser la peur et la militarisation est un programme commun aux directions des deux principaux partis des États – Unis. L’imperium étale ses difficultés à débloquer 60 milliards de dollars supplémentaires pour l’armement ukrainien, tout en fournissant les bombes qui tuent les enfants de Gaza. Cette sortie de M. Trump, partagée en large partie par la Maison-Blanche, est interprétée dans les capitales européennes comme l’urgente nécessité de s’armer et de se préparer au combat. En fait, les Américains demandent à l’Union européenne de renforcer – comme le prévoient les traités européens – le pilier européen de l’Alliance atlantique.  

Afin de contenir leur crise et leurs colossaux déficits, ils demandent aussi aux Européens de fortifier ce « pilier » en leur achetant avions, chars, drones et missiles ultra-sophistiqués alors que les importations de ces armes par les États européens ont déjà augmenté de 47 % depuis l’année 2019.Forts de ces recommandations, les dirigeants européens, chancelier allemand en tête, ont donc décidé d’accélérer leurs programmes de réarmement, d’appeler à une militarisation de l’économie, d’introduire la conscription et surtout d’ouvrir la possibilité de se doter d’une arme nucléaire européenne. Ils se sont bruyamment réjouis de l’offre du président Macron « d’européaniser » les armes nucléaires françaises.

Le ministre allemand des Finances et dirigeant du parti libéral, Christian Linder, appelle dans le journal Frankfurter Zeitung au développement d’armes nucléaires communes. Il y a ici un inquiétant point de bascule faisant de l’Allemagne une puissance nucléaire pour la première fois de son histoire. La tête de liste des sociaux-démocrates allemands aux élections européennes Katarina Barley, comme son concurrent de la droite Manfred Weber, ont soutenu cette idée de développement d’armes nucléaires européennes indépendantes. Et la ministre allemande de la Défense Christine Lambrecht a insisté, en marge d’une réunion des ministres de la Défense de l’Otan, à Bruxelles il y a quelques jours, sur le rôle de son pays devenant « la colonne vertébrale et la plaque tournante logistique de la défense de l’Europe ». La présidente de la Commission européenne propose de nommer au sein de la commission un commissaire européen à la défense (ou à la guerre) et s’apprête à présenter un plan pour soutenir l’industrie européenne de la défense avec les milliards d’euros qu’elle soustraira aux besoins sociaux et environnementaux. Les traités de défense que signent plusieurs pays dont la France et l’Allemagne avec l’Ukraine ont pour objectif de préparer les conditions de l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan. Tout le monde sait pourtant qu’il s’agit d’un casus belli pour les Russes.

Se réjouir de la déclaration de Trump pour mieux prôner le surarmement comme le font de grands journaux en Europe signifie qu’une vaste opération visant à préparer les citoyens européens à de nouveaux sacrifices en vue de la militarisation à outrance est lancée. Ainsi le journal Politico, propriété du groupe allemand Springer, écrit : « Le coup de tonnerre de Trump devrait aider à recentrer la boussole stratégique de l’Europe » tandis que l’éditorial de nos confrères du Monde de samedi dernier appelle les dirigeants européens à « désormais assumer une lourde tâche de conviction auprès de leurs peuples ». Cette hystérie guerrière fait frémir. Cette préparation à la guerre inclut une guerre sociale contre les travailleurs et les familles populaires comme en témoignent déjà les 10 milliards d’euros d’économies budgétaires sur le bien public annoncé par le ministre de l’Économie. Son homologue allemand aux finances ne cache pas que c’est au peuple de supporter le coût du militarisme. « Les dividendes de la paix » ont hier été utilisés pour l’État social, dit-il. « Aujourd’hui, nous sommes au début de l’ère de l’investissement pour la liberté, c’est pourquoi un changement de direction est nécessaire. » Et le chancelier allemand Olaf Scholz a été clair en déclarant, lors de son discours justifiant la course aux armements, à la conférence de Munich : « Cette guerre au cœur de l’Europe nous demande des efforts. L’argent que nous dépensons aujourd’hui et à l’avenir pour notre sécurité nous manque ailleurs. » L’alignement permanent de l’Union européenne sur les États-Unis, alors que les contradictions intra-capitalistes et intra-impérialistes s’aiguisent, ouvre ces inquiétantes voies. Une autre stratégie autonome, non alignée, de l’Union européenne, la plaçant au centre de médiations possibles, tout en négociant un cadre de sécurité commune et de paix pour tous les pays de la grande Europe, permettrait à la fois d’éviter de nouveaux sacrifices pour les peuples et de bâtir des coopérations nouvelles dans la justice et la paix. L’alignement atlantiste est mortifère.

À la veille des élections européennes, il serait temps de sortir des petits jeux politiciens et de s’emparer de cet immense enjeu.
En effet, la déclaration de Trump et les imbéciles déclarations de Biden en réponse à Poutine cachent à la fois des objectifs plus profonds et une crise interne aux États-Unis trop sous-estimée. Les dirigeants Nord-américains, qu’ils soient démocrates ou républicains nationalistes, dictent la stratégie du camp occidental. Ils demandent à l’Union européenne de rentrer en conflit avec la Russie, afin d’entretenir leur rivalité systémique avec la Chine. Mais les Américains et avec eux le camp du capitalisme occidental voient leurs positions notablement fragilisées aux yeux du monde. Leur deux poids-deux mesures sautent aux yeux quand ils appellent à l’aide pour les populations ukrainiennes alors qu’ils soutiennent le pouvoir d’extrême droite israélien qui multiplie les crimes à Gaza tout en poursuivant la colonisation de la Cisjordanie. Ainsi, les connexions et interactions entre la guerre russe contre l’Ukraine et les autres théâtres géopolitiques dans le monde, Moyen-Orient, Extrême-Orient ou même Afrique, auxquels s’ajoute le creusement des déficits et dettes alors que nombre de pays veulent s’émanciper du dollar, affectent sérieusement les positions des États-Unis et avec eux celles de tout le camp occidental. C’est donc une folie de les suivre dans cette course à l’abîme.

C’est dans cette fournaise que grandissent les nationalismes et les extrêmes droites en Europe et aux États-Unis. Les peuples ont tout à y perdre. Laisser faire prépare au pire. Les travailleurs de tous les pays, les citoyens doivent redoubler d’effort pour se solidariser et construire la paix, le progrès social et humain. Cela ne peut plus attendre !

  • La conférence dite « de Munich » est une réunion transatlantique discutant des enjeux de sécurité et de stratégie.

« Dénominateur commun », l’éditorial de Marion d’Allard dans l’Humanité.



Les images sont désastreuses. Et feront date. Un président de la République copieusement hué par des paysans survoltés, des CRS déployés en nombre dans les allées d’une foire agricole devenue foire d’empoigne, sans doute l’exécutif ne pouvait pas imaginer pire entrée en matière.

La stratégie de la mesurette a fait long feu. En dépit de l’extrême hétérogénéité du monde agricole et des revendications – souvent contradictoires – exprimées tous azimuts depuis plus d’un mois, il est un dénominateur commun à leur colère qu’Emmanuel Macron n’a plus pu éluder : la question cruciale du revenu paysan.

« L’objectif, c’est que nous puissions avoir, filière par filière, des prix planchers », a lâché le chef de l’État. Un double désaveu de haute voltige. À l’endroit de son ministre de l’Agriculture d’une part – Marc Fesneau jugeait, fin janvier, la mesure « démagogique » –, des députés de son propre camp d’autre part qui ont rejeté en bloc, en novembre dernier, une proposition de loi reprenant celle déposée dès 2013 par le député communiste André Chassaigne et allant en ce sens.

Reste qu’en Macronie le coup fourré se niche souvent dans les plis de la belle déclaration. Aux antipodes de la fixation, par l’État, d’un prix rémunérateur pour le producteur adossé sur un encadrement strict des marges de l’industrie agroalimentaire et de la grande distribution, l’exécutif promet un nouveau lifting d’une loi Egalim mal ficelée, écrite pour s’accommoder des logiques de marché.

Emmanuel Macron n’est pas entré dans le détail. Habile. Le chef de l’État le sait, les prix planchers, plébiscités par la gauche depuis des années, contredisent sa politique et celle de ses alliés européens. S’engager sur une telle mesure quand les eurodéputés s’apprêtent à voter deux accords de libre-échange avec le Kenya et le Chili relève du cabotinage.

À continuer de jouer du « en même temps », Emmanuel Macron ajoute de la confusion à la colère. Du pain bénit pour l’extrême droite, avide de capitaliser sur la souffrance d’une profession exsangue en tenant sous silence l’inconséquence des votes de ses parlementaires.

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« Bien entendu », le billet de Maurice Ulrich.



Oreillette. La voilà bien nommée celle qui devait être la star du salon de la porte de Versailles. Comme les appareils que portent les présentateurs ou les animateurs de la télé pour rectifier les dérapages ou donner une direction. Mais voilà que par, ben oui, un tour de vache, elle s’est fait voler la vedette.

Emmanuel Macron conspué et le président du Rassemblement national et candidat aux élections européennes, Jordan Bardella, chaleureusement accueilli dimanche. On avait l’impression d’un scénario déjà tout prêt. Voilà des semaines que l’on nous en rebat les oreilles du duo annoncé des élections à venir et que des élus du RN s’arrogent, en toute démagogie et non sans la complaisance de trop de médias, le rôle de porte-parole du monde agricole.

Ils ont beau jeu au regard de décennies de politiques européennes opaques, d’accords de libre-échange, d’importations défiant toute concurrence, de marges obscènes de la grande distribution… Au fond, tout se passe comme si on avait soufflé la colère du monde agricole à l’oreillette du RN.

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dimanche 25 février 2024

Nouvelle : « Le pissenlit, c’est la saison » !



Prenez un panier, un couteau pointu, enfilez des bottes et descendez dans le pré le plus proche. Si  vous êtes citadin, munissez-vous d’un livre, de deux tickets de bus, l’aller le retour, choisissez n’importe quelle ligne qui s’éloigne au maximum de la ville et, au terminus, marcher vers le pré précité. Si parisien, joker. Le choisir ni en bouton, ni – encore moins – en fleur. D’un mouvement tournant de la pointe du couteau, couper sa racine à raz-de-terre. En emplir son panier. Marcher dans la terre, dans l’herbe, patauger dans le ruisseau s’il y en a un, mettre sa capuche si le ciel (comme il est dans l’ordre de mars) fait son écossais. Acheter des œufs sur le chemin du retour. Où ? N’importe ! Pourvu qu’ils aient un peu de duvet à la coquille, comme un  visage d’adolescent, ou des traces de crotte. Demander au boucher de débiter deux ou trois bardes de lard salé en dés en discutant avec lui du contenu du panier ou – si giboulées – de ces giboulées pendant que la lame de son couteau tranche la couenne comme beurre. Dans une boulangerie dépourvue de portes automatiques, et là seulement, demander une couronne ou un bâtard.  De quatre livres ! Descendre à la cave en rentrant. Choisir un petit Bourgogne de deux ou trois ans, Pinot noir. Sinon un Côte Roannaise, un Anjou ou bien un Côtes de Saint-Mont, ça existe oui ! Mettre les œufs à cuire au dur en arrivant à la cuisine. Déboucher la bouteille, se verser un demi ballon, goûter la chose. Vider le panier dans le bac de l’évier. Ôter les feuilles pourries. Couper les pieds. Laver à deux eaux. Trois si on craint les bêtes qui vont par les prés et se lâchent n’importe où. Une fois rincé et essoré, le sécher dans un torchon. Pendant que les lardons grillent dans la poêle (en fonte !), brasser une vinaigrette : deux tiers huile, un tiers vinaigre de vin, gros sel, poivre, moutarde de Dijon. Retourner les lardons et, à chaque fois, se saucer la ruelle d’une giclée de vin. Il s’est déjà adouci, il  a perdu de son acidité. Passer les œufs sous l’eau froide et les laisser sous un filet d’eau coulant dans la casserole. Pendant ce temps, aller au fond du ballon en regardant dehors : les gens, les nuages, un chat. Ne penser à rien. Sortir une assiette, une large – c’est pour en manger plus -, l’étaler dessus. Verser la vinaigrette. Les lardons. Écoquiller les œufs et les émincer dessus. Couper une large tranche dans le bâtard. S’asseoir. Empoigner couteau et fourchette. Manger. Faites cela au moins une fois. Avant la blistérisation globale. La normalisation des prairies. Avant votre propre fin. Luttez avec des missiles à courte portée : un panier, un couteau, une poêle à frire. Mangez du pissenlit.

 

vendredi 23 février 2024

DOUX SONS !



Un son qui peint l'abstrait, caresse le silence, un son vient ruisseler, entre les apparences. C'est le chant d'un ruisseau qui bouscule les pierres. Le vent dans les roseaux fait flotter le mystère. Ce son qui des glaciers découpe un paysage. Ce son fait serpenter la pluie jusqu'aux rivages. Ce frottement de l'air vient niveler l'espace, il est doux, il est vert, et la vie prend sa place.

« Vue de Paris, la Seine » (Johan Barthold JONGKIND)



Ce Hollandais était un original, un précurseur. Il avait des absences mêlées à un délire de persécution provoquée par l’abus d’absinthe. Précurseur direct des impressionnistes, JONGKIND est un peintre particulier, une figure d’artiste un peu fruste et même assez sauvage. Il élargit, pour le porter à une expression plus originale, ce qu’il y avait en naissance chez son maître Isabey qui le protégea et crut voir en lui son disciple.

JONGKIND se jette d’abord dans le style attendu de  la peinture hollandaise, celle de Van Der Neer et des patineurs d’Averkamp, avant d’inaugurer, en un pinceau d’une grande liberté, les notations rapides du dessin et de l’aquarelle. Il fait des séjours à Honfleur, avec de fréquentes visites à la ferme de Saint-Siméon, chez lz père Toutain où se réunissent Boudin, Courbet et Baudelaire. Devançant Utrillo, il peint des paysages de rues, avec des panneaux de publicité qu’il trace en gros caractères sur les murs et les devantures des magasins.

JONGKIND a l’art de ne peindre que l’essentiel, de porter son intérêt sur les principaux points de couleurs et de lumières, avec un don d’accentuation qui lui est propre, ainsi qu’on le peut voir dans une « Vue de Paris » avec Notre-Dame dans le lointain (1863).

Son dérangement cérébral s’aggrave au moment où arrive pour lui le succès. On le transporte à l’asile Saint-Rambert, près de Grenoble, où il meurt à l’âge de soixante-douze ans.

 

PAROLES LUMINEUSES



Résister, résister, résister, jour et nuit. Résister encore. Lasse est l’amertume, cette lassitude intérieure. Il faut oser se lever, reconnaître le chemin. L’espace visible et total. Nulle tour n’est trop grande à nos yeux. On ne se taira pas une nouvelle fois, nous déploierons nos paroles lumineuses par tous les champs dévastés. Ecoute cette chanson qui court à travers le monde. Ce sont toutes ces fenêtres qui s’ouvrent pour laisser le cri se répandre à l’horizon. Désolé, contre tous les murs qui nous font face, nous continuerons à rêver, même par temps de brouillard.

« Cercle vicieux », l’éditorial de Marion d’Allard dans l’Humanité.



Un salon à hauts risques. La formule est devenue le mantra des syndicats agricoles majoritaires, FNSEA et Jeunes Agriculteurs en tête. L’objectif est clair : maintenir la pression sur l’exécutif et faire de cette 60e édition du Salon de l’agriculture – et de son hypermédiatisation – le nouveau tremplin de leurs revendications.

Emmanuel Macron doit s’y rendre samedi. Il y est attendu de pied ferme par une profession en souffrance. Depuis plus d’un mois, les paysans ont multiplié les manifestations, blocages, actions coups de poing. Certes, les tracteurs ont désormais, majoritairement, déserté le macadam, mais « la colère est toujours là », assure le patron de la puissante FNSEA.

L’opération de désamorçage, enclenchée par Matignon pour sécuriser la venue du président sur le Salon, est manifestement un échec. Le premier ministre n’a pourtant pas lésiné sur le plan de communication. Quatre salves de mesures ont été annoncées depuis le début de la crise.

Dont la dernière, il y a deux jours à peine. Gabriel Attal s’affiche aux côtés des agriculteurs, il est surtout à côté de la plaque. Le monde agricole ne se contentera jamais de mesurettes sur l’accélération du versement des aides, de simplifications administratives, de quelques ristournes ou d’une énième commission parlementaire chargée de ripoliner la loi Egalim.

Les exploitants veulent vivre de leur travail, dignement. La question du revenu est centrale. Celle de la concurrence déloyale, que subissent les agriculteurs français et que chaque traité de libre-échange signé à Bruxelles aggrave un peu plus, l’est aussi. Elles ne sont pourtant jamais prises en compte par un exécutif qui a fait, sur ce dossier brûlant, de la FNSEA et des Jeunes Agriculteurs, ses interlocuteurs uniques.

Pire encore, Gabriel Attal enchaîne les reculs sur les normes environnementales pour contenter les syndicats majoritaires. En mettant en pause le plan Écophyto, en privilégiant en matière d’usage des pesticides les normes européennes moins-disantes, le gouvernement a choisi une stratégie mortifère. Le cercle vicieux de l’empoisonnement de la terre et de ceux qui la cultivent.

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« Bon sens », le billet de Maurice Ulrich.



Gérard Darmanin est un bon père de famille. Il pose à la une de Paris Match avec son petit dernier sur les genoux. Oubliées les plaintes portées contre lui, son épouse est sa boussole, ses cheveux qui volent, dit-il, « lui indiquent d’où vient le vent »… Poète avec ça, et simple. « Je suis un élu de province qui travaille avec le bon sens. »

Dans une longue interview, il parle bien sûr de l’immigration, de l’insécurité. Il dit aussi que « nous ne pouvons pas être un pays qui peut se vautrer dans l’oisiveté et prôner sans cesse la baisse du temps de travail ». La famille, le travail, la France…

On le voit en photo aussi en réunion avec le ministre de l’Agriculture pour « contenir la colère du mouvement paysan ». Et les revendications ? On nous dit qu’il porte une attention à tout le monde, en légende d’une photo où il embrasse un chien. Bon. Un homme qui n’aime pas les enfants et les animaux, disait le comique américain W. C. Fields, ne peut pas être totalement mauvais. Inversement, ça donnerait quoi ?

 

jeudi 22 février 2024

L’ENCRE DES ÉCRITS



Faudra-t-il retrouver le parfum des pavés, brandir un drapeau rouge et des slogans vengeurs pour que des grandes tours où ils sont enfermés les maîtres de là-haut se soucient de vos pleurs. Faut-il tout dévaster, faut-il tout démolir pour avoir le bonheur d’être un jour entendu. Le jeu des barricades est-il votre avenir, vous qui criez pourtant votre déconvenue. Devrez-vous faire front et leur montrer les dents à tous ces bien-nantis pour qu’ils ne soient plus sourds, qu’ils partagent un peu de leurs mets flamboyants avec ceux dont les miettes sont le repas du jour. Pourriez-vous sans excès obtenir gain de cause vous dont la seule force est l’encre des écrits, qui faites de vos mots comme un bouquet de roses que vous livrez inquiets aux couteaux du mépris.

 

« Ténèbres » l’éditorial de Rosa Moussoui dans l’Humanité.



À l’automne dernier, le ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius, exhortait son pays à prendre au sérieux la possibilité d’une guerre en Europe occidentale. « Nous devons nous préparer à la guerre. Préparer la Bundeswehr (l’armée allemande – NDLR) et la société », insistait-il. Au mois de janvier, c’est un haut gradé de l’Otan, le lieutenant général Alexander Sollfrank, qui sonnait à son tour le tocsin : l’Alliance atlantique, expliquait-il, dispose de trois ans pour se préparer à l’éventualité d’une offensive russe contre un État membre de l’Union européenne. « Nous devons être prêts à protéger l’ensemble du territoire européen », mettait-il en garde.

Une rhétorique martiale partout reprise, deux ans après le début de la guerre en Ukraine et au moment où tout le Moyen-Orient menace de s’embraser. En France aussi, l’esprit de guerre étend son ombre. Il colonise jusqu’à la langue de gouvernants, qui n’ont plus que le mot « réarmement » à la bouche. Dans son avis sur le projet de loi de finances 2024, la commission des Affaires étrangères et de la Défense du Sénat recommandait ainsi de hâter « le passage à l’économie de guerre » pour « supporter un choc de haute intensité ». Les odes exaltées à la construction européenne, garante de paix, se sont tues. Des scénarios s’échafaudent : aucun n’envisage d’issue politique et diplomatique aux conflits.

Ce climat nourrit un vorace appétit d’armes et d’équipements militaires : les importations d’armes majeures par les États européens ont crû de 47 % entre 2013 et 2017 et entre 2018 et 2022. Sur la même période, les exportations d’armes de la France ont connu une envolée : 44 % de croissance. Pris dans les rets d’une grave crise systémique, sur fond de chaos écologique et climatique, le régime capitaliste aiguise les antagonismes, prépare les consciences à la fatalité de la guerre. Sa puissance de destruction est apocalyptique. En 1905, Jean Jaurès lançait cet avertissement : « Dans l’Europe d’aujourd’hui, ce n’est pas par les voies de la guerre internationale (…) que les griefs de peuple à peuple seront redressés. » La guerre qu’il redoutait déjà a fini par précipiter le Vieux Continent dans les ténèbres. Pas plus aujourd’hui qu’hier, elle n’est une issue.

 

« Mammouths », le billet de Maurice Ulrich.



Jurassic Park, c’est déjà de la préhistoire. Les dinosaures de Spielberg sont à remiser avec les animaux empaillés mités et les créatures fantastiques créées dans les années 1950 par Ray Harryhausen pour des films comme Sindbad le Marinle Choc des Titans, etc. À partir d’une courte description, en deux phrases – un paysage de neige, un troupeau de mammouths –, il faut quelques instants au nouvel outil d’intelligence artificielle de l’entreprise OpenAI, qui a créé ChatGpt, pour fabriquer une vidéo tout à fait réaliste des pachydermes dans le type d’environnement souhaité. On sait que la lauréate récente du prix littéraire le plus prestigieux du Japon a déclaré qu’une part de son livre avait été écrite par une IA. En France, l’image de plusieurs personnalités a été reprise et détournée pour vanter des combines financières miraculeuses, et il devient de plus en plus difficile sur les réseaux de différencier images fabriquées et images réelles… La question du partage et du contrôle démocratiques de l’intelligence artificielle se pose déjà. Sinon, les mammouths gagnent à tous les coups.

 

mercredi 21 février 2024

ERRANCE PERDUE



Dans les yeux des enfants, loin d’ici, une petite lumière, à peine une étincelle, le regard sur nous, pupilles rondes, hagards, mais peut-être un peu d’espoir. Enfance triste, maltraitée, si innocente, nous ne devrions pas tolérer, voler, prendre ces existences pures, douces et fragiles. Nous devrions protéger, aimer, laisser ces vies grandir à l’ombre de l’amour. Dans les yeux des enfants, loin d’ici, le reflet des bras tendus, des armes meurtrières, la folie de l’homme, son errance perdue. Certains sont déjà devenus grands, de mutinerie en mutinerie, à la guerre comme à la guerre, c’est la souffrance qui les protège et les berce. Dans les yeux des enfants, loin d’ici, je vois toujours de l’insouciance. Je pleure sans cesse de notre indifférence, à vouloir que le reflet change !

 

« Justice »,, l’éditorial de Sébastien Crépel dans l’Humanité.



« Que cela passe vite onze ans », écrivait Aragon dans son poème publié dans l’Humanité en 1955 dédié au souvenir de Manouchian. Il a en revanche fallu attendre quatre-vingts ans pour qu’enfin les multiples dimensions de la Résistance qu’incarnent Missak et Mélinée Manouchian et leurs frères et sœurs d’armes aient droit aux honneurs du Panthéon.

Ce n’est que justice pour eux, mais aussi pour l’immense armée des FTP qui fait cortège à leur suite. Derrière Manouchian, c’est la contribution communiste à la Résistance qui est célébrée, laquelle confondait Français et étrangers dans un même élan à la fois internationaliste et patriotique.

La composante communiste de la Résistance, ouvrière et populaire, cosmopolite par essence, est de loin la plus importante numériquement. Elle est celle qui a pris tous les risques et a versé son sang sans compter pour libérer la France de la barbarie nazie. Il est crucial de le rappeler à l’heure où certains, avides de se montrer, ce mercredi 21 février, à l’hommage officiel, crachent sans vergogne sur les forces et les idéaux qui les animaient.

La part d’ombre de cette cérémonie serait passée inaperçue si l’Humanité n’avait pas crevé l’abcès de l’affront fait aux résistants par la présence annoncée du Rassemblement national. En interrogeant le président de la République sur cette tache, le quotidien de Jaurès a empêché qu’un voile de consensus mou vienne éclipser le sens même du combat de ceux qui ont donné leur vie pour la liberté.

Le débat sur la nature du RN est relancé, révélant les progrès sidérants de sa normalisation. Certains esprits « républicains » trouvent même l’heure propice pour faire le procès de la Résistance communiste et réhabiliter l’extrême droite dans un ahurissant renversement des rôles.

À croire que la France entière a été victime d’hallucination collective depuis 1945 en mettant à l’index les forces d’extrême droite pour leur filiation avérée avec le régime de Vichy. Il n’y a pas d’« en même temps » qui tienne avec les héritiers de Pétain. Emmanuel Macron est sorti de l’ambiguïté, poussé par les questions de l’Humanité. Les réactions depuis indiquent que le combat est loin d’être gagné.

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« Au rendez-vous », l’éditorial de Laurent Mouloud dan l’Humanité.

  « Va à la niche ! Va à la niche ! On est chez nous ! »  Diffusées dans  Envoyé spécial , les images de cette sympathisante RN de Montarg...