Prenez un panier, un
couteau pointu, enfilez des bottes et descendez dans le pré le plus proche. Si vous êtes citadin, munissez-vous d’un livre,
de deux tickets de bus, l’aller le retour, choisissez n’importe quelle ligne
qui s’éloigne au maximum de la ville et, au terminus, marcher vers le pré
précité. Si parisien, joker. Le choisir ni en bouton, ni – encore moins – en
fleur. D’un mouvement tournant de la pointe du couteau, couper sa racine à
raz-de-terre. En emplir son panier. Marcher dans la terre, dans l’herbe,
patauger dans le ruisseau s’il y en a un, mettre sa capuche si le ciel (comme
il est dans l’ordre de mars) fait son écossais. Acheter des œufs sur le chemin
du retour. Où ? N’importe ! Pourvu qu’ils aient un peu de duvet à la coquille,
comme un visage d’adolescent, ou des traces de crotte. Demander au
boucher de débiter deux ou trois bardes de lard salé en dés en discutant avec
lui du contenu du panier ou – si giboulées – de ces giboulées pendant que la
lame de son couteau tranche la couenne comme beurre. Dans une boulangerie
dépourvue de portes automatiques, et là seulement, demander une couronne ou un
bâtard. De quatre livres ! Descendre à la cave en rentrant. Choisir un
petit Bourgogne de deux ou trois ans, Pinot noir. Sinon un Côte Roannaise, un
Anjou ou bien un Côtes de Saint-Mont, ça existe oui ! Mettre les œufs à cuire
au dur en arrivant à la cuisine. Déboucher la bouteille, se verser un demi
ballon, goûter la chose. Vider le panier dans le bac de l’évier. Ôter les
feuilles pourries. Couper les pieds. Laver à deux eaux. Trois si on craint les
bêtes qui vont par les prés et se lâchent n’importe où. Une fois rincé et
essoré, le sécher dans un torchon. Pendant que les lardons grillent dans la
poêle (en fonte !), brasser une vinaigrette : deux tiers huile, un tiers
vinaigre de vin, gros sel, poivre, moutarde de Dijon. Retourner les lardons et,
à chaque fois, se saucer la ruelle d’une giclée de vin. Il s’est déjà adouci,
il a perdu de son acidité. Passer les œufs sous l’eau froide et les
laisser sous un filet d’eau coulant dans la casserole. Pendant ce temps, aller
au fond du ballon en regardant dehors : les gens, les nuages, un chat. Ne
penser à rien. Sortir une assiette, une large – c’est pour en manger plus -,
l’étaler dessus. Verser la vinaigrette. Les lardons. Écoquiller les œufs et les
émincer dessus. Couper une large tranche dans le bâtard. S’asseoir. Empoigner
couteau et fourchette. Manger. Faites cela au moins une fois. Avant la blistérisation
globale. La normalisation des prairies. Avant votre propre fin. Luttez avec des
missiles à courte portée : un panier, un couteau, une poêle à frire. Mangez du
pissenlit.
dimanche 25 février 2024
Nouvelle : « Le pissenlit, c’est la saison » !
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