Qui n’aime pas
les arbres ? Du plus loin que nous nous souvenons, ils sont présents dans notre
vie. Et d’abord à l’école ? Dans les cours de récréation, bordées de grands
ormes. Ce sont des arbres magnifiques, puissants, trapus, à l’écorce rugueuse
et aux feuilles dentées, rudes au toucher, qui laissaient sur la peau une odeur
que l’on retrouve encore, de temps en temps, quand notre main glisse le long
des ormeaux renaissants. On peut parler de renaissance, en effet, puisque les
ormes, contaminés par la graphiose, ont failli disparaître. Aujourd’hui,
heureusement, ils sont sauvés. Avec notre enfance, surgissent les marronniers
d’autres cours d’école, dont les feuilles servaient de modèle aux premiers
dessins de l’année. Feuilles aux fines nervures, d’un vert profond, dont le
pétiole, si on l’écrasait, laissait sur la peau un parfum persistant, un peu
amer. Les marrons, d’un lisse de galet, luisaient avec une légèreté
surprenante, et servaient parfois de projectiles, sans le moindre danger. Ils
ont gardé leur mélancolie, celle de l’automne débutant, de la fin des vacances,
des premières feuilles qui tombent. Comment ne pas aimer les tilleuls, pour
leurs feuilles d’un jaune pâle, leur parfum très doux quand elles sèchent, au
soleil, le murmure des abeilles dans les plus hautes branches, le goût des
tisanes du soir. Leur buée montait, envahissait la pièce, attendrissant les
regards et le temps. Autrefois, on gardait les feuilles précieuses dans un
grenier dont les étés exaspéraient l’odeur. Personne aujourd’hui ne récolte les
feuilles. Les grands chênes, eux, règnent sur tous les arbres. Opulents,
magnifiques, ils portent des couronnes immenses dont les glands émergent comme
des joyaux d’or. On ne peut faire le tour de leur tronc avec les bras. Ils
dominent les prés et les champs avec la conscience de leur force, et, du haut,
de leurs certitudes, ils nous jugent, pauvres hommes dont la petitesse est
touchante en comparaison de leur grandeur sereine. Les plus beaux sont les
solitaires. Ils ont écarté tout ce qui pourrait nuire à leur splendeur. Ils
sont orgueilleux, mais ils ont raison de l’être. Ils ont défié le temps et ils
ne croient pas à la mort. Ils croient à la pluie, au printemps, au soleil, aux
étoiles. Ils savent que c’est dans la patience, dans la lenteur et non dans
l’agitation qu’on vit le mieux. Il est rare que la foudre les frappe. Pas plus
que les hêtres qui sont leurs demi-frères, presque aussi puissants, aussi
majestueux qu’eux. Leurs fûts, très droits, s’élèvent sans branches, donnant
aux hêtraies un aspect de couleurs grisâtres qui soutiennent un feuillage épais
diffusant une ombre froide. C’est âcre, un peu amer. Leur bois, légèrement
rosé, porte des feuilles épaisses qui virent rapidement à l’automne au brun
cuivré. Ce sont des arbres pour la mélancolie. Ils ne sont forts qu’en
apparence, ne sont heureux que du souvenir de leur bonheur : celui de leur
splendeur d’été. Plus fragiles que ces deux princes des bois sont les frênes,
les charmes ou les saules. Les premiers, s’ils dépassent souvent les chênes ou
les hêtres, ne sont jamais aussi touffus, aussi robustes. Le frêne est fragile,
comme un adolescent trop vite grandi. Il n’est pas assuré sur ses jambes, et
son bois, s’il est d’aspect compact, ne résiste pas longtemps à la scie. S’il
s’épaissit son tronc se crevasse, laisse pénétrer les parasites qui le tueront.
Au contraire des charmes, dont les feuilles ovales, deux fois plus longues que
larges, sont d’une extrême douceur mais savent résister en chantant au vent le
plus violent. C’est un arbre pour la douceur de vivre, d’où les charmilles du
XIXe siècle, plantées par les romantiques. Les saules sont des arbres au bois
tendre, comme celui des peupliers. Ils cassent sous leur propre poids et, s’ils
vivent vieux, sont couturés de blessures comme des grognards d’Empire. Rien ne
peut nous émouvoir davantage, que les chandelles vertes des peupliers. Ils
évoquent la Toscane, la vie simple et douce, comme les trembles qui sont leurs
cousins. Leur nom vient du fait que leurs feuilles s’agitent même en l’absence
de vent. Ils disent la vie en plein cœur de l’hiver, par quelques feuilles
jaune citron accrochées à leurs plus hautes branches. Ils murmurent sans cesse
une chanson qui parle de caresses et de fragilité. Et quoi de plus beaux, plus
majestueux que les bouleaux de Sibérie, le blanc de leurs fûts plus blanc que
neige, leurs petites feuilles tremblantes même en été. Ils évoquent les vastes
espaces blancs, Boris Pasternak, Le Docteur Jivago, Tolstoï, la retraite de
Russie, le froid de l’hiver, tout ce qui dure, l’immensité de la vie. Et puis,
dans mon cœur, il y a l’arbre de l’éternité. Il abrite dans son ombre
délicieuse un banc sur lequel on s’assoit et on pense. C’est un arbre qui
respecte le silence et le nourrit de sa grandeur. Le ciel est toujours bleu
sous mon arbre de l’éternité. Je ne me suis jamais demandé si c’était un
tilleul ou un chêne. Quelle importance, puisqu’il est éternel !
dimanche 21 juillet 2024
LES ARBRES !
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