«Il y a des jours, des mois, des années
interminables où il ne se passe presque rien. Il y a des minutes et des
secondes qui contiennent tout un monde.» Dans Voyez comme on danse (Robert
Laffont, 2001), Jean d’Ormesson se montrait si alerte que ces quelques mots
sont restés gravés dans nos mémoires. Des mots appropriés aux circonstances,
comme si la pente arithmétique de la vie politique à la française glissait
irrémédiablement entre nos doigts, soumise aux «eaux glacées du calcul égoïste»
tel que le décrivaient Marx et Engels dans le Manifeste. Ainsi donc, nous y
voilà, au seuil d’une épreuve de vérité si importante que toutes les formules
savantes s’effacent derrière la gravité du moment. Au-delà de la perplexité que
suscite légitimement la décision de Mac Macron II de dissoudre l’Assemblée
nationale, le bloc-noteur n’oublie pas, d’abord et avant toute considération,
l’ampleur du pessimisme et de la défiance qui se sont emparés de l’opinion
depuis plusieurs années. En répondant à un coup de tonnerre (une défaite
cuisante aux européennes) par un autre (article 12 de la Constitution), le
prince-président veut montrer qu’il reste maître du jeu, bravache et un peu
fou, refusant de se laisser marginaliser. Sous le choc de ce coup de théâtre
institutionnel, dont le secret fut bien gardé au Palais, la plupart des
commentateurs ont parlé de «pari», de «coup de poker».
La table a été renversée et, par cette
renversante perspective, nous prenons conscience que le peuple lui-même en est
la mise, et que «se décidera à la va-vite, les 30 juin et 7 juillet, rien de
moins que l’avenir de notre démocratie, ainsi que le visage que nous voudrons
présenter à nos alliés et à nos partenaires européens, alors que notre
continent est de nouveau frappé par la guerre, alors que notre monde est en
état de catastrophe climatique», comme l’écrivait le Monde cette semaine dans
un éditorial salé et lucide.
Le pire devra être évité en trois
semaines, et non plus en trois ans : cette phrase donne le vertige. Vingt jours
pour empêcher l’extrême droite de parvenir au pouvoir en France, pour la
première fois par les urnes, alors qu’elle vient de triompher aux européennes.
La liste de Bardella-le-voilà, conforme à ce que les sondages prévoyaient, l’a
emporté dans 96 des 101 départements français, avec des scores parfois
affolants : au-dessus de 40 % dans 22 départements… Ce séisme aura-t-il une
réplique identique ? Doit-on considérer le raz de marée du RN comme inéluctable
? Comment savoir, en vérité, sauf à oublier les spécificités des législatives ?
On a bien compris que la dissolution était, pour Mac Macron II, l’ultime
tentative de susciter du mouvement malgré un risque maximisé, tout en
accélérant, façon guerre éclair cette fois, la recomposition politique entamée
il y a sept ans. À la décharge du pompier pyromane de l’Élysée, qui n’a cessé
de dérouler le tapis rouge à l’extrême droite, admettons néanmoins qu’aucun des
partis qui prétendent combattre le RN ne pouvait garantir qu’en continuant
ainsi pendant trois ans, le lit de Fifille-la-voilà n’était pas déjà fait.
Le référendum anti-Mac Macron a bien
fonctionné aux européennes. Ce défoulement, aux conséquences historiques, ne
signifie pas pour autant que les jeux sont faits. Car, le score invraisemblable
de l’extrême droite, après la sidération, a d’ores et déjà provoqué une sorte
d’électrochoc aussi salutaire qu’évident. Le Front populaire, qui tente de se
constituer à gauche, en est le meilleur exemple. Surmonter les divisions, se
reconnecter avec sa base sociale : dire que la gauche est au pied du mur relève
de l’euphémisme et il ne suffira pas de convoquer la grande Histoire pour,
comme en 1997, créer la surprise. Ces combats et ces valeurs peuvent évidemment
se transformer en première force politique dans la prochaine Assemblée nationale,
à condition qu’ils soient portés par une force pluraliste, sociale, culturelle,
authentiquement politique. Autant le dire : les partis n’y arriveront pas
seuls. Le temps est si court que les citoyens doivent s’en mêler tout de suite
pour qu’une dynamique de mobilisation voie le jour. Une mobilisation pour
l’union. «Dans toutes les larmes s’attarde un espoir», écrivait Simone de
Beauvoir. Tout un monde, en somme…
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