Dans la croisade occidentale pour plier nos pays à « l’économie de
guerre », le ministre des armées n’y va pas par quatre chemins. Il utilise
son droit de réquisitionner « personnels, stocks ou outil de
production » et d’imposer à des entreprises de prioriser la production militaire
sur les besoins civils. Un palier supplémentaire est donc franchi par le
pouvoir dans sa participation au surarmement mondial. Celui-ci alimente
actuellement la cinquantaine de guerres qui défigurent le monde, affame des
populations entières, sème la mort et le chaos. Évidemment l’injustifiable
agression guerrière du maître du Kremlin, contre le peuple Ukrainien, le
terrorisme islamiste, les multiples tensions qui électrisent la planète comme
héritage des interventions des États-Unis et de l’Otan ajoutent encore à
l’argumentation des militaristes et des bellicistes. Il ne s’agit pas ici de
les nier ou de les sous-estimer, mais d’en rechercher les causes afin de bâtir
un monde de co-développement humain et de paix. Soit, le contraire des
préoccupantes orientations en cours. Cependant, l’accélération de la course aux
armements n’a pas commencé par la guerre contre l’Ukraine.
Les dépenses d’armements ont augmenté de 2,6 % entre 2019 et le début
de cette guerre. Depuis, la capitalisation boursière des grandes entreprises de
l’armement monte en flèche*. Elle constitue avec les géants du numérique et les
oligopoles de la pharmacie l’un des vecteurs des mutations du capitalisme
international. La dangereuse militarisation en cours constitue pour un certain
nombre de pays, dont la France, un atout leur permettant de s’inscrire dans la
compétition intracapitaliste, alors que les industries civiles et l’agriculture
nourricière sont déchiquetées sous les effets ravageurs de la mondialisation
capitaliste. De ce point de vue, l’agression décidée par M. Poutine conforte la
position de tous les militaristes et ne rend service à aucun travailleur, à aucun
militant de la paix, à aucun combattant de l’émancipation. Au contraire, elle
les enferme dans des choix binaires où les actions pour la paix, la sécurité
humaine et environnementale sont asphyxiées sous des flots de propagande sans
nuance. Et les stridents cris d’autres peuples, d’enfants vivant dans le bruit
assourdissant des bombes, l’obscurité sanglante des crimes de guerre est niée,
effacés, banalisés. Ainsi, les livraisons d’armes occidentales à l’armée de
colonisation et de destruction israélienne ne sont l’objet d’aucun
questionnement, alors qu’elles tuent et mutilent enfants, femmes, civils et
personnels humanitaires à Gaza et détruisent littéralement ce bout de la terre
de Palestine.
On ne devrait pas non plus oublier les guerres au Congo, au Soudan, en Éthiopie
et les terribles suites des guerres en Libye, en Syrie, au Yémen et ailleurs
qui nourrissent la grande industrie de l’armement et charrient chaque jour leur
lot d’affamés, de blessés de morts et de désastres écologiques. Au lieu de
jouer sans relâche un rôle de médiation dans tous ces conflits et
guerres ; au lieu de multiplier les initiatives permettant d’ouvrir des
chemins pour des cessez-le-feu puis des traités de paix, le pouvoir français et
les institutions européennes intégrés aux orientations stratégiques de l’Otan
cherchent à créer les conditions d’une « unité populaire » pour
l’acceptation de la guerre et du surarmement.
Dans cette optique, non seulement les peuples ici comme en Russie et en Ukraine
sont appelés aux sacrifices, mais voici que le pouvoir veut capter l’épargne
des familles populaires françaises pour « l’économie de guerre ». Après
les nouvelles structures européennes de financement gratuit de l’industrie de
guerre comme « le fonds européen de la défense » et « la
facilité européenne pour la paix » les majorités de droite du Sénat et
macroniste de l’Assemblée nationale sont à l’initiative d’une proposition de
loi visant à affecter une partie des ressources collectées par le livret A et
le livret de développement durable et solidaire vers l’industrie de l’armement.
Ainsi serait brisé, le lien séculaire de confiance entre les familles
populaires résultant à la fois de la sécurisation de cette épargne et de la
certitude que celle-ci serve en transparence des investissements d’intérêt général.
Or, si vous vous réjouissiez d’avoir ouvert un livret d’épargne en sachant
qu’il était utile pour le bien commun notamment pour le financement du
logement, la transition écologique ou l’économie sociale et solidaire voici que
vos économies seront détournées pour servir les marchands d’armes. Ceux-ci y
voient une formidable manne de 570 milliards d’euros. On ne peut laisser
faire ce détournement de fonds des fruits du travail de huit Français sur dix
vers « l’économie de guerre » pendant que le nombre de mal-logés et
de sans-abris augmente, qu’il faudrait consacrer de colossales sommes d’argent
pour réaliser la rénovation énergétique des bâtiments. La militarisation est
toujours antinomique avec le progrès social et écologique. Dans l’actuel
contexte de mise en place d’un corset austéritaire et du cheminement du concept
« d’économie de guerre », la grande bourgeoisie vise deux objectifs.
D’une part, elle considère le soutien au complexe militaro-industriel comme un
moyen de réduire les effets des crises économiques en développement. D’autre
part, en faisant financer l’effort de guerre par l’épargne populaire, elle
recherche un consensus national voire une unité nationale autour des objectifs
du grand capital et de la militarisation, à rebours des besoins sociaux, de
l’école, de la santé, de l’alimentation, du développement humain et du combat
contre les modifications climatiques. L’auteur de la loi** sur le livret A au
sénat l’a expliqué clairement : « Mobiliser l’épargne des Français permettrait
d’impliquer les citoyens dans la mise en œuvre de l’économie de guerre et donc
de renforcer les forces morales de la nation » *** a-t-il écrit dans un
rapport. Ce militarisme, doublé d’un « patriotisme d’affaires »,
ouvre des voies béantes vers l’inconnu tout en sacrifiant la vie de femmes,
d’enfants, d’hommes et en faisant reculer partout la possibilité du bien-être
et des nécessités qu’appelle la transition environnementale. Seule l’unité des
travailleurs dans une double action pour la paix et le progrès social et
écologique peut aujourd’hui ramener les impérialismes à la raison. Cette unité
pour la paix et la justice doit être recherchée sur le continent européen.
Travailleurs et citoyens russes, ukrainiens, allemands, français, polonais ont
tout à perdre à ce bellicisme qui fait monter la cotation boursière de quelques
multinationales de l’armement à travers le monde à mesure que grandissent
l’insécurité et les privations pour le plus grand nombre. Par-delà les
frontières, la paix est la condition absolue de l’œuvre de justice sociale et
du progrès environnemental.
Lire l’excellent article de Lina Sankari
dans L’Humanité du 29 mars.
** M. Plassard sénateur LR rapporteur de la commission des finances ;
de l’économie générale et du contrôle budgétaire
*** un autre Sénateur LR M ; Cédric Perrin justifie le projet de loi en
ces termes : « C’est aussi un signal très fort que la défense, ce
n’est pas quelque chose de sale, comme certains voudraient essayer de le faire
croire. »
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