A la fenêtre du bus, une jeune fille assise.
Elle a la tête contre la vitre, les yeux perdus dans le défilement de la ville.
Les lumières s’étirent en longues traînées brillantes le long des gouttes de
pluie. Elle a les cheveux lâchés, du maquillage noir sur les paupières, cela
lui donne l’air méchant. L’air farouche. Elle pleure doucement. Pas de
sanglots, juste des larmes qui coulent le long de ses joues et emportent à la
fois le maquillage. Elle a l’air d’une poupée cassée, un jouet qu’on a jeté
dans un coin quand on s’en est lassé. Elle porte un blouson de cuir et un pull
à capuche, un vieux jeans et des baskets en toile. Ses mains jointes sur ses
genoux, gantées de mitaines rayées noir et blanc, parfois se serrent une
seconde. Puis se relâchent. Une vieille femme lui demande si ça va bien. Elle
est assise de l’autre côté du bus. Elle hoche la tête, ne dit rien. Puis repose
son front contre la vitre. Elle a cessé de pleurer. Appuyée sur le dossier de
son siège, les épaules basses, elle ferme les yeux. On dirait qu’elle a épuisé
toute l’énergie qui lui restait dans ces grosses larmes qui s’épongent en deux
taches rouges sur ses pommettes. Le contraste entre la pâleur de son visage et
ces reflets écarlates la fait ressembler à un reflet de personne vivant, à un
fantôme égaré. Sa poitrine se soulève doucement au rythme de sa respiration. Elle
a sûrement une histoire. Une de ces histoires qui brisent les gens et laissent
de longs silences gênants quand on a fini de les raconter. Une histoire froide
et brillante comme les larmes qu’elle a versées. Une histoire triste et lourde
comme la pluie qui tombe sur le toit du bus. Une histoire qu’on n’écrit pas,
qu’on ne chante pas. Une histoire qu’on laisse s’enfuir sous les roues du bus.
Une histoire qu’elle a voulu faire disparaitre à travers les longues trainées
brillantes de la ville. Mais tous les trajets de bus finissent par avoir une
fin, et elle se lève pour descendre. Elle trébuche un peu au moment de
descendre les marches. Dehors, la pluie qui tombe sur ses cheveux coule le long
de ses joues en fins sillons luisants. Son jeans se marbre de taches foncées et
elle reste là, les yeux grands ouverts sous l’averse. Je ne sais pas combien de
temps elle essaiera de se laver ainsi de ses souvenirs. Je ne sais pas si elle
pleure encore, là, debout au milieu du trottoir. Je ne sais pas si elle finira
par pousser la porte blanche de la maison devant laquelle elle se tient. Je ne
sais pas si le choix qu’elle fera ce soir-là sera le bon. Mais parfois, quand
la pluie tombe le soir, je pense à elle. Je regarde les lumières de la ville,
j’appuie ma tête contre la vitre du bus et je ferme les yeux.
J’aime à croire qu’elle est heureuse.
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