La poésie de Louis
Aragon est devenue poésie-chanson populaire au début des années cinquante à
l’initiative de Léo Ferré, de Jean Ferrat. Tel poème, conçu dans le silence de
l’écriture, par exemple « strophes pour se souvenir », paraissait
alors sous le titre : « L’affiche rouge » ; tel autre, dont
une strophe débutait par les mots « Un jour viendra, couleur
d’orange », devenait chanson-poème sous le titre « Un jour, un
jour », et même chanson pure et simple, qui s’interprétait au music-hall,
chansons auxquelles donnaient chair et vie les voix de Catherine Sauvage, de
Francesca Solleville, de Cora Vaucaire, ainsi que celles de Jean Ferrat et de
Léo Ferré eux-mêmes, puis d’autres comme en particulier Georges Brassens (Il
n’y a pas d’amour heureux). Et ces chansons pures et simples entraient bientôt
dans nos mémoires comme le font les autres chansons.
Louis Aragon a été tout
de suite enchanté d’être chanté, recevant cela comme un grand cadeau :
entendre ses mots retentir dans les salles de spectacle, dans la rue, dans les
maisons, et partout même où on fredonne, chantonne, sifflote. En 36, déjà, il
faisait avec Francis Lemarque, la tournée des usines occupées, comme pour
s’affirmer déjà, oui, solidaire des hommes, bien sûr, mais aussi, au passage,
des chansons.
Le poète Jacques Prévert
lui aussi a suivi ces chemins-là, dès avant la guerre et lui aussi fut très
heureux de la métamorphose en chansons de nombre de ses poèmes. Jacques Prévert
deviendra d’ailleurs assez vite, véritablement, auteur de chansons, et même
parolier, écrivant par exemple, en 1946, tout simplement le texte des
« Feuilles mortes », sur un thème musical que Joseph Kosma destinait
au film « les Portes de la nuit ». Mais le mariage des poèmes et des
musiques ne date pas d’hier, ni même de 36, ni même de notre siècle. Que croyez-vous
que faisaient d’autre les trouvères et les troubadours ? Ils chantaient et
faisaient chanter par les « jongleurs » les poèmes qu’ils avaient
écrits et composés. Les poèmes de Rutebeuf, ceux de Charles d’Orléans, de François
Villon, de Clément Marot, étaient conçus pour une mise en musique facile, et
nombre de leurs œuvres ont été mises en chanson, et ce, de leur vivant.
Puis avec l’invention de
l’imprimerie musicale au XVIème siècle, survint ce phénomène
incontournable et qu’on nous raconte rarement : tous les poèmes que
faisaient Ronsard, comportaient une musique « au départ même de leur
écriture ». La preuve nous en est donnée par le fait que son tout premier
recueil imprimé, le célèbre « Premier Livre des Amours », en 1522,
est accompagné, lors de sa première édition d’un supplément musical, où l’on
découvre des indications d’airs déjà existants sur lesquels tel ou tel de ses
poèmes peut se chanter. Les poèmes de Ronsard, on les danse à la cour, dans les
bals, on les chante dans les spectacles. Au XVIIIème, nous aurons
des chansons de Jean-Jacques Rousseau, des chansons de Voltaire, ou celles du
fabuliste Florian, dont la plus connue est « Plaisir d’amour ».
Et au XIXème siècle,
tous les grands écrivains se donnent le bonheur ou le défi de chanter, de
collecter, ou d’écrire eux-mêmes des chansons : Victor Hugo, Alfred de
Musset, George Sand, Gérard de Nerval…Puis dans les suites de la Commune et de
la défaite de 1870, Paris devient la capitale mondiale des chansons. Et sur la
Butte Montmartre, le cabaret roi, le chat noir, accueille de grands poètes qui
se mettent à écrire eux aussi des chansons à commencer par Paul Verlaine, Jean
Richepin et Jules Laforgue. Et nous en arrivons au XXème siècle, et
là rayonnent des chansons de Francis Carco, de Pierre Mac Orlan. Si Guillaume
Apollinaire n’a pas écrit directement pour la chanson, il s’y est pourtant
intéressé. Plusieurs de ses poèmes font partie des plus belles chansons du XXème
siècle. Rappelons-nous « le pont Mirabeau » et « les
saltimbanques ».
Et puis enfin Prévert,
et enfin, Aragon. Des poèmes d’Aragon ont été mis en musique jusqu’à six fois
par des musiciens différents. On le voit, les chansons de poètes et d’écrivains
sont comme un paysage immense du pays des chansons. La beauté nous est
nécessaire. La poésie nous dit qui nous sommes, la chanson nous rassemble et
nous donne parfois les mots et l’élan pour aller vers un futur meilleur.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire