Cette semaine, le paysage médiacratique a donc basculé dans l’inconnu – à moins que cette descente aux enfers, hélas trop prévisible, ne soit le signe d’une énième déflagration politique aux menaces mortifères. Peut-être ne l’avez-vous pas su, mais CNews, la chaîne d’information en continu qui, depuis mars, fait jeu égal avec sa concurrente BFMTV, vient de la dépasser, décrochant une première place «historique». Selon Médiamétrie, le canal bien rodé du mégaphone de l’extrême droite appartenant au sinistre Vincent Bolloré a réalisé 2,8% de part d’audience pour le mois de mai, contre 2,7% pour BFM. Pour mémoire, CNews réalisait 0,6% à sa création, il y a sept ans. «C’est une déflagration !» a péroré en coulisses la figure de proue des antennes en question, le tristement célèbre et histrion Pascal Praud, ajoutant, selon Libération : «Je ne sais pas si vous vous rendez compte de la puissance de la chaîne !» L’animateur de l’Heure des pros peut bomber le torse, lui qui sait à quel point son réactionnaire de patron peut lui attribuer une part du mérite.
Pour le bloc-noteur, il est loin le
temps où nous écumions nos fonds de culottes comme «journalistes de sport» à la
fin des années 1980, quand nous croisions, de stades en stades, les Eugène
Saccomano et Jacques Vendroux (aussi vulgaires l’un que l’autre), les Claude
Askolovitch (alors à Sport, puis Europe 1, puis l’Événement du jeudi), les
Pierre-Louis Basse (Europe 1, avant d’être viré en 2004)… et un certain Pascal
Praud (TF1), déjà en mal de reconnaissance du petit milieu médiatique et
politique, mélange d’arrivisme et d’opportunisme, comme en témoignera plus tard
son passage au FC Nantes comme «chargé de communication et du marketing». En
2024, la boucle est bouclée et la starification assumée. Praud peut même
déclarer : «L’extrême droite, ça n’existe pas, enfin ! Ce qu’on fait, c’est
simplement une télé incarnée.» Et il précise, en se nommant parmi d’autres, la
main sur le cœur : «Pascal Praud serait d’extrême droite ? Et Laurence Ferrari
serait d’extrême droite aussi ? Sonia Mabrouk serait d’extrême droite ? Mais
ces gens sont fous !» Une acrobatie langagière dont il a le secret, y compris
face caméras. Et il n’est pas le seul à pratiquer ce sophisme éhonté. Avant
qu’il ne soit candidat et «homme politique», Éric Zemmour, qui avait table
ouverte sur CNews en tant qu’ami de Bolloré, utilisait cette minable
dialectique. Depuis, il a été remplacé par le polémiste québécois Mathieu
Bock-Côté, la fine lame planquée des ultra-réactionnaires et de l’extrême
droite, anti-«woke» notoire et proche des thèses de Zemmour, lui aussi devenu
un rouage idéologique de l’empire médiatique version Bolloré.
Par ce pessimisme ambiant, au fond, nous
pourrions écrire et crier fort que «tout est en place» et que «tout est
cohérent» avec le contexte politique de notre pays en lui-même. La campagne
électorale qui s’achève ne montre-t-elle pas, à en croire toutes les études
d’opinion, une adhésion record aux idées de l’extrême droite en France et, dans
un identique mouvement de balancier, une approbation quasi mécanique de la
chaîne de propagande en continu, les deux s’alimentant ? CNews participe
sciemment, et depuis longtemps, à la dérive en cours, transformant tous ses
animateurs en porte-voix des idées les plus infâmes et racistes, sans filtre,
participant en long en large et en travers à un projet politico-médiatique de
légitimation de la bête immonde, par la peur, la colère, la haine, au profil
d’une normalisation sans scrupule. «CNews délivre la vérité !» déclarait
Vincent Bolloré, le 13 mars, lors de son audition par la commission d’enquête
parlementaire consacrée à la pluralité dans les médias. On connaît la vieille
recette, celle de Fox News aux États-Unis, qui avait clairement contribué à
propulser Donald Trump au pouvoir en 2016. Sans parler, pour le paysage
médiatique français, du risque de dérive «à la hongroise», là où le travail
d’information est devenu secondaire… comme dans les médias contrôlés par
Vincent Bolloré.
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