Audace : « Une mère qui pleure ses enfants, c’est le monde qui
confirme avoir un sens », écrit Jean-Christophe Notin dans son
magnifique dernier livre, Petit Louis (éd. Grasset). Nous
sommes en 1942, à Paris, occupé par des Allemands en manque de sang juif. Dans
la nuit noire du nazisme et du fascisme, la rafle du Vél’d’Hiv, entièrement
organisée par les collaborateurs du régime de Vichy et la police française, est
en cours.
Le héros de ce récit d’Histoire n’a rien d’un personnage fictif, il a bien
existé – le bloc-noteur le rencontra même à plusieurs reprises, au croisement
des années 1990-2000. Il s’appelait Lazare Pytkowicz. Le 16 juillet 1942,
il n’a alors que 14 ans. Et lorsqu’il est arrêté avec ses parents et une
sœur, le gamin ne sait pas encore qu’il deviendra, quelques années plus
tard, « le plus jeune Compagnon de la Libération ». Né à
Paris, dans une famille juive polonaise exilée en France, fils de Perla et de
Jankiel, le petit Lazare doit sa vie à l’insouciance de son audace, dont il ne
se glorifiera jamais.
Évasion : « On sanglote, on
s’évanouit, on prie, on crie, on supplie. Tous avec une étoile. La
constellation de la honte dans la nuit de la France. » À
l’intérieur du Vél’d’Hiv, écrit Jean-Christophe Notin, « le pire
est cette affreuse chorale permanente de pleurs d’enfants, de cris d’adultes,
de désespérance, de colère, d’indignation et de silences de ceux qui ne savent
plus quoi dire face à leur sort. Personne pour les renseigner sur ce qui les
attend ».
La mort, pour tous ou presque, à Auschwitz ou ailleurs. Dans les gradins où
peu de temps avant tournaient les vélos, le petit Lazare dit à sa
mère : « Maman, je voudrais m’évader. » Son
père : « Il faut qu’il tente sa chance. » Profitant
d’une scène de confusion, Lazare se glisse entre des policiers et fuit dans Paris.
C’est sa première évasion.
Sa sœur Fanny était avec ses parents, elle les accompagnera dans ce long
voyage. Sans retour. Rien ne put dès lors empêcher le gamin en culotte courte
de souffrir du syndrome du « pourquoi moi et pas elle ? ».
Et « pourquoi une fenêtre s’est-elle ouverte devant lui pour se
refermer aussitôt derrière ? » questionne Jean-Christophe
Notin.
Décoration : L’aventure tragique et héroïque
se met en marche. Échappant de justesse à la déportation, Lazare voit sa vie
basculer dans la clandestinité, en dépit de son jeune âge, d’abord dans la
capitale, puis à Lyon où il devint un actif agent de liaison au sein des
Mouvements unis de la Résistance (MUR).
Celui qui était devenu Louis Picot peu avant la guerre – parce que
Pytkowicz, c’était trop compliqué pour certains instituteurs parisiens –, ou
tout simplement « Petit Louis », son pseudo dans la Résistance,
allait faire preuve d’une résolution exceptionnelle. Lui, qui fut associé à la
préparation d’un projet d’évasion de Jean Moulin, sera arrêté par les policiers
allemands le 24 octobre 1943 (il croisera Klaus Barbie sous la torture et
témoignera à son procès), échappant de justesse à ces tristes sires en filant
dans les rues de Lyon. Avant d’être de nouveau capturé – par la Milice française,
cette fois – le 27 janvier 1944, réussissant encore une fois à s’évader en
gare de Lyon, le 14 juillet 1944, échappant ainsi au sort déjà réservé à
tous les membres de sa famille…
Après-guerre, alors que « la société toute la société n’a pas
envie de les entendre », il n’a que 17 ans quand il reçoit
sa décoration, une plaque en bronze à croix de Lorraine des mains d’un
militaire : « Lazare Pytkowicz, nous vous reconnaissons
comme notre compagnon pour la libération de la France dans l’honneur et par la
victoire. » Accolade. Félicitations. « Pas de
petits-fours », racontera Lazare, qui retourne dans sa classe en
prenant soin de fourrer dans sa poche la distinction, avant que ses camarades
ne le mitraillent de questions indiscrètes. Il ajoutera : « Je
dois vous dire que, quand on est un enfant, ça ne fait pas grand-chose. »
Au Lutetia, durant des mois, il n’eut jamais de nouvelles de ses parents et
de sa sœur. Et, dans le 18e arrondissement de Paris, il restera
un communiste engagé, jusqu’à sa disparition, en forme de dernière évasion, le
12 octobre 2004. Le bloc-noteur pense très fort à l’ami Pierre Pytkowicz,
le fils de Lazare, ancien photographe de l’Humanité, mort en
2019, à l’âge de 67 ans.
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