La question palestinienne saute au
visage du monde de la pire des manières. L’inexcusable, l’intolérable attaque
de populations civiles, de villages israéliens par le Hamas, dont Israël a tout
fait pour qu’il contrôle – contre l’Organisation de libération de la
Palestine, OLP – le territoire de Gaza, bouleverse le monde entier. Elle
est condamnée par la quasi-totalité des chancelleries. On ne peut en effet
accepter que des populations civiles, des jeunes, soient ainsi blessées,
violentées, tuées, prises en otage ou leurs corps profanés. Cela ravive en nous
les pires souvenirs des années noires dont l’Europe fut le théâtre au siècle
précédent et c’est pourquoi, on ne peut pas plus accepter que des innocents à
Gaza subissent en punition collective un ouragan de fer et de feu, comme le
leur promet maintenant B. Netanyahu. Celui-là même qui, chaque jour, des
semaines durant, a fermé les yeux devant les appels de « mort aux
Arabes » et les ratonnades qui couraient les rues d’Israël en 2022.
Lorsqu’on est un-e sincère militant-e de
la paix et des droits humains, on ne confond jamais les peuples avec les forces
politiques qui prétendent, à tort ou à raison, les représenter.
Si l’opération terroriste inédite du
Hamas a pu être ainsi menée à bien sans que la sécurité israélienne soit en
mesure de la prévenir et de protéger les populations, c’est parce que l’armée,
comme les services de sécurité, est depuis des mois à la tâche pour appuyer et
sécuriser l’installation de milliers de colons en Cisjordanie. C’est que l’armée
israélienne était entièrement mobilisée pour amplifier l’annexion de la
Cisjordanie et Jérusalem-Est. N’en déplaise aux contempteurs qui peuplent les
plateaux de télévision et les ministères, cet important fait est partie
intégrante du contexte. Tenter de comprendre, n’est pas justifier l’horreur.
Oui, c’est le peuple palestinien qui est victime de l’annexion, de la
colonisation, des violences, des bombardements réguliers de Gaza, des
humiliations aux check-points, des perquisitions de nuit, de l’interdiction
d’utiliser certaines routes réservées aux colons israéliens, des millions de
Palestiniens enfermés depuis tant d’années dans des… camps de réfugiés. Depuis
75 ans, ils sont victimes du non-respect du droit international. C’est ce déni
de l’existence et des droits du peuple palestinien qui place les populations
israéliennes dans l’insécurité. Les humiliations quotidiennes subies par les
Palestiniens et la violence de la domination font prospérer le Hamas sur les
ruines de l’Autorité palestinienne provoquées par le monde occidental qui n’a
rien fait pour faire appliquer les accords d’Oslo.
Les ministres israéliens d’extrême
droite de la Défense et de la Sécurité nationale ne cachaient pas, il y a
quelques semaines, vouloir la chute de l’Autorité palestinienne. Ce souhait
signifie que la domination du Hamas sur toute la Palestine, au-delà de Gaza,
serait pour eux d’un grand renfort dans la perspective d’éliminer
définitivement le projet de deux États vivant côte à côte et en sécurité.
Un gouvernement du Hamas est le
contraire de la démocratie, de la transparence et de l’émancipation des femmes.
En face, le sinistre ministre B. Smotrich – qui se définit lui-même
comme « un fasciste homophobe* » – a été très
clair en déclarant à la radio que « l’Autorité palestinienne est un
fardeau, et le Hamas notre chance ». Les crimes de guerre du Hamas de ces
derniers jours, auxquels répondent ceux de l’armée israélienne, constituent
maintenant les arguments justifiant de rayer le peuple palestinien de la carte,
en affublant par extension tout le peuple palestinien du qualificatif de
terroriste. En réalité, la population de Gaza est l’otage à la fois des
pouvoirs successifs de Tel-Aviv et du Hamas. Otage de deux nuances
d’intégrisme.
L’organisation islamiste qui était
devenue impopulaire dans la bande de Gaza, risque de retrouver des couleurs
dans toute la Palestine et au-delà, parmi toutes les populations arabes. Le
pouvoir israélien d’extrême droite qui, cyniquement, voit là une opportunité
d’en finir avec la question palestinienne, a décidé d’amplifier encore ses
représailles contre les Palestiniens et construit une coalition internationale
pour le soutenir alors qu’il est discrédité aux yeux même du peuple israélien.
Aux rondes des violences du pouvoir israélien succèdent d’autres violences qui
versent le sang d’enfants, de citoyens israéliens et palestiniens. À défaut
donc de les laisser vivre ensemble, en paix côte à côte, l’extrême droite
colonialiste israélienne et les islamistes palestiniens leur
« offrent » une mort commune. C’est insupportable. C’est odieux.
C’est révoltant. Il n’aurait pas fallu laisser faire. Pour l’empêcher une
puissante mobilisation pour la justice et la paix, pour faire respecter le
droit international qui prévoit pour deux peuples, deux États vivant
– côte à côte est indispensable.
Aux responsables politiques français,
européens, nord-américains dont l’agitation est, actuellement, inversement
proportionnelle à leur silence face à l’épuration ethnique au Haut-Karabakh ou
aux bombardements de la Turquie sur des équipements civils des kurdes du
Rojava, on voudrait poser cette simple question : « Qu’avez-vous fait
pour éviter cela ? »
Rien. Le pouvoir israélien bafoue toutes
les règles internationales depuis des décennies, se moque littéralement des 400
résolutions votées à l’ONU contre la colonisation, le mur de séparation ou le
blocus de Gaza, et les pays occidentaux ont laissé et laissent faire.
On peut d’ailleurs malheureusement
penser que les attaques du Hamas vont servir à l’application d’un régime encore
plus dur envers les populations colonisées. Avant ces insupportables attaques,
le journal The Times of Israël avait
révélé que le pouvoir israélien préparait une féroce répression en Cisjordanie
contre les Palestiniens.
Le monde occidental doit aujourd’hui,
devant les peuples, répondre sérieusement de son haut degré d’hypocrisie
consistant à terminer chacun de ses communiqués, résolutions et discours, par
une formule selon laquelle il souhaite « une solution à deux États »
sans jamais ne rien faire pour l’obtenir. Il est donc complice de crimes qui se
commettent chaque jour, d’emprisonnements de militants, de vols de terres, de
maisons, de sources d’eau. Leur attachement à l’auto-détermination, à la souveraineté
des peuples est à géométrie variable selon qu’il s’agisse de la Libye, de
l’Irak ou de l’Ukraine ! Ce « deux poids, deux mesures » ne peut
plus être accepté par la rue arabe et bien au-delà.
Le déferlement médiatique depuis samedi
dernier tend à faire croire que Gaza serait une sorte « république
autonome » sans passé, sans visages, sans paysages, sans enfants. Or, il
s’agit d’un morceau de la Palestine, coupé de la Cisjordanie, subissant une
occupation militaire depuis un demi-siècle. Ce territoire devenu enclave de
362 km2, long de 41 km, large de 6 km à
12 km selon les endroits, abrite 2,2 millions d’habitants, les plus
pauvres au monde. Les Gazaouis ne demandent qu’à vivre normalement, mais ils ne
peuvent sortir qu’au compte goute, et leur approvisionnement en nourriture, en
eau, en électricité et médicament dépend du bon vouloir des autorités
israéliennes. Les trois quarts des citoyens de Gaza sont des réfugiés ou des
descendants de réfugiés, c’est-à-dire des Palestiniens, chassés de leur maison
et de leurs terres par l’expansion de la colonisation israélienne en 1948.
Après 75 ans d’occupation,
75 ans de déni de leurs droits fondamentaux à vivre dans leur patrie,
qu’ont à perdre les Palestiniens sinon leurs chaînes et l’insupportable
domination d’un occupant arrogant qui bénéficient de la complicité des
puissances occidentales ? C’est ce désespoir et cette colère que le Hamas
capte en l’absence de toute alternative démocratique, et de toute perspective
de règlement politique et de justice. Les armes qui servent à bombarder les
populations de Gaza sont financées par les dirigeants nord-américains qui,
après avoir signé leur chèque, ânonnent les mêmes phrases creuses sur les
droits des Palestiniens après avoir fermement rappelé « le droit des Israéliens
à se défendre » comme si celui-ci devait être supérieur au droit de vivre
des Palestiniens. Instaurer une telle disparité n’est en aucun cas vouloir la
paix.
Nous en sommes aujourd’hui au point où
le peuple palestinien se pose légitimement la question de savoir quel espace il
lui restera pour bâtir un État viable à force de voir ses terres colonisées,
ses villes et villages annexés sous les yeux des autorités internationales. Il
se demande où est la justice internationale quand la Cour de justice de La Haye,
multiplie colloques, conférences, réunions et rapports depuis dix ans pour
savoir s’il s’agit bien d’une « colonisation ». De qui se
moque-t-on ? Si les instances censées représenter le droit et la justice
ne le font pas, c’est la rue, ce sont les citoyens qui prendront la main et, en
l’absence de perspective politique, ce sera souvent de la pire des façons.
La belle mobilisation populaire
israélienne de ces derniers mois contre la tentative de soumettre la Cour
suprême à la volonté du pouvoir politique est restée aveugle à la question de
l’illégale occupation de la Palestine. Elle est pourtant l’occasion de fédérer
les peuples israéliens et palestiniens sur le respect du droit international,
pour un projet commun de paix et de sécurité, d’harmonie et de coopération.
Il apparaît nettement aujourd’hui que,
décidément, la question palestinienne ne peut être enterrée. Elle ressurgit de
la pire des manières sur le devant de la scène internationale, et ce n’est pas
faute d’avoir alerté ici à maintes reprises sur les conséquences de la
colonisation et de l’occupation. La question palestinienne ne peut laisser
indifférent. Il s’agit ici d’un enjeu central pour l’avenir de toute la
Méditerranée. Ce serait une raison supplémentaire pour que la France s’y
implique afin de faire respecter le droit international. Notre pays devrait
prendre une initiative politique de médiation et de paix dans la perspective de
deux États. C’est le moment où l’Organisation des Nations unies doit se
mobiliser pour permettre la désescalade, pour trouver le chemin de la reprise
de discussions, de la protection des populations, de la levée du blocus de Gaza
et de la reconnaissance officielle de l’État de Palestine dans les frontières
décidées par le droit international.
Pour la paix et la sécurité, l’intérêt
des citoyens israéliens et palestiniens comme de ceux de toute la région est
d’y parvenir. Au lieu de cela, alors que la guerre gronde chaque jour au cœur
de l’Europe, les dirigeants nord-américains déplacent un navire de guerre dans
la région, augmentent leur fourniture d’armes à l’État israélien, L’Union
européenne suspend le versement des aides à l’Autorité palestinienne, alors que
Gaza va être placé en état de siège par le pouvoir de Tel-Aviv. L’Occident
capitaliste a-t-il décidé d’étouffer les familles palestiniennes et de
renforcer l’islamisme politique dans toute la région ?
La situation devient très dangereuse
dans une région qui est déjà une poudrière, qui, à tout moment, peut
s’enflammer. Il est donc urgent d’attiser la paix, pas la
guerre généralisée.
Patrick Le Hyaric
Le 10 octobre 2023
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