La mort dans l’âme, une majorité de nos consœurs et de
nos confrères ont décidé de quitter la rédaction du « Journal du
dimanche » (« JDD »), au terme
d’une grève de six
semaines. Ils abandonnent une « maison », poussés dehors par un patron obsédé par l’ivresse du
fric et de l’info trash qui peut rapporter gros. Le fait qu’Arnaud
Lagardère, sous la coupe du groupe Vivendi détenu par le milliardaire Vincent
Bolloré, refuse une charte interdisant les propos racistes dans les colonnes du
« JDD » est sidérant. Cette posture en dit long sur la brutale détérioration de
l’espace médiatique, de l’indépendance de la presse et, in fine, de la
conception de la déontologie du métier qu’ont les actionnaires.
Les craintes soulevées par l’arrivée de l’extrémiste
Geoffroy Lejeune à la tête du « JDD », condamné pour haine raciale alors qu’il dirigeait « Valeurs actuelles », se vérifient déjà. Le groupie
d’Éric Zemmour a ramené dans ses cartons des représentants de
la réaction putride, dont Cyril de Bektech, ancien
collaborateur de « Minute » et de « National hebdo ». Dans ces conditions, la reparution de l’hebdomadaire
ne réjouit que ses dirigeants. Les problèmes de fond pointés par les grévistes,
eux, restent sans réponse. D’ailleurs, la pusillanimité du gouvernement durant
le conflit du « JDD » est éloquente.
Pourtant, les problèmes avancés ne concernent pas que la profession ;
elles minent l’existence de la presse et, de facto, la vie démocratique de
notre pays. Les ordonnances de 1944 du Conseil national de la Résistance ont
garanti, au lendemain de la Libération, la liberté d’expression et
l’indépendance des titres vis-à-vis des puissances de l’argent et de
l’influence de l’État. « La presse n’est pas un objet commercial mais un instrument de culture », affirmait à l’époque la Fédération
nationale de la presse française dans sa
déclaration des droits et des devoirs. Ce cadre est en train d’exploser
sous la pression de la concentration médiatique.
En France, onze milliardaires détiennent 80 % de la
presse quotidienne généraliste, près de 60 % de la part d’audience des
télévisions et la moitié des audiences de la
radio. Cette concentration entre les mains d’une poignée de dirigeants a,
bien sûr, des objectifs économiques. En témoigne la guerre qu’ils se livrent
avec les géants du numérique pour capter l’énorme marché de la
publicité. L’autre versant est la domination idéologique. L’accaparement
des médias par des grands groupes capitalistes a pour but de constituer des
empires de l’information (et de la désinformation !) à même d’agir sur les
États, les organismes politiques et économiques. Leur
ascendant n’a pas de frontières. Leur domination sur l’information est telle
que les titres qu’ils dirigent contribuent à façonner et à manipuler l’opinion
publique afin de servir leurs intérêts économiques et leurs croisades politiques.
Le système Bolloré a transformé les médias en forces de frappe où la vacuité
des débats côtoie un torrent de désinformation, rabâchée jusqu’à la nausée.
Elles servent de marchepied à l’extrême droite et offrent une tribune aux
thèses complotistes et obscurantistes.
Les médias indépendants sont les premiers à souffrir
de cette profonde restructuration qui piétine l’information, le pluralisme, la
pensée et les idées. Le président a confirmé la tenue d’états généraux de
l’information en septembre. Chaque citoyen est en droit d’en questionner leur
finalité. Ils n’auront de crédibilité que s’ils prennent en compte les
propositions de loi qui sont déjà sur la table. Elles posent enfin un cadre
avec des lois efficaces qui limitent la concentration des médias et offrent des
garanties d’existence aux médias indépendants avec des aides publiques
priorisées. « Un journal, disait Albert Camus, c’est la conscience d’une nation. » On ne peut
rester les bras croisés face à la crise démocratique que connaît notre
pays.
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