Le Centre Pompidou-Metz consacre une grande
rétrospective à l’artiste d’exception qui, au tournant des XIXe et
XXe siècles, dut s’inventer elle-même.
Puisque tu poses pour des vieux peintres, tu n’as qu’à t’appeler Suzanne. La boutade de Toulouse-Lautrec évoquait l’épisode biblique où une jeune femme observée pendant son bain par deux vieillards refuse leurs avances. C’est ainsi que Marie-Clémentine, qui n’a alors qu’une vingtaine d’années, devient Suzanne Valadon, peintre. De fait, elle est le modèle de Puvis de Chavannes, de Steinlen, de Henner, mais aussi de Renoir qui est dans la quarantaine et dont elle ne refusera pas les avances. Ils seront amants pour un temps. On la voit, de profil, avec une robe blanche satinée, dans le tableau la Danse à la ville qui fait pendant à la Danse à la campagne, où la jeune femme est Aline Charigot, la dame au petit chien du Déjeuner des canotiers, qui, elle, deviendra madame Renoir. Les deux tableaux sont peints en 1883, Suzanne a 18 ans.
Modèle à Montmartre
Elle est née en 1865 dans le Limousin, son père est
inconnu. Sa mère, Madeleine, fuira sa condition de fille-mère pour s’installer
à Montmartre, alors un quartier pauvre et bohème qui, en partie pour ces
raisons, aura été quelques années plus tôt un des lieux importants de la
Commune de Paris. Madeleine est lingère et tire le diable par la queue.
Marie-Clémentine travaille très jeune comme serveuse dans un restaurant. Tout
juste adolescente, elle veut devenir acrobate, au cirque Molier, mais une chute
stoppe net son apprentissage.
Les peintres sont nombreux sur la butte, elle est très
belle. Elle va poser pour eux et d’abord, donc, pour Puvis de Chavannes
(1824-1898), notamment pour le Bois sacré, grande peinture murale
de l’amphithéâtre de la Sorbonne (1887). Elle n’a que 18 ans
quand elle a un enfant, que le peintre Miguel Utrillo, plus tard, acceptera de
reconnaître sans savoir qui est le père. Ce sera donc Maurice Utrillo,
longtemps plus célèbre que sa mère et assez injustement.
Car Marie-Clémentine-Suzanne ne se satisfait pas de
poser. Elle apprend et, chez elle, elle dessine, ses proches et plus
particulièrement son fils. Son talent est tout de suite évident, remarqué entre
autres par Edgar Degas qui va l’encourager. Elle a le sens de la ligne pure,
élégante et déjà, dans tous les sens du terme, elle annonce la couleur. Elle ne
veut pas, dit-elle, faire de beaux dessins pour être encadrés, mais « de bons dessins pour surprendre un instant de vie, en mouvement, tout en
intensité ». Dans les années qui suivent, son mariage avec Paul Mousis, un grand
bourgeois, va lui permettre avec l’aisance financière, de mettre en œuvre ce
programme.
Le sous-titre de l’exposition du Centre Pompidou-Metz
est « Un monde à soi ». Il fait évidemment écho, rappelle la directrice du centre Chiara Parisi,
au livre de Virginia Woolf, Une chambre à soi, où elle
écrivait « la première chose, peut-être, qu’une femme trouvait quand elle mettait la main à la plume, c’était que
n’existait aucune phrase courante dont elle pût faire usage ».
Donner à voir du vrai
Suzanne, si les leçons de tous les peintres qu’elle
côtoie et a côtoyés l’ont nourrie, si elle se sent proche de ceux de l’école de
Pont-Aven et de Paul Gauguin pour les couleurs franches, les formes parfois
cernées, doit s’inventer. C’est une femme libre, dans sa vie, ses amours et
dans sa peinture. Son tableau la Chambre bleue (1923), repris
par l’artiste contemporaine Agnès Thurnauer avec le titre Virginia
Valadon, est à cet égard exemplaire. C’est sans complaisance une femme
sur un sofa, en pantalon de pyjama rayé, une cigarette à la bouche. C’est, dit
Agnès Thurnauer, « une odalisque qui n’est pas aguicheuse, dans un espace qui est le sien ». On pourrait y voir un
manifeste. Ses nus féminins, et ils sont nombreux, sont dans ce registre. Il ne
s’agit pas de plaire, de faire du joli, mais de donner à voir du vrai.
À sa manière, elle rompt avec des siècles de nus
complaisants ou même franchement racoleurs. De ce point de vue, elle
prolonge l’Olympia, de Édouard Manet, et s’inscrit en
parallèle dans les pas de Pablo Picasso, sans la rupture plastique des Demoiselles
d’Avignon. Et si elle sait organiser son univers d’une manière
décorative qui n’est pas sans rapport avec Henri Matisse, elle ne fraye pas
avec les odalisques de ce dernier. Cette liberté, elle l’exercera aussi en
épousant, à 44 ans, un ami de son fils, André Utter, de vingt ans son
cadet, pour trente ans de vie commune. C’est lui l’Adam de son Adam et
Eve – elle-même – de 1909. Il est nu. Une feuille de vigne a été
rajoutée après coup pour que le tableau soit accepté au Salon d’automne.
Jusqu’au
11 septembre. Catalogue édité par le Centre Pompidou-Metz, 266 pages,
42 euros.
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