vendredi 30 juin 2023

« Embrasement », l’éditorial de Maud Vergnol dans l’Humanité.



Le gouvernement redoutait l’embrasement. Il a eu lieu. L’émotion après le meurtre de Nahel par un policier à Nanterre a laissé place à la colère chez une partie de la jeunesse des quartiers populaires. Les secousses se sont fait sentir sur tout le territoire, où des dizaines de commissariats et bâtiments publics ont été incendiés. Des nuits difficiles pour les habitants de ces quartiers, qui se sont réveillés sans transports, sans mairie ou sans école, autant de services publics si précieux. Ces dégradations reviennent, pour ceux qui les commettent, à retourner la violence contre eux-mêmes. «Oui, mais quand on ne crame pas les voitures, il ne se passe rien» a-t-on entendu ces derniers jours. Comment leur donner – entièrement – tort après l’année écoulée? Lindifférence du pouvoir aux cris de la société ne peut quengendrer de la violence.

Alors bien sûr, le souvenir de 2005 est dans toutes les têtes. Le 27 octobre de cette année-là, la mort de Zyed Benna, 17 ans, et Bouna Traoré, 15 ans, électrocutés alors qu’ils tentaient d’échapper à un contrôle de police, avait embrasé les banlieues françaises. C’est le scénario que redoute aujourd’hui le pouvoir macroniste, tiraillé entre les tentatives d’apaisement et la surenchère sécuritaire qu’il n’a cessé d’alimenter dans sa compétition avec l’extrême droite. Pris entre deux feux, Emmanuel Macron, déjà fragilisé par le mouvement social des retraites, sait qu’il est assis sur une poudrière. Que l’étincelle est là, et qu’il sera plus difficile d’éteindre ce nouvel incendie face à cette jeunesse qui n’a rien à perdre. Elle ne demande pourtant que l’égalité et la justice.

La mort de Nahel, causée par des policiers qui n’ont plus grand-chose de «gardiens de la paix» et à qui la loi de 2017 a octroyé un «permis de tuer», devrait susciter un électrochoc pour toute la société sur la réalité des violences policières, que nous avons de si nombreuses fois documentées dans ces colonnes. L’état de la police française, de l’institution – et non de l’ensemble de ses agents –, est un symptôme alarmant de l’état de déliquescence de la promesse républicaine et des dangers qui guettent. Avec ce nouveau drame, la faillite de l’engrenage sécuritaire est patente.

 

jeudi 29 juin 2023

« Justice », l’éditorial de Fabien Gay dans l’Humanité.



Nahel, un adolescent de 17 ans, a été abattu par des policiers à Nanterre il y a deux jours. Nos premières pensées solidaires et fraternelles vont à la famille de la victime, même si, nous le savons, aucun mot ne pourra venir soulager l’incommensurable peine de perdre un enfant dans ces terribles circonstances. Rien ne peut justifier, même un refus d’obtempérer ou un délit de fuite, passible de prison, qu’un policier abatte de sang-froid une personne. Les premières versions de l’institution policière, comme la réaction de quelques syndicats policiers ou encore de l’extrême droite, rajoutent l’indécence à l’effroyable et tranchent avec la dignité de la famille et les appels au calme et à la justice de nombreux élus, dont le maire de Nanterre, Patrick Jarry.

UNE NOUVELLE FOIS, LE RAPPORT DE LA POLICE AVEC LA POPULATION EST INTERROGÉ.

Une nouvelle fois, le rapport de la police avec la population est interrogé. Cette fois, il ne faut pas qu’il soit enterré. Si les policiers exercent un métier difficile, dans des conditions, parfois complexes, souvent pour des petits salaires, qu’ils sont souvent en première ligne devant la violence de la société et la misère humaine qui s’accroît avec la précarisation de la vie, rien ne peut venir «cautionner» ou «excuser» les violences policières. Dans les quartiers populaires des Minguettes jusqu’à Zyed et Bouna, sans oublier Adama Traoré, jusquaux manifestations des gilets jaunes ou des syndicats, on ne peut plus nier ou atténuer ces violences policières qui frappent les classes populaires avant tout.

Il est urgent de changer de logiciel pour sortir de cette spirale. Il faut d’abord revoir la formation pour celles et ceux qui détiennent la violence dite légitime de l’État. Ne nions plus le racisme qui gangrène toute la société mais aussi notre police, comme le prouvent les contrôles au faciès. Il est d’ailleurs urgent d’instaurer un récépissé de contrôle d’identité. Une remise à plat de la loi de février 2017 relative à la sécurité publique, qui a modifié les conditions d’usage des armes par les forces de l’ordre, de même qu’une grande réforme de l’IGPN, la police des polices, sont nécessaires pour que les enquêtes soient plus rapides. Nous devons justice à Nahel.

 

mercredi 28 juin 2023

« Trusts de presse », l’éditorial de Stéphane Sahuc dans l’Humanité.



Le 3 décembre 1936, le député communiste et rédacteur en chef de l’Humanité Paul Vaillant-Couturier monte à la tribune de la Chambre. Au cœur de son intervention, la problématique de la concentration des médias entre les mains de quelques puissances industrielles et financières et ses conséquences sur la démocratie. «Contre les trusts, il faut protéger et l’opinion et la profession de journaliste», explique le député. Pour cela, il demande des lois qui «puissent assurer aux journaux des moyens normaux dexistence qui les obligent à rendre publique lorigine de leurs ressources, (…) et qui empêchent enfin la constitution de trusts de presse». Il faudra attendre la Libération, le 26 août 1944, pour que des mesures allant dans ce sens soient adoptées. Elles vont tenir jusqu’en 1986 et la privatisation de TF1. Depuis, les milliardaires sont à la fête.

L’épisode JDD/Lejeune met en lumière le cas Bolloré, qui n’est que la forme la plus aboutie de cette concentration. Le milliardaire contrôle Canal Plus, C8, CStar, CNews, Hachette, Prisma Media, Gameloft, Europe 1, le JDDParis Match. Il fait taire ses opposants en interne, et engage des procédures judiciaires quasi systématiques contre tous ceux qui osent écrire, parler, enquêter sur son système. L’objectif est idéologique: rendre majoritaire les idées racistes, anti-immigrés, homophobes, antiféministes.

Si le cas Bolloré illustre jusqu’à la caricature les dangers pour la démocratie et le pluralisme, ces fondamentaux sont tout autant mis à mal par la mainmise d’autres milliardaires sur d’autres organes de presse. Les exigences de Paul Vaillant-Couturier pour garantir le pluralisme face aux trusts de presse restent d’actualité. Faire vivre l’Humanité comme un média global culturel et d’information (quotidien, magazine, site Internet, chaînes vidéo, Fête) totalement indépendant des puissances industrielles et financières est un combat permanent. Depuis bientôt cent vingt ans, grâce à ses lecteurs, ses amis et à tous ceux qui restent attachés au pluralisme, elle est un gros caillou dans la chaussure des puissants.

 

mardi 27 juin 2023

« La créature », l’éditorial de Maurice Ulrich dans l’Humanité.



Il ne faut pas beaucoup d’imagination pour penser à la créature du docteur Frankenstein. C’est bien Vladimir Poutine qui a fabriqué Prigojine, qui l’a élevé dans tous les sens du terme et a fait de l’ancien fournisseur des cuisines des armées son propre bras armé, devenu le chef d’une milice de 25 000 soudards recrutés dans les prisons et formés aux méthodes les plus brutales. On se souvient de cette vidéo où un de ses mercenaires abat un homme avec une masse…

Celui qui fut nommé, non sans ironie, «le cuisinier du Kremlin» est devenu indispensable à un pouvoir ne connaissant que la force. Sur le front ukrainien, mais aussi en Afrique où la Russie entend étendre son champ dinfluence en damant dailleurs le pion à la France et en multipliant les exactions de tous ordres, exécutions sommaires, pillages, viols, en toute impunité. Le week-end n’a rien changé à cela. Poutine a toujours besoin de Wagner. C’est la raison sans doute pour laquelle a été conclu une sorte de deal mafieux laissant libre Prigojine, quand des opposants, ne serait-ce qu’en paroles, filent tout droit en prison et y restent.

Les raisons de l’aventure à ce jour restent obscures. Les États-Unis qui étaient, semble-t-il, au courant depuis dix jours ont juré n’y être pour rien. Quoi qu’il en soit, quiconque trouverait un caractère positif à cette rébellion ferait grandement fausse route. Poutine en sort-il affaibli ou renforcé? On peut spéculer à loisir, mais ce qui semble certain, cest quil ne lâchera rien dans sa guerre, quelle lui est nécessaire pour se maintenir au pouvoir. Ce qui paraît tout aussi certain, c’est qu’une Russie en implosion irait au chaos, devenant une menace toujours plus importante pour la paix du monde. La situation appelle d’apaiser tous les facteurs de tension. Palestine, Turquie et Arménie, bien sûr Chine et États-Unis. L’Europe elle-même, qui voit les droites et les extrêmes droites prendre de plus en plus de poids, n’est pas un facteur de stabilité. Les instances internationales de l’ONU d’abord, du G7 ou du G20, doivent jouer un autre rôle que celui où l’on se tape dans le dos entre grands dirigeants au mépris du reste du monde. La raison le veut mais pour l’exiger, il n’y a que les peuples.

 

27 juin 1972 : Signature du programme commun de gouvernement !



 Romainville, le 17 avril 1983


« Comme la grande majorité des communistes, j’ai participé à l’action pour aboutir à la signature du programme commun de la gauche. Avec eux, en 1971, j’ai applaudi à cette signature. Les années qui ont suivi nous ont fait prendre conscience du piège dans lequel nous nous étions enfermés. Lors des élections législatives de 1973, nous restons devant le Parti socialiste avec 21,3% contre 18,9%. Mais celui-ci revenait de loin. Quatre ans plus tôt, en 1969, 5% des électeurs avaient voté pour Gaston Defferre, le candidat socialiste à l’élection présidentielle, alors que celui de notre parti, Jacques Duclos, avait obtenu 21% des suffrages exprimés.

J’ai mené avec mes camarades la campagne pour la réactualisation du programme commun, notamment après la tenue du congrès extraordinaire de 1974 autour de l’idée : « L’union est un combat ». Les élections municipales de 1977 ont été marquées par un progrès considérable de l’implantation des communistes. Nous n’avions jamais eu autant de communes avec à leur tête un maire communiste. En Seine-Saint-Denis, vingt-sept villes sur quarante étaient dans ce cas. Aux élections législatives de 1978, le PS arrive devant le PCF avec 22,82% des voix, contre 20,61%. Cette échéance se traduisait par un sensible recul de notre parti et une progression notable du PS. Cela signifiait que les résultats obtenus aux municipales de 1977 s’expliquaient pour une large part par les progrès du PS.

C’est dans cette période, faite de succès indiscutables mais aussi d’un recul de notre influence, que je pris part à une conférence de section à La Plaine Saint-Denis. C’était avant les élections législatives de 1973, et donc peu de temps après la signature du programme commun. J’ai toujours en mémoire les interrogations d’un camarade. Sa question était pleine de bon sens: « Sur quelles bases allons-nous mener campagne pour ces élections puisque nous avons le même programme que le Parti socialiste. Comment pouvons-nous nous différencier ? » La discussion a naturellement permis d’avancer sur le fait que, pour notre part, nous voulions en finir avec le capitalisme et que nous agissions pour un « socialisme aux couleurs de la France », comme nous disions alors, tandis que le Parti socialiste, qui n’avait pas changé de nature, restait un parti social-démocrate. Il n’empêche, pour les électrices et les électeurs qui devaient se prononcer, nous étions bien liés par le même programme.

Quitter ou rester au gouvernement ?

Au moment où j’écris ces lignes, nous sommes entrés dans le « tournant de la rigueur » décidé par François Mitterrand et le débat est vif entre ceux de nos camarades partisans de voir nos ministres quitter le gouvernement, et ceux qui, au contraire, pensent qu’il faut poursuivre cette expérience. Je fais partie de ceux qui veulent que les ministres communistes quittent le gouvernement. Mais, je le dis humblement, je ne suis pas sûr d’avoir encore les réponses à la question que me posait le camarade de La Plaine Saint-Denis, et qui continue de me tarauder.

Nos résultats aux élections municipales de mars 1983 montrent que nous avions raison de redouter ce scrutin. Nous avons perdu de nombreuses municipalités conquises en 1977. Pas moins de sept en Seine-Saint-Denis. Nous payons notre participation au gouvernement. Mais combien nous aurait coûté notre refus d’y participer ? Impossible de le savoir. Rien n’est simple. Et les interrogations se bousculent dans ma tête. En tout état de cause, notre participation au gouvernement ne m’apparaît pas comme la seule explication de ces reculs. Penser qu’il suffit que le PCF soit un aiguillon capable de « tirer » le PS à gauche ne peut résumer la politique et les choix qui doivent être les nôtres. Il est temps de revisiter notre stratégie ». Romainville, le 17 avril 1983

(À L’ÂGE OÙ LA VIE SE RACONTE. Pages 73, 74 et 75.)

 

 

lundi 26 juin 2023

« Choix », l’éditorial de Laurent Mouloud dans l’Humanité.



Le rapport publié aujourd’hui par Oxfam sur l’envolée des rémunérations versées aux actionnaires du CAC 40 a quelque chose de surréaliste et d’indécent. Sur l’année 2022, le montant – record – grimpe à 80,1 milliards d’euros, en hausse de 15,5% par rapport à l’année dernière. Bien plus que le budget du ministère de l’Éducation nationale (59,7 milliards), pourtant l’un des plus importants de l’État. Sur dix ans, ces dividendes et autres rachats d’actions ont bondi de 57%. Trois fois plus vite que les salaires de base dans ces mêmes entreprises. Ces chiffres, certes, ne sont pas complètement une surprise. Mais, à l’heure des dérèglements climatiques et du creusement des inégalités, cette captation des richesses ne peut plus être tolérée benoîtement.

Car, évidemment, cet accaparement n’est pas neutre. Il se fait, déjà, au détriment des revenus des salariés qui produisent cette richesse. Mais aussi de la société tout entière, qui doit exiger de ces gros pollueurs une transition écologique rapide et d’ampleur. Faut-il le rappeler? À lui seul, le CAC 40 représente 84% des émissions de CO2 du pays. Diminuer profondément lempreinte carbone de ces mastodontes demande des investissements conséquents et immédiats. Or, on le voit, cet argent existe. Mieux: selon Oxfam, 45% du montant annuel des dividendes et rachats dactions permettraient de couvrir, sur un an, les dépenses de ces groupes dans la transition écologique. Le problème nest donc pas une question de moyens, mais de choix. Jusquici, celui des dirigeants de ces groupes a toujours été de servir en priorité les rendements du capital, plutôt que d’assurer l’avenir de la planète.

Ce modèle économique court-termiste met en danger aussi bien la lutte contre le réchauffement que les entreprises du CAC 40 elles-mêmes, ainsi que leurs salariés. Or, il ne faut pas être naïf. Ces grands groupes ne s’engageront pas gentiment dans une transformation en profondeur de leur fonctionnement. Seule la contrainte de la puissance publique est indispensable pour imposer des limites à cette prédation irresponsable. 

 

dimanche 25 juin 2023

Nouvelle : « Murmures ! »



Elle ne dormait pas. Les douze coups de minuit avaient résonné depuis bien longtemps dans la maison mais elle ne dormait toujours pas. Que ces insomnies qui avaient commencé à chambouler sa vie après la mort de son époux, soient toujours présentes l’accablait, la désespérait. À quatre-vingt-trois ans maintenant, à cet âge, les nuits blanches la laissaient épuisée, et la perspective d’une nouvelle journée dans cet état d’égarement lui semblait insurmontable. Elle se leva donc, dans l’espoir de pouvoir trouver le sommeil plus tard. Elle marcha d’un pas lent vers la fenêtre et tira le rideau. La nuit était froide, mais le brouillard qui devenait de plus en plus épais au loin, donnait l’impression que la route s’effaçait dans un nuage de coton.

Elle s’écarta de la fenêtre, sortit de la chambre et descendit péniblement l’escalier, les mains agrippant fermement la rampe. En arrivant en bas, elle jeta un regard vers la porte de la chambre qu’elle partageait auparavant avec son mari. Continuer de l’utiliser lui aurait épargné de monter et descendre les escaliers, mais cela lui semblait insupportable maintenant qu’il n’était plus là, et elle avait donc après sa mort, décidé d’aller dormir dans la chambre d’amis, à l’étage au-dessus. Elle détourna son regard de la porte et se dirigea vers la cuisine.

En cherchant de la tisane dans un placard en vue de s’en préparer une tasse, ses doigts heurtèrent une petite boîte en métal. Elle s’en empara, s’assit à la table et la fit tourner entre ses mains, perdue dans ses pensées. Il lui avait semblé, depuis toute petite que les objets Murmuraient, lui rappelant des souvenirs d’une voix douce qui l’apaisait. Renonçant à rejeter le MURMURE qui s’annonçait cette fois, elle s’y abandonna. Son époux, lui avait offert cette jolie boîte lors de son retour d’un voyage, comme pour s’excuser de cette longue absence. Ils avaient pris l’habitude de fêter leurs retrouvailles en s’offrant des cadeaux. Et, elle considérait cette boîte comme un des plus beaux qu’il lui ait faits.

Bouleversée par cette vague de souvenirs et maintenant certaine que cette nuit allait être emplie de nostalgie, elle se dirigea vers le salon et s’assit derrière le piano, elle effleura les touches d’une main tremblante. Ses doigts étaient moins agiles, mais sa mémoire, elle, n’avait pas faibli. Elle commença à jouer ses airs préférés, et très vite le MURMURE du piano l’enveloppa à son tour. Il avait l’habitude de s’asseoir sur le fauteuil qui faisait face au piano pour l’écouter. Elle lui avait un jour, demandé pourquoi il s’asseyait à cet endroit d’où il ne voyait pas ses mains, où il n’y avait rien à voir, et il lui avait répondu : « c’est parce que je n’ai pas besoin de te voir. »

Elle continua à jouer, morceau après morceau, et, lorsqu’elle eut fini, elle laissa résonner la dernière note jusqu’à ce qu’elle s’éteigne. Lorsqu’elle ne l’entendit plus, ce furent les murs de la pièce eux-mêmes qui se mirent à Murmurer. C’était un MURMURE, cette fois beaucoup plus puissant, chargé de souvenirs de toute une vie, celle de deux amants, seuls tous les deux dans leur maison, au milieu de ce qu’ils avaient construit ensemble. Le monde leur appartenait. Ils avaient échafaudé des plans dans ce salon, ils avaient construit des projets communs ensemble, ils y avaient ri, s’y étaient disputés et réconciliés, et lorsqu’ils étaient devenus plus âgés, ils y avaient passé des heures à se remémorer leur passé, leurs combats pour plus de solidarité, pour changer le monde et le rendre meilleur. Savourant ces temps passés l’un avec l’autre, une pointe de regrets se glissait dans leurs causettes : le monde nouveau pour lequel ils ont tant combattu n’était pas au rendez-vous.

Ses paupières étaient lourdes, mais ce n’était pas encore le moment. Elle se leva et se dirigea vers le mur qui lui faisait face, celui où toutes les photos étaient accrochées. C’était un grand assemblage hétéroclite de photos prises à des époques différentes, à des endroits différents. Le seul point commun à tous ces clichés était qu’on pouvait les y voir tous les deux, enlacés, toujours souriants. Sur chacune, ils étaient à un autre endroit du monde, dans une manifestation, un rassemblement. Et à chaque fois ils avaient pris une photo qui devait finir avec toutes les autres sur ce mur. Elle s’était laissée totalement emporter par le MURMURE de toutes ces images de leur vie, de tous ces instants heureux et combatifs figés sur ce mur, et un par un lui revenaient les détails de ces moments les plus heureux de leur vie commune. Elle se rappelait les marches, les longues heures passées devant des paysages à vous couper le souffle, les couchers de soleil qu’ils avaient observés, enlacés, les ami-e-s, les camarades qui partagèrent leurs luttes et leurs espoirs. Ils avaient succombé à tous les clichés et en avaient été heureux. Elle se détourna du mur. Elle savait maintenant ce qu’elle devait faire. Elle l’avait, en fait, toujours su, mais elle avait toujours refusé de se l’avouer. Elle se dirigea vers la porte de la chambre, celle qui était restée fermée depuis la mort de celui qu’elle avait tant aimé. Chacun de ses pas était lourd, chargé de souvenirs et du temps passé. Elle arriva devant la porte, posa sa main sur la poignée, prit une grande inspiration et l’ouvrit.

Un simple regard lui suffit pour comprendre que rien n’avait bougé. Chaque chose était à sa place, elle s’en souvenait comme si les années n’avaient été qu’autant de secondes. Elle fit quelques pas à l’intérieur de la pièce. Jamais un MURMURE n’avait été aussi fort dans toute sa vie. Il lui semblait que toute la pièce Murmurait, que même l’air était encore charge de souvenirs et de sentiments de sa vie passée. Elle savait ce qu’elle voulait voir. Elle contourna le lit et s’agenouilla devant sa vieille table de chevet. Elle en ouvrit le tiroir et en sortit quelques feuilles de papier. Elle serra les feuilles contre sa poitrine et s’assit sur le lit. Alors seulement, les larmes coulèrent sur ses joues. Elle n’avait même pas besoin de lire les mots inscrits sur le papier. Il lui avait écrit cette lettre quelques jours avant de s’éteindre. Il y déclarait son amour, qui ne s’était jamais affaibli et qui ne devait pas partir avec lui. Le MURMURE qui s’échappait du papier lui suffisait pour savoir ce qu’il lui avait écrit et tout ce qu’il n’avait pas pu dire avec de simples mots. La pièce autour d’elle se brouillait, tout n’était plus qu’une somme de MURMURES. ELLE SE COUCHA SUR LE LIT, LA LETTRE SERRÉE CONTRE ELLE. ET ELLE FERMA LES YEUX.

 

 

 

samedi 24 juin 2023

La chanson des poètes : « d’Aragon à Ronsard »



La poésie de Louis Aragon est devenue poésie-chanson populaire au début des années cinquante à l’initiative de Léo Ferré, de Jean Ferrat. Tel poème, conçu dans le silence de l’écriture, par exemple « strophes pour se souvenir », paraissait alors sous le titre : « L’affiche rouge » ; tel autre, dont une strophe débutait par les mots « Un jour viendra, couleur d’orange », devenait chanson-poème sous le titre « Un jour, un jour », et même chanson pure et simple, qui s’interprétait au music-hall, chansons auxquelles donnaient chair et vie les voix de Catherine Sauvage, de Francesca Solleville, de Cora Vaucaire, ainsi que celles de Jean Ferrat et de Léo Ferré eux-mêmes, puis d’autres comme en particulier Georges Brassens (Il n’y a pas d’amour heureux). Et ces chansons pures et simples entraient bientôt dans nos mémoires comme le font les autres chansons.

Louis Aragon a été tout de suite enchanté d’être chanté, recevant cela comme un grand cadeau : entendre ses mots retentir dans les salles de spectacle, dans la rue, dans les maisons, et partout même où on fredonne, chantonne, sifflote. En 36, déjà, il faisait avec Francis Lemarque, la tournée des usines occupées, comme pour s’affirmer déjà, oui, solidaire des hommes, bien sûr, mais aussi, au passage, des chansons.

Le poète Jacques Prévert lui aussi a suivi ces chemins-là, dès avant la guerre et lui aussi fut très heureux de la métamorphose en chansons de nombre de ses poèmes. Jacques Prévert deviendra d’ailleurs assez vite, véritablement, auteur de chansons, et même parolier, écrivant par exemple, en 1946, tout simplement le texte des « Feuilles mortes », sur un thème musical que Joseph Kosma destinait au film « les Portes de la nuit ». Mais le mariage des poèmes et des musiques ne date pas d’hier, ni même de 36, ni même de notre siècle. Que croyez-vous que faisaient d’autre les trouvères et les troubadours ? Ils chantaient et faisaient chanter par les « jongleurs » les poèmes qu’ils avaient écrits et composés. Les poèmes de Rutebeuf, ceux de Charles d’Orléans, de François Villon, de Clément Marot, étaient conçus pour une mise en musique facile, et nombre de leurs œuvres ont été mises en chanson, et ce, de leur vivant.

Puis avec l’invention de l’imprimerie musicale au XVIème siècle, survint ce phénomène incontournable et qu’on nous raconte rarement : tous les poèmes que faisaient Ronsard, comportaient une musique « au départ même de leur écriture ». La preuve nous en est donnée par le fait que son tout premier recueil imprimé, le célèbre « Premier Livre des Amours », en 1522, est accompagné, lors de sa première édition d’un supplément musical, où l’on découvre des indications d’airs déjà existants sur lesquels tel ou tel de ses poèmes peut se chanter. Les poèmes de Ronsard, on les danse à la cour, dans les bals, on les chante dans les spectacles. Au XVIIIème, nous aurons des chansons de Jean-Jacques Rousseau, des chansons de Voltaire, ou celles du fabuliste Florian, dont la plus connue est « Plaisir d’amour ».

Et au XIXème siècle, tous les grands écrivains se donnent le bonheur ou le défi de chanter, de collecter, ou d’écrire eux-mêmes des chansons : Victor Hugo, Alfred de Musset, George Sand, Gérard de Nerval…Puis dans les suites de la Commune et de la défaite de 1870, Paris devient la capitale mondiale des chansons. Et sur la Butte Montmartre, le cabaret roi, le chat noir, accueille de grands poètes qui se mettent à écrire eux aussi des chansons à commencer par Paul Verlaine, Jean Richepin et Jules Laforgue. Et nous en arrivons au XXème siècle, et là rayonnent des chansons de Francis Carco, de Pierre Mac Orlan. Si Guillaume Apollinaire n’a pas écrit directement pour la chanson, il s’y est pourtant intéressé. Plusieurs de ses poèmes font partie des plus belles chansons du XXème siècle. Rappelons-nous « le pont Mirabeau » et « les saltimbanques ».

Et puis enfin Prévert, et enfin, Aragon. Des poèmes d’Aragon ont été mis en musique jusqu’à six fois par des musiciens différents. On le voit, les chansons de poètes et d’écrivains sont comme un paysage immense du pays des chansons. La beauté nous est nécessaire. La poésie nous dit qui nous sommes, la chanson nous rassemble et nous donne parfois les mots et l’élan pour aller vers un futur meilleur.

 

vendredi 23 juin 2023

23 juin 1981 : Quatre ministres communistes entrent au gouvernement !



« Dans les années 1970, le PCF a eu raison de se déclarer haut et fort comme un parti de gouvernement. Les années qui suivirent notre participation au gouvernement des socialistes Pierre Mauroy, en 1981, et Lionel Jospin en 1997, ont fait et font encore l’objet de désaccords au sein de notre parti. Ce fut particulièrement le cas lorsqu’en 1984, nous avons pris la décision de quitter le gouvernement de Laurent Fabius. Nous étions partagés, certains estimaient que nous n’aurions jamais dû y entrer, d’autres que nous ne devions pas le quitter. Ce qui nous a valu des débats houleux et des cicatrices qui ne se sont jamais refermées. D’autant plus que seize années plus tard, les communistes se trouvaient face au même dilemme. Faut-il dire oui à notre participation au gouvernement de « la gauche plurielle » ? Personnellement je ne mets pas sur le même plan la participation de ministres communistes à ces deux gouvernements. Nous avons eu raison, à la fois de participer au gouvernement en 1981 et de le quitter en 1984 quand la décision a été prise par François Mitterrand d’imposer « le tournant de la rigueur ». Je n’oublie pas les avancées, les acquis de cette période : l’augmentation du SMIC et des salaires, la 5e semaine de congés payés, la retraite à 60 ans, les lois de décentralisation, avec leurs limites, la réforme de la fonction publique menée par Anicet Le PORS. Les lois Auroux qui sont à l'origine d'innovations notables en matière d'expression des salariés sur leurs conditions de travail et de prévention des risques. Elles sont notamment à l'origine de la création du CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) qui contribuait à la protection des salariés dans les entreprises de plus de cinquante personnes et aussi du droit de retrait. L’abolition de la peine de mort. On m’objectera, à juste titre, que nombre de ces conquêtes ont, depuis, été largement mises en cause, vidées de leur contenu. Certes. Mais c’est un autre débat sur lequel il y a beaucoup à dire. Je ne porte pas la même appréciation sur la présence de ministres communistes dans le gouvernement dit de « la gauche plurielle » en 1997. Lors du vote des communistes dans ma section, je m’y suis opposé. On évoquera les 35 heures et quelques autres avancées, mais ce serait oublier nombre de privatisations, qui se paient cher encore aujourd’hui. Et puis comment ne pas évoquer le coup de Jarnac de Chirac et Jospin, faisant approuver par référendum ce fameux quinquennat et l’inversion du calendrier électoral ».

(À L’ÂGE OÙ LA VIE SE RACONTE. PAGES 57 ET 58)

 

 

« Légitimités », l’éditorial de Stéphane Sahuc dans l’Humanité.

 


14 juillet 1989. Une immense parade marque le bicentenaire de la Révolution française. 22 septembre 1992, le bicentenaire de la naissance de la République française est totalement ignoré, tout comme le bicentenaire de la Constitution du 24 juin 1793. Si l’an I est mis à l’index, c’est parce que cette année à nulle autre pareille raconte une histoire qui terrifie les puissants.

Celle de l’«émancipation de personnes de peu», comme l’écrit lhistorien Claude Mazauric. Le peuple de l’an I se mêle de son destin et prend conscience de sa capacité à décider, à revendiquer et à exiger. La France se trouve dotée d’une double légitimité politique: celle de la Convention, les représentants élus du peuple, et celle des sans-culottes, le mouvement populaire et citoyen. De cette double légitimité émerge la constitution du 24 juin, profondément démocratique et éminemment sociale. C’est cette spécificité que vont s’appliquer à détruire les thermidoriens et leurs successeurs, notamment en transformant en tyran sanguinaire Robespierre, le garant de la légitimité de la volonté populaire, fût-ce face à celle de la Convention.

La contre-révolution utilise toujours les mêmes armes: la répression du mouvement social et citoyen, labaissement des représentants du peuple

Pourtant, cette histoire reste ancrée plus ou moins consciemment dans la mémoire du peuple français, des classes populaires et du mouvement ouvrier et citoyen. Les thermidoriens d’aujourd’hui, «en même temps» réactionnaires et libéraux, continuent de tenter d’effacer l’héritage politique et social de 1793. Pour cela, la contre-révolution utilise toujours les mêmes armes: la répression du mouvement social et citoyen, labaissement des représentants du peuple, la mise en avant de figures réactionnaires.

Dans notre hors-série, Claude Mazauric déclare: «En 1793, comme rarement dans lhistoire de France, lhumanité a été plus quune idée, elle fut une réalité qui sest voulue la plus grande possible. Car la seule façon daccéder à l’humanité réelle c’est de penser une plus grande humanité pour tous, sans exclusive.» En ignorant ou en diabolisant 1793, c’est à l’idée même de cette possible «humanité réelle» que s’attaque le pouvoir actuel, comme d’autres avant lui.

 

jeudi 22 juin 2023

Relisons Zola et les autres, Balzac, Hugo…



Quel bonheur de lire et relire Zola. La précarité dénoncée par Émile Zola dans le magistral : "Au bonheur des dames", quand il relate la création des grands magasins sous le Second Empire fait écho à la logique du « précariat actuel ». Le romancier explore les changements du travail et nous fait vivre les transformations des métiers provoqués par l’évolution des modes de consommation et la spécialisation des tâches. Jeunes, souvent, nous avons découvert ces classiques. Il faut les relire, adultes. Ce sont des œuvres extraordinaires qui traitent de thèmes toujours d’actualité. Aujourd’hui, l’aliénation, l’exploitation des salarié.e.s est différente, mais demeure toujours présente. L’aspiration au mieux-vivre, au bonheur restent des sujets universels. Les grandes histoires traversent les siècles. Les mots d’Émile Zola ont un goût, un parfum, une couleur, un mouvement. Ils fixent dans Germinal, l’âpreté des combats sans retour. C’était à l’époque, très audacieux de vouloir attirer l’attention des lecteurs sur la vie des mineurs. Zola a procédé à une accumulation de documentations. Cette approche sociologique parle vrai. Ce roman a eu une grande influence. Il s’est inscrit dans la mémoire collective. Par son talent et son style analytique, Zola a su transformer la vie des ouvriers en sujet captivant. De ce monde brutal, il a fait émerger de grandes figures qui ont été autant de modèles pour les écrivains suivants. Par ses mots, Émile Zola porte la mémoire des libertés à conquérir et l’indispensable résistance de l’espoir. C’est le combat d’une vie d’écrivain, animé d’une foi d’humanité. Ses nombreux romans, dont la fresque des ROUGON-MACQUART, ses nouvelles, son théâtre, ses écrits sur l’art, comme ses poignants plaidoyers, y scellent l’universalité de l’indomptable auteur dont les indignations et les interrogations s’avèrent d’une flagrante modernité. Zola observe, dépeint et analyse la société à l’aune de ses paradoxes, de ses vérités cachées, de ses souffrances. Et jamais, dans ses combats, il ne minore l’essentiel : la beauté du vivant. Ainsi, au mépris de sa propre gloire, il se battra pour un homme qu’il ne connaît pas, le capitaine Dreyfus, au seul nom du droit de la justice, contre la forfaiture et la raison d’État, s’exposant au harcèlement de cruelles caricatures. Relisons Zola, et les autres… Balzac, Hugo

« Au rendez-vous », l’éditorial de Laurent Mouloud dan l’Humanité.

  « Va à la niche ! Va à la niche ! On est chez nous ! »  Diffusées dans  Envoyé spécial , les images de cette sympathisante RN de Montarg...