samedi 24 juin 2023

La chanson des poètes : « d’Aragon à Ronsard »



La poésie de Louis Aragon est devenue poésie-chanson populaire au début des années cinquante à l’initiative de Léo Ferré, de Jean Ferrat. Tel poème, conçu dans le silence de l’écriture, par exemple « strophes pour se souvenir », paraissait alors sous le titre : « L’affiche rouge » ; tel autre, dont une strophe débutait par les mots « Un jour viendra, couleur d’orange », devenait chanson-poème sous le titre « Un jour, un jour », et même chanson pure et simple, qui s’interprétait au music-hall, chansons auxquelles donnaient chair et vie les voix de Catherine Sauvage, de Francesca Solleville, de Cora Vaucaire, ainsi que celles de Jean Ferrat et de Léo Ferré eux-mêmes, puis d’autres comme en particulier Georges Brassens (Il n’y a pas d’amour heureux). Et ces chansons pures et simples entraient bientôt dans nos mémoires comme le font les autres chansons.

Louis Aragon a été tout de suite enchanté d’être chanté, recevant cela comme un grand cadeau : entendre ses mots retentir dans les salles de spectacle, dans la rue, dans les maisons, et partout même où on fredonne, chantonne, sifflote. En 36, déjà, il faisait avec Francis Lemarque, la tournée des usines occupées, comme pour s’affirmer déjà, oui, solidaire des hommes, bien sûr, mais aussi, au passage, des chansons.

Le poète Jacques Prévert lui aussi a suivi ces chemins-là, dès avant la guerre et lui aussi fut très heureux de la métamorphose en chansons de nombre de ses poèmes. Jacques Prévert deviendra d’ailleurs assez vite, véritablement, auteur de chansons, et même parolier, écrivant par exemple, en 1946, tout simplement le texte des « Feuilles mortes », sur un thème musical que Joseph Kosma destinait au film « les Portes de la nuit ». Mais le mariage des poèmes et des musiques ne date pas d’hier, ni même de 36, ni même de notre siècle. Que croyez-vous que faisaient d’autre les trouvères et les troubadours ? Ils chantaient et faisaient chanter par les « jongleurs » les poèmes qu’ils avaient écrits et composés. Les poèmes de Rutebeuf, ceux de Charles d’Orléans, de François Villon, de Clément Marot, étaient conçus pour une mise en musique facile, et nombre de leurs œuvres ont été mises en chanson, et ce, de leur vivant.

Puis avec l’invention de l’imprimerie musicale au XVIème siècle, survint ce phénomène incontournable et qu’on nous raconte rarement : tous les poèmes que faisaient Ronsard, comportaient une musique « au départ même de leur écriture ». La preuve nous en est donnée par le fait que son tout premier recueil imprimé, le célèbre « Premier Livre des Amours », en 1522, est accompagné, lors de sa première édition d’un supplément musical, où l’on découvre des indications d’airs déjà existants sur lesquels tel ou tel de ses poèmes peut se chanter. Les poèmes de Ronsard, on les danse à la cour, dans les bals, on les chante dans les spectacles. Au XVIIIème, nous aurons des chansons de Jean-Jacques Rousseau, des chansons de Voltaire, ou celles du fabuliste Florian, dont la plus connue est « Plaisir d’amour ».

Et au XIXème siècle, tous les grands écrivains se donnent le bonheur ou le défi de chanter, de collecter, ou d’écrire eux-mêmes des chansons : Victor Hugo, Alfred de Musset, George Sand, Gérard de Nerval…Puis dans les suites de la Commune et de la défaite de 1870, Paris devient la capitale mondiale des chansons. Et sur la Butte Montmartre, le cabaret roi, le chat noir, accueille de grands poètes qui se mettent à écrire eux aussi des chansons à commencer par Paul Verlaine, Jean Richepin et Jules Laforgue. Et nous en arrivons au XXème siècle, et là rayonnent des chansons de Francis Carco, de Pierre Mac Orlan. Si Guillaume Apollinaire n’a pas écrit directement pour la chanson, il s’y est pourtant intéressé. Plusieurs de ses poèmes font partie des plus belles chansons du XXème siècle. Rappelons-nous « le pont Mirabeau » et « les saltimbanques ».

Et puis enfin Prévert, et enfin, Aragon. Des poèmes d’Aragon ont été mis en musique jusqu’à six fois par des musiciens différents. On le voit, les chansons de poètes et d’écrivains sont comme un paysage immense du pays des chansons. La beauté nous est nécessaire. La poésie nous dit qui nous sommes, la chanson nous rassemble et nous donne parfois les mots et l’élan pour aller vers un futur meilleur.

 

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