Le
naufrage d’une frêle embarcation et la mort de 17 hommes, 7 femmes et 3 enfants
à son bord est un nouvel épisode dramatique dans une interminable litanie de
morts aux frontières de l’Europe. Depuis 1993, les frontières extérieures de
l’Union européenne ont vu la mort d’au moins 50 000 personnes qui
tentaient de les traverser, principalement en Méditerranée. Et depuis 1999,
plus de 3OO personnes sont mortes à Calais et dans sa région en tentant de franchir
la frontière britannique
« externalisée » en France, depuis 2004 par les accords du Touquet.
Les années 2000 et 2010 ont été jalonnées de ces annonces de morts aux
frontières, parfois monstrueuses comme ce millier de morts en deux naufrages
successifs les 12 et 19 avril 2015. Mais aux sidérations ont succédé l’oubli,
puis l’habitude qui ouvre la voie à l’indifférence. La brutalité des discours
politiques contre les étrangers indésirables donne aujourd’hui à cette
indifférence la forme de véritables projets politiques de rejet de l’autre et
du monde. Il faut mettre ces 27 personnes décédées dans la Manche en relation
avec ce qui se passe ces jours-ci à la frontière polonaise de la Biélorussie et
son déploiement des policiers et de l’armée contre les migrants.
Immédiatement
après le naufrage de la Manche ce 24
novembre, les gouvernements français et britannique se sont unanimement
empressés de mettre en avant la responsabilité des « passeurs
criminels » ! Mais les passeurs ne sont pas responsables des morts
aux frontières, ils sont les profiteurs sordides et criminels des politiques
publiques des pays européens qui font des frontières des murs, des camps ou des
cimetières. C’est la responsabilité de l’État français de créer des lieux sûrs
de prises en charge des exilés au lieu de les laisser en errance et aux mains
des passeurs.
Les
frontières rendent fous : aussi bien les migrants qui sont empêchés de
circuler, que les dirigeants politiques qui y voient le symbole de leur
obsession nationale. Et les frontières tuent maintenant de plus en plus. Si
l’on ne veut pas que la Manche devienne un cimetière, comme vient de s’y
engager Emmanuel Macron, des solutions existent et peuvent être décidées
immédiatement.
La
mesure la plus urgente est la mise à l’abri des exilés de la région de Calais,
dans des lieux sûrs, c’est-à-dire protégés des intempéries de l’hiver comme des
sollicitations dangereuses des passeurs. Cette mise à l’abri doit aller de pair
avec un accompagnement de leurs demandes : rester en France, aller en
Grande-Bretagne, ou ailleurs. Il y des travailleurs sociaux et des volontaires
associatifs qui savent faire cela, donner confiance, établir le dialogue,
chercher à comprendre plutôt qu’à trier et exclure. Dans ce cadre, il peut être
proposé à toutes ces personnes des voies rapides de régularisation en France.
On verra alors que cette proposition peut avoir plus d’écho qu’on ne le croit,
et peut répondre à la situation explosive que nous connaissons.
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