Choc : Il paraît que le sens des proportions s’apprend avec l’âge, tout
comme la modestie. Les rescapés du monde d’avant ont beau s’être répétés
que « la France ne peut être la France sans la grandeur » parce
qu’ils ont lu les bons auteurs et les grands historiens de l’illustre récit
national, les petits buveurs, eux, en viennent assez vite à décapiter les
lettres capitales. La France va mal, acceptons l’éloquent constat.
Mais l’Europe ne va pas mieux, à l’évidence. Au soir du 9 juin, le
choc d’une déferlante électorale en faveur des extrêmes droites à l’échelle de
l’Union européenne ne sera, hélas, pas une surprise. Attendons-nous au pire, y
compris à l’émergence d’une majorité relative des bêtes immondes coalisées.
Crises, guerres, déclin du monde occidental, menaces, peurs, sentiment de
déclassement, etc., tout devient confus, désordonné, paralysant. Que
reste-t-il des pseudo-« démocraties libérales », toujours suiveuses
des États-Unis, mais toutes devenues des oligarchies libérales au service du
capitalisme globalisé ?
Menaces : Ajoutons à ce constat que la
guerre en Europe existe bel et bien et qu’elle agit, nécessairement par son
côté obscur, sur les cerveaux des vivants. Il y a peu de temps, Denis Sieffert
expliquait d’ailleurs, dans Politis, que l’Ukraine était « une
équation à deux inconnues » qu’il convenait d’écrire au
féminin, « comme pour une formule algébrique », sachant
que les deux inconnues en question sont évidemment « très masculins,
ultra-virilistes, violents et disruptifs », et qu’ils mettent « en
échec la raison et rendent aléatoires les pronostics ».
Ces mâles portent des noms : Vladimir Poutine, d’abord, dont on ne
sait pas où s’arrêtera la folie meurtrière. Donald Trump, ensuite, habité lui
aussi d’une folle stratégie quand il prétend pouvoir arrêter la guerre de son
ami en 24 heures. Le premier est déjà à la manœuvre ; le second n’est
encore que dans l’antichambre de la Maison-Blanche, avec toutes les menaces potentielles
que son éventuel retour accréditerait.
« Ces incertitudes de taille, où se
mêlent deux narcissismes, rendent dérisoires nos polémiques entre “Munichois”
et “va-t-en guerre” », écrivait Denis Sieffert à juste titre, ajoutant : « Un
avenir, dont on ne sait rien, les départagera. La stigmatisation est d’autant
plus simpliste qu’elle recouvre, de chaque côté, des réalités différentes. Il y
a chez les Munichois, ou supposés tels, des amis de Poutine qui avancent à
peine masqués. Le RN, principalement. Et il y a, à la FI, ceux qui ne croient
pas possible une victoire de l’Ukraine, et suggèrent de négocier tout de suite
une fin qu’ils jugent inéluctable. Disons que le moment est mal venu alors que
Poutine est militairement en position de force. » Question :
négocier les frontières aujourd’hui, fût-ce dans le cadre de l’Organisation
pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), donc accorder des gains
territoriaux à Poutine, ne signifierait-il pas une forme de reddition ?
L’Europe va mal, très mal…
Paix : Ces problématiques d’une complexité
inouïe convoquent une requête dans la tête du bloc-noteur, sinon un rêve
valable pour ceci comme pour tant d’autres préoccupations : que nos
grandes gueules maison, que nos intellectuels en titre et au balcon des plateaux
de télévision puissent de temps à autre répondre aux interrogations pressantes
de la médiacratie : « Personnellement, je n’en sais rien, je
ne connais pas le sujet. »
En pareilles circonstances, ne pas penser à Jean Jaurès serait une erreur,
même si le père du socialisme français était un homme de paix mais certainement
pas un pacifiste naïf – relisons l’Armée nouvelle pour le
comprendre. Néanmoins, Jaurès avait théorisé une valeur suprême : la paix
sans le droit n’est pas la paix ! Pour mémoire, en septembre 1938,
Daladier, qui avait abandonné une partie de la Tchécoslovaquie (les Sudètes) à
Hitler, croyait ramener la paix de la capitale bavaroise.
Mais c’était la paix sans le droit… La paix, la guerre, le droit : et
l’Europe d’ici-et-maintenant dans tout ça ? Une chose est sûre, elle
restera désorganisée et faible, tant qu’elle sera réductible au seul triomphe
du capitalisme libéral… dont s’accommodent très bien les extrêmes droites.
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