À une cinquantaine de jours de l’élection des députés au Parlement
européen, les enquêtes d’opinion confirment l’épandage d’un épais brouillard
brun sur la plaine européenne. En France, le score des extrêmes droites se
rapprocherait des 40 % avec un taux d’abstention important.
Certes, les jeux ne sont pas faits. Nombre d’électrices et d’électeurs ne
se soucient pas encore du scrutin. Le rôle du Parlement européen est trop
méconnu. Il est pourtant co-législateur des lois européennes (directives) avec
le Conseil européen (conseil des chefs d’État et de gouvernement). C’est le
Parlement qui valide la composition de la Commission européenne et peut voter contre
elle une motion de censure.
Pour l’instant, le taux d’abstention dépasse les 50 %, et les
candidats des forces de gauche et de l’écologie sont peu connus à l’opposé de
celui du FN/RN qui bénéficie d’une surexposition médiatique.
Depuis des mois en effet, les grands médias, le gouvernement et le
président de la République, notamment avec ses rencontres dites de
« Saint-Denis », font de la valorisation du candidat de l’extrême
droite une stratégie politique visant à instaurer un « duo-duel »
pour écarter toutes les autres forces démocratiques.
Pire, depuis des semaines, le pouvoir valide les thèses de l’extrême droite
en reprenant des pans entiers de ses propositions. Et, dans une
frénésie d’annonces de contre-réforme, chaque ministre y va de son couplet
reprenant les thèses les plus réactionnaires. Un jour, c’est la chasse aux
chômeurs et aux prétendus « assistés » sociaux, le lendemain la loi
agricole répond aux exigences des grands propriétaires terriens et des firmes
de l’agrobusiness, le jour suivant, on assiste à une attaque en règle contre le
statut de la fonction publique en envisageant la rémunération au mérite et le
droit au licenciement, le surlendemain, on ouvre la chasse aux locataires
des offices publics HLM…
Et, s’il était encore besoin de démontrer que le gouvernement et les
institutions européennes n’ont que faire de l’opinion des peuples et des
parlements nationaux, il suffisait de suivre le Premier ministre, cette fin de
semaine, aller se vanter auprès du gouvernement canadien qu’il s’essuie les
pieds sur le vote des sénateurs Français qui ont refusé la ratification du
traité de libre-échange, CETA.
Après avoir favorisé le FN/RN voici que le pouvoir exécutif voit le monstre
lui échapper. Il s’attache donc à lui limer les dents en poussant en sous-main
l’autre liste d’extrême droite – celle de Zemmour-Maréchal.
Cette opération a lieu au moment où ce même pouvoir explique qu’il est
contraint de livrer sa trajectoire budgétaire d’austérité aux institutions
européennes. Résultat : il fait progresser les deux listes brunes.
Certes, ce ne sont que des sondages sur les intentions de vote au scrutin
du 9 juin prochain. Mais reconnaissons, avec inquiétude et tristesse, que
le rejet massif de la construction européenne imposée à marche forcée
contre l’avis des peuples se traduit partout par la progression des
extrêmes droites, déjà présentes au Parlement européen dans deux groupes.
L’un d’eux Identité et démocratie (ID) composée de 59 membres dans lequel siège
le RN/FN aux côtés des troupes de l’extrémiste nationaliste italien Salvini et
du parti néo-nazis Allemand AFD. L’autre est baptisé du trompeur nom de
Conservateur réformiste européen (CRE) composé de 65 députés ou se côtoie les
partisans de l’adoratrice de Mussolini, présidente du conseil Italien Méloni,
le parti droit et justice polonais, le député du parti de Zemmour-Maréchal.
La poursuite de la progression de ces forces aurait des conséquences
incalculables sur les orientations européennes. Déjà dans certains cercles des
droites allemandes et françaises, on préconise une cogestion de l’Union
européenne entre la droite du Parti populaire européen (PPE) avec ces forces
d’extrême droite. Celles-ci pourraient avoir demain des commissaires européens
en nombre. La présidente de la Commission européenne a expliqué qu’elle voulait
construire une coalition « pro-Otan ». Cela tombe bien,
M. Bardella vient de dire qu’il était pour que la France reste dans le
commandement intégré de l’Otan.
Faute d’union et d’alternative
progressiste des millions de citoyens des pays européens, aux histoires
différentes, risquent d’utiliser l’abstention et le vote
« national-populiste » pour manifester leur rejet du carcan d’une
Union européenne, fer de
lance de la mondialisation capitaliste, décidant de leur quotidien et imposant
des politiques contraires à leurs intérêts et à leurs aspirations à vivre
mieux. Ce vote produirait pourtant le contraire de ce à quoi aspirent celles et
ceux qui s’apprêtent à choisir ces bulletins. Cela ne leur donnerait pas plus
le droit de décider par eux-mêmes de leur avenir et de notre avenir commun.
Malgré elles et eux, le capitalisme le plus sauvage serait conforté.
C’est la raison pour laquelle la grande bourgeoisie européenne s’accapare
désormais de puissants moyens de propagande pour banaliser l’extrême droite en
faisant croire à celles et ceux qui ne supportent plus leur sort que ce vote
est le moyen d’une insurrection populiste pour, au bout du compte, les enserrer
plus fortement dans les tenailles du système.
L’opération a d’autant plus de prise que des millions de citoyens ne
supportent plus de changer de gouvernement sans que jamais ne change les
orientations politiques, au nom précisément de l’application des traités européens.
Ils savent que le mot d’ordre macroniste « Plus d’Europe »
signifie l’étranglement de leur voix par un mystérieux « cercle de la
raison » capitaliste.
Lors d’une manifestation paysanne, il y a quelques semaines, devant les
institutions européennes était accrochée une banderole affirmant :
« Ce n’est pas l’Europe que nous voulons ».
Le sous texte de cette phrase signifie donc que ces travailleurs ne
refusent pas « l’Europe ». Ce qu’ils refusent, c’est une Union
européenne au service du capital qui impose des règles uniques ou uniformes à
des pays aux histoires, aux géographies, aux droits sociaux différents. Ils
savent que cette « Union européenne » est antinomique avec une
construction européenne faisant du progrès social et écologique, de la santé et
du travail une priorité.
La fracture n’est donc pas entre
pro-européen et anti-européen.
Le véritable clivage se situe entre le Conseil européen et banquiers
centraux qui édictent leurs directives depuis les citadelles de Bruxelles et de
Francfort, et l’immense majorité des peuples qui cherchent une autre voie. Ils
refusent ce que Jacques Delors avait qualifié de « despotisme
bienveillant » à propos de l’actuelle union européenne dont il était
l’architecte.
Depuis, l’un de ses successeurs Jean-Claude Juncker l’a explicité en ces
termes « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités
européens », lorsqu’il avait entrepris avec la Banque centrale
européenne d’étouffer le peuple grec.
Dès lors qu’il est fait obligation aux gouvernements nationaux, quelle que
soit leur tendance politique, de faire approuver leurs budgets nationaux par la
Commission européenne, les peuples comprennent aisément que leur souveraineté,
leur pouvoir de décider sont quasi-nuls.
La monnaie est unique, mais les écarts
de salaires à l’intérieur du marché unique vont de 1 à 9. Les droits sociaux, les fiscalités et
les normes environnementales sont différents pour permettre au capital de tirer
toutes les normes vers le bas. En apparence, on nous vante la liberté de
circulation des marchandises. En réalité, c’est la liberté du grand patronat
d’imposer à sa guise les conditions de production de ces marchandises en
abaissant sans cesse les protections sociales et les rémunérations du travail.
Le combat pour arrimer l’Ukraine à cette union européenne et à l’Otan ne
fait qu’aggraver les conditions de cette concurrence au détriment des
travailleurs ukrainiens, comme celles de tous les travailleurs des vingt-sept
États de l’Union dans laquelle subsistent par ailleurs maintes divisions liées
aux demandes des capitalismes nationaux. Aux fractures entre les pays du Nord
et du sud de l’Europe, s’ajoutent désormais les divisions entre les pays
fondateurs du marché commun et les pays d’Europe centrale et Orientale encore
plus atlantiste.
C’est sur ce terreau, fécondé par les
mandataires officiel du grand capital qui se sont acharnés à empêcher toute
alternative de gauche, qu’a prospéré partout sur le continent un nationalisme
d’extrême droite. Partout où
il est en responsabilité de l’Italie à la Hongrie, il constitue une béquille
sûre pour le capital tout en réduisant certaines libertés publiques.
On ne peut sortir d’une telle situation sans animer un débat politique de
haute intensité pour construire une alternative qui ne pourra se passer, ni de
la recherche d’unité des peuples européens, ni de l’unité des gauches et des
écologistes. Ce débat ne peut non plus glisser sur le terrain des droites
extrêmes et des extrêmes droites en croyant récupérer leurs électeurs.
L’offre communiste d’une autre
construction européenne pour le progrès social, démocratique, écologique, la
sécurité et la paix sur tout le continent suscite de l’intérêt lorsqu’elle est
clairement exposée. Elle mêle
la nécessité d’une union coopérative, émancipée de la tutelle des États-Unis,
indispensable pour affronter les grands défis actuels du climat comme de la
santé ou du numérique, de la lutte contre les paradis fiscaux comme ceux de la
paix dans l’espace européen et au Proche-Orient.
Une union nouvelle des peuples libres et solidaires, c’est une communauté
promouvant en permanence la démocratie et la co-élaboration des peuples et des
assemblées élues.
Une union respectant la souveraineté des nations coopérant entre elles sur
des sujets d’intérêt commun et n’obéissant plus à des règles édictées à
Bruxelles ou sous les lambris capitonnés de la banque centrale européenne
contre les intérêts de leurs travailleurs et de leur peuple.
Ainsi, un groupe de pays pourrait s’associer pour initier ensemble des
projets industriels, numériques, de transports ou alimentaires. D’autres pays
pourraient les rejoindre par la suite. Les règles communes seraient réduites au
strict nécessaire et la coopération entre États membre et les peuples seraient
stimulés. Les gouvernements et les parlements retrouveraient leur souveraineté
de décision et pourraient refuser tout projet régressif. La création monétaire
de la Banque centrale européenne serait placée sous contrôle populaire en vue
d’un développement nouveau de service public indispensable pour la transition
écologique et le progrès social. Les traités de l’Europe capitaliste devront
être dépassés pour construire cette union nouvelle des nations et des peuples
libres, souverains et associés. C’est le retour à l’article 3 de
la déclaration des droits de l’homme de 1789 : « Le principe de
cette souveraineté réside essentiellement dans la nation, nul corps, nul individu
ne peut exercer d’autorité qui n’en émane pas expressément ». Une
autre Europe, progressiste, sociale, écologique, démocratique, féministe active
pour la paix et non-alignée est donc possible.
Ce débat fondamental, va-t-il avoir lieu ? Le faire vivre est une des
conditions pour que les citoyens, les travailleurs exaspérés, ne se trompent
pas de colère et ne nourrissent aucune illusion sur les extrêmes droites qui
dévoient les mécontentements au service même du système. Un sursaut est
indispensable !
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