vendredi 19 décembre 2025

« Une université forte n’est pas un coût, mais un investissement vital pour la souveraineté française »



Le débat sur la souveraineté technologique se concentre sur l’effort militaire, la production industrielle ou la sécurisation des approvisionnements. Pourtant, l’essentiel se joue dans les universités. Nous avons changé d’époque et le flux d’innovation s’est inversé. Aujourd’hui, l’intelligence artificielle, le quantique, les capteurs, les matériaux avancés proviennent majoritairement des laboratoires de recherche civils, en très large partie mixtes entre universités et organismes nationaux de recherche (ONR), et structurent la puissance technologique.

En effet, de nombreuses technologies reposent sur des fondements scientifiques développés par des laboratoires universitaires ou des fonds publics, tels que le laser, le GPS ou plus récemment le vaccin Oxford-AstraZeneca contre le Covid-19. Plus de 70 % des technologies dites duales – utiles à la fois à des fins civiles et militaires – émergent de la recherche ouverte. Dans le domaine stratégique du quantique, 80 % des publications scientifiques proviennent des universités. Et les budgets civils de la recherche et développement (R&D) en intelligence artificielle dépassent de très loin ceux des agences militaires.

La souveraineté technologique dépend donc directement de la vitalité scientifique du pays, de sa capacité à financer et à structurer la recherche fondamentale et interdisciplinaire au sein de nos universités et des ONR. Cette réalité rend les coupes budgétaires et les hausses de charges dans le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) non seulement préoccupantes, mais stratégiquement dangereuses.

Par stratégie

Ces coupes, répétées année après année, menacent directement la capacité de la France à rester une puissance scientifique et technologique, à l’heure où la compétition internationale est la plus forte sur des sujets fondamentaux pour l’avenir. Partout dans le monde, les nations qui investissent massivement dans leurs universités ne le font pas par générosité : elles le font par stratégie.

Il est clair que la puissance scientifique et technologique se construit d’abord dans l’enseignement supérieur. En témoignent les laboratoires d’excellence (Labex), promus par l’Etat il y a une quinzaine d’années : ils ont entraîné une hausse de près de 20 % de l’intensité de R&D privée dans les entreprises partenaires, selon une étude de l’Institut des politiques publiques (note n° 86, 2023).

De même, les évaluations internationales montrent que les universités Initiatives d’excellence (IDEX) enregistrent plus de 12 % de publications dans le top 10 % mondial et + 40 % de co-brevets. Ces dispositifs ne sont pas des labels symboliques, mais de véritables infrastructures de souveraineté.

Il faut aussi souligner un point crucial : le rôle des universités a déjà profondément changé. Elles ne sont plus seulement des lieux de formation, mais sont devenues des acteurs centraux de l’économie de l’innovation. Elles créent des start-up « deeptech », portent des plateformes technologiques, collaborent avec les industriels, structurent des écosystèmes où se rencontrent scientifiques, entrepreneurs et investisseurs. Elles développent des fonds de dotation et jouent un rôle de tiers de confiance pour orienter l’investissement privé vers les technologies de rupture. Elles contribuent même à l’éducation financière, condition indispensable pour mobiliser l’épargne nationale au service de l’innovation souveraine.

Former plus de chercheurs, d’ingénieurs, d’économistes

Affaiblir les universités, c’est remettre en cause mécaniquement l’ensemble de la chaîne de souveraineté : la recherche, l’innovation, la formation, la capacité à définir les normes, les standards et les usages des technologies critiques. Contrairement à une idée reçue, la souveraineté technologique, ne commence ni dans les arsenaux, ni dans les usines, mais dans les laboratoires, dans les bibliothèques, dans les salles de cours, nourrie par la liberté et la créativité des enseignants-chercheurs et des chercheurs.

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Il n’y aura pas non plus de souveraineté industrielle sans souveraineté éducative. « La croissance économique de long terme de la France deviendra nulle sans transformation du système éducatif », a récemment souligné l’économiste Patrick Artus dans sa chronique au Monde du 22 novembre. La stagnation de la productivité depuis 2010, la dégradation rapide du capital humain, la baisse du niveau scolaire, notamment en mathématiques et en compréhension écrite, ainsi que les pénuries croissantes de compétences dans les domaines technologiques risquent de nous conduire vers une croissance potentielle proche de zéro.

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