Le débat sur la
souveraineté technologique se concentre sur l’effort militaire, la production
industrielle ou la sécurisation des approvisionnements. Pourtant, l’essentiel
se joue dans les universités. Nous avons changé d’époque et le flux
d’innovation s’est inversé. Aujourd’hui, l’intelligence artificielle, le
quantique, les capteurs, les matériaux avancés proviennent majoritairement des
laboratoires de recherche civils, en très large partie mixtes entre universités
et organismes nationaux de recherche (ONR), et structurent la puissance
technologique.
En effet, de
nombreuses technologies reposent sur des fondements scientifiques développés
par des laboratoires universitaires ou des fonds publics, tels que le laser, le
GPS ou plus récemment le vaccin Oxford-AstraZeneca contre le Covid-19. Plus de
70 % des technologies dites duales – utiles à la fois à des fins civiles
et militaires – émergent de la recherche ouverte. Dans le domaine stratégique
du quantique, 80 % des publications scientifiques proviennent des
universités. Et les budgets civils de la recherche et développement (R&D)
en intelligence artificielle dépassent de très loin ceux des agences
militaires.
La souveraineté
technologique dépend donc directement de la vitalité scientifique du pays, de
sa capacité à financer et à structurer la recherche fondamentale et
interdisciplinaire au sein de nos universités et des ONR. Cette réalité rend
les coupes budgétaires et les hausses de charges dans le budget de
l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) non seulement préoccupantes,
mais stratégiquement dangereuses.
Par stratégie
Ces coupes,
répétées année après année, menacent directement la capacité de la France à
rester une puissance scientifique et technologique, à l’heure où la compétition
internationale est la plus forte sur des sujets fondamentaux pour
l’avenir. Partout dans le monde, les nations qui investissent massivement
dans leurs universités ne le font pas par générosité : elles le font par
stratégie.
Il est clair
que la puissance scientifique et technologique se construit d’abord dans
l’enseignement supérieur. En témoignent les laboratoires d’excellence (Labex),
promus par l’Etat il y a une quinzaine d’années : ils ont entraîné une
hausse de près de 20 % de l’intensité de R&D privée dans les
entreprises partenaires, selon une étude de l’Institut
des politiques publiques (note n° 86, 2023).
De même, les
évaluations internationales montrent que les universités Initiatives
d’excellence (IDEX) enregistrent plus de 12 % de publications dans le
top 10 % mondial et + 40 % de co-brevets. Ces dispositifs ne sont pas
des labels symboliques, mais de véritables infrastructures de souveraineté.
Il faut aussi
souligner un point crucial : le rôle des universités a déjà profondément
changé. Elles ne sont plus seulement des lieux de formation, mais sont devenues
des acteurs centraux de l’économie de l’innovation. Elles créent des start-up
« deeptech », portent des plateformes
technologiques, collaborent avec les industriels, structurent des écosystèmes
où se rencontrent scientifiques, entrepreneurs et investisseurs. Elles
développent des fonds de dotation et jouent un rôle de tiers de confiance pour
orienter l’investissement privé vers les technologies de rupture. Elles
contribuent même à l’éducation financière, condition indispensable pour
mobiliser l’épargne nationale au service de l’innovation souveraine.
Former plus de chercheurs, d’ingénieurs, d’économistes
Affaiblir les
universités, c’est remettre en cause mécaniquement l’ensemble de la chaîne de
souveraineté : la recherche, l’innovation, la formation, la capacité à
définir les normes, les standards et les usages des technologies critiques.
Contrairement à une idée reçue, la souveraineté technologique, ne commence ni
dans les arsenaux, ni dans les usines, mais dans les laboratoires, dans les
bibliothèques, dans les salles de cours, nourrie par la liberté et la
créativité des enseignants-chercheurs et des chercheurs.
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Il n’y aura pas non plus de souveraineté industrielle
sans souveraineté éducative. « La croissance économique de long terme
de la France deviendra nulle sans transformation du système éducatif »,
a récemment souligné l’économiste Patrick Artus dans sa chronique au Monde du 22 novembre. La stagnation de la productivité
depuis 2010, la dégradation rapide du capital humain, la baisse du niveau
scolaire, notamment en mathématiques et en compréhension écrite, ainsi que les pénuries croissantes de compétences
dans les domaines technologiques risquent de nous conduire vers une croissance
potentielle proche de zéro.

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