Grandeur : Comme un exil intérieur,
l’impression non pas diffuse mais bien réelle qu’une certaine gravité
s’apparente à une maladie de jeunesse qui dure un peu trop longtemps.
Les rescapés du monde d’avant ont beau s’être répété que « la
France ne peut être la France sans la grandeur » parce qu’ils ont
lu les bons auteurs et puisé aux sources référencées, les petits joueurs et
petits buveurs, eux, inconscients de l’essentiel et du sentiment de déclassement
social généralisé, en viennent assez vite à décapiter les lettres capitales et
à « se fondre, sans tristesse ni remords, dans le juste milieu
d’une très moyenne condition humaine », comme l’écrivait Régis
Debray (l’Exil à domicile, Gallimard, 2022).
Et il ajoutait : « Le plus fastidieux, en telle
conjoncture, c’est l’obligation de ne pas se tromper d’angoisse ni de mot de
passe. La Liberté, c’est le tabac assuré. L’Égalité, attention, fait froncer
les sourcils, mais la Fraternité, grimper au mur. Le coude-à-coude vous suggère
mille réflexions et angoisses, vous en faites des pages et des pages, mais cela
n’intéresse plus. Le petit dernier de notre devise est passé à la
trappe. »
Libéralisation : Car, pendant ce temps-là,
« le tsunami de l’atomisation sociale » poursuit ses ravages et a
tout à voir avec l’impression dépressive que notre pays s’enfonce dans les
tréfonds de la pauvreté et du marasme. Preuve en est, le discours de politique
générale du premier sinistre a montré combien les préoccupations des Français
concernant leur travail restent au cœur du débat public.
Le 30 janvier, Gabi Ier a mentionné pas moins de
quarante fois le mot « travail » ! De quoi a-t-il été
question ? Désmicardiser, récompenser les efforts, « que le
travail paie mieux et toujours plus que l’inactivité »… et évidemment
inciter au travail en réduisant une nouvelle fois les allocations
chômage.
Aucun aggiornamento, bien sûr, concernant les politiques de libéralisation
du droit du travail, commencées au début des années 2000 et renforcées par
les ordonnances de 2017, qui, avec leurs mesures sur les contrats courts,
l’intérim et l’externalisation, destinées à créer des emplois à moindre coût,
réduisent la capacité de négociation des syndicats sur les enjeux salariaux.
L’une des causes majeures de la stagnation des salaires ? La précarisation
du travail, comme en témoignent de nombreuses études.
Injustice : Et pour en rajouter dans la
destruction méthodique des droits, Gabi Ier a annoncé la
suppression de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) et « sa
bascule » vers le revenu de solidarité active (RSA). Conséquences ?
Les chômeurs en fin de droits seront encore plus « fragilisés ».
Derrière l’opération de vases communicants, un risque de casse sociale
monumentale se profile. Ce scénario, envisagé à plusieurs reprises, avait
jusqu’à présent été écarté, car il était susceptible de pénaliser de nombreuses
personnes en situation de très grande vulnérabilité. Fin 2017, dans une note
confidentielle, que le Monde avait alors consultée, France
Stratégie, un organisme d’expertises rattaché à Matignon, avait présenté
des « scénarios d’évolution du régime de solidarité chômage ».
L’un d’eux tentait d’apprécier l’impact d’une « suppression
sèche de l’ASS » : « 70 % des allocataires
actuels seraient perdants, (…) avec une (réduction) moyenne de niveau de vie de
8 % », en faisant l’hypothèse que tous les individus ayant
droit au RSA et à la prime d’activité les réclament – ce qui n’est pas le
cas. « La part des perdants passerait à 75 % (…), avec une
baisse moyenne de niveau de vie de 16 % », si l’on retenait
un « taux de recours » au RSA et à la prime
d’activité équivalent « à celui estimé aujourd’hui ».
Terrifiante perspective d’injustice sociale, n’est-ce pas ? « Il
vient un moment où les tambouilles d’idées nous tombent des mains, tant elles
sont à côté de la plaque, écrivait Régis Debray. Un moment où
l’on ne peut plus confier qu’à des tapis magiques la tâche de conjurer
l’injuste et superficiel deux-et-deux-font-quatre, et point final. » Pas
mieux.
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