À la fin de l’année 2020, un tribunal d’Istanbul condamnait à
vingt-sept ans de prison le journaliste turc Can Dündar, exilé en
Allemagne. Son crime : la publication d’une enquête mettant au jour les
livraisons d’armes des services secrets turcs à des groupes djihadistes en
Syrie. « Divulgation d’informations confidentielles et
espionnage », a tranché une justice à la solde du président Erdogan,
avec ses purges qui ont conduit des dizaines de milliers d’opposants en prison.
Trois ans plus tard, le sort de 108 membres du HDP, parti de gauche désormais
interdit, est entre les mains de cette même justice.
Son charismatique président, Selahattin Demirtas, encourt jusqu’à
142 ans de prison. Dans le procès dit de Kobané, il est désigné, avec ses
camarades, comme un « terroriste » pour avoir appelé
en 2014 à des manifestations de solidarité avec les habitants de cette ville
kurde du nord de la Syrie qui résistaient alors aux assauts de Daech, tandis que
l’étranglait l’embargo du gouvernement turc. « Terroriste »
aussi, Abdullah Öcalan, le chef du PKK, détenu depuis un quart de siècle sur
l’île-prison d’Imrali, et dont les offres de paix négociée sont écartées d’un
revers de main par le régime turc.
« Terroristes » encore, les dizaines de milliers de
prisonniers politiques, kurdes en majorité, qui, dans les geôles d’Erdogan,
représentent 15 à 20 % de l’ensemble des détenus. Comme elle épargnait
hier l’« État islamique », l’infamante désignation épargne toujours
les supplétifs islamistes recyclés par l’armée turque, qui occupe une partie du
nord-est de la Syrie, théâtre d’une brutale entreprise de nettoyage ethnique.
Des prétoires turcs aux maquis du Bakur, au Rojava et aux montagnes du nord
de l’Irak, où ses troupes déchaînent un déluge de feu, Erdogan livre à la
résistance kurde une guerre sans merci. Quand tous les yeux sont tournés vers
le cataclysme infligé par Benyamin Netanyahou aux populations civiles de Gaza,
les appels au cessez-le-feu du président turc, ses manifestations de solidarité
avec les Palestiniens sonnent d’autant plus faux qu’il entretenait, avant le
7 octobre, une lucrative normalisation avec Israël.
Le dépeçage de la région par les Occidentaux, à l’aube du siècle dernier, a
laissé deux peuples sans État : Kurdes, Palestiniens. Ils ont su nouer,
par le passé, d’ardentes solidarités. La paix au Moyen-Orient passera par leur
libération.
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