vendredi 9 février 2024

« Libération », l’éditorial de Rosa Moussaoui dans l’Humanité.



À la fin de l’année 2020, un tribunal d’Istanbul condamnait à vingt-sept ans de prison le journaliste turc Can Dündar, exilé en Allemagne. Son crime : la publication d’une enquête mettant au jour les livraisons d’armes des services secrets turcs à des groupes djihadistes en Syrie. « Divulgation d’informations confidentielles et espionnage », a tranché une justice à la solde du président Erdogan, avec ses purges qui ont conduit des dizaines de milliers d’opposants en prison. Trois ans plus tard, le sort de 108 membres du HDP, parti de gauche désormais interdit, est entre les mains de cette même justice.

Son charismatique président, Selahattin Demirtas, encourt jusqu’à 142 ans de prison. Dans le procès dit de Kobané, il est désigné, avec ses camarades, comme un « terroriste » pour avoir appelé en 2014 à des manifestations de solidarité avec les habitants de cette ville kurde du nord de la Syrie qui résistaient alors aux assauts de Daech, tandis que l’étranglait l’embargo du gouvernement turc. « Terroriste » aussi, Abdullah Öcalan, le chef du PKK, détenu depuis un quart de siècle sur l’île-prison d’Imrali, et dont les offres de paix négociée sont écartées d’un revers de main par le régime turc.

« Terroristes » encore, les dizaines de milliers de prisonniers politiques, kurdes en majorité, qui, dans les geôles d’Erdogan, représentent 15 à 20 % de l’ensemble des détenus. Comme elle épargnait hier l’« État islamique », l’infamante désignation épargne toujours les supplétifs islamistes recyclés par l’armée turque, qui occupe une partie du nord-est de la Syrie, théâtre d’une brutale entreprise de nettoyage ethnique.

Des prétoires turcs aux maquis du Bakur, au Rojava et aux montagnes du nord de l’Irak, où ses troupes déchaînent un déluge de feu, Erdogan livre à la résistance kurde une guerre sans merci. Quand tous les yeux sont tournés vers le cataclysme infligé par Benyamin Netanyahou aux populations civiles de Gaza, les appels au cessez-le-feu du président turc, ses manifestations de solidarité avec les Palestiniens sonnent d’autant plus faux qu’il entretenait, avant le 7 octobre, une lucrative normalisation avec Israël.

Le dépeçage de la région par les Occidentaux, à l’aube du siècle dernier, a laissé deux peuples sans État : Kurdes, Palestiniens. Ils ont su nouer, par le passé, d’ardentes solidarités. La paix au Moyen-Orient passera par leur libération.

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

« Que les armes se taisent », l’éditorial de Fabien Gay dans l’Humanité.

Le 7 octobre 2023 est un choc qui marquera pour longtemps la société israélienne. L’attaque terroriste du Hamas, qui fit plus de 1 200 vic...