En
ce 105ème anniversaire de l’armistice de la première guerre
mondiale, il est un homme auquel il convient de rendre hommage : Henri
BARBUSSE. Le « poilu », l’auteur du « Feu », le pacifiste
fondateur de l’Association Républicaine des Anciens Combattants et du mouvement
Amsterdam-Pleyel, le communiste saluant la formation du Front populaire le 14
juillet 1935. On l’a admiré, on l’a haï. On l’a de moins en moins connu, mais
il reste une figure mythique, dans la fidélité comme dans l’occultation et le
dédain. Henri BARBUSSE est entré en révolution par l’écriture. En retour son
œuvre s’en est trouvée radicalement marquée. BARBUSSE a mis six
mois à écrire « Le Feu ». En septembre 1916, il lui est
proposé de publier « Le Feu » en volume et de le présenter au
Goncourt. BARBUSSE accepte la proposition, et le livre, édité d’abord à mille
exemplaires en décembre, obtient le prix le 15 décembre. C’est aussitôt un
énorme succès de librairie. Les rééditions se succèdent ! Pourtant, il se
trouva bien vite des détracteurs, en particulier pour contester la véracité du
livre. On l’accuse de décrire des choses qu’il n’a pas vues. L’auteur du
« Feu » a pourtant vécu intégralement, toute l’année 2015, la vie des
tranchées avec sa boue, ses poux, son qui-vive perpétuel, ses corvées de jour
et surtout de nuit, sa peur, son ennui, son hiver, ses souffrances sans
limites. Il a connu la mort toujours présente, les cadavres, les blessés, les
postes de secours, et plus tard, les hôpitaux. Il a donc l’expérience complète
de la guerre. Quant au « Feu », il est bien le journal du soldat
Henri BARBUSSE ; ses premières ébauches sont aisément repérables :
lettres à sa femme, journal de route, carnet, voilà l’intégrité des notes
prises pendant son séjour à l’armée. Elles apportent la preuve que tout ce qui
est décrit dans « Le Feu » a été vu ou entendu par l’auteur en
diverses circonstances de sa présence au front. Innombrables sont les faits,
événements, épisodes du roman qui s’y retrouvent et qui ont donc leurs source
dans l’expérience de BARBUSSE. Il s’est inspiré de situations précises et
vécues. Il y a la réalité immédiate, commune à tous les combattants : la
boue, les patrouilles en avant des tranchées, les cadavres et leurs attitudes,
l’assaut donné par les tirailleurs algériens et sénégalais etc. Les personnages
du « Feu » sont d’authentiques « poilus ». « Le
Feu » est bien le journal d’une escouade. Il est d’une telle sincérité
qu’il s’apparente à plus d’un titre à un véritable reportage. Le romancier
semble s’éclipser et se borner à un rôle de témoin. Peu de romans, mêmes
réalistes contiennent moins de faits inventés. BARBUSSE écrit : « Je
me suis donné à ce genre de besogne dont la dignité est d’exclure toute
effusion de l’imagination et de représenter non pas des histoires, mais des épisodes
réels que j’ai pêchés tout vifs dans la grande guerre et qui correspondent à ce
que j’ai vu ou ce que j’ai entendu… » Sa modestie est-elle
justifiée ? N’apparaît-il pas dans son livre comme un auteur présent,
poète lyrique, écrivain maître de son art ? En réalité « Le
Feu » est une œuvre de création littéraire. Le premier mérite de
l’écrivain est d’avoir su « voir » la guerre : la plupart des
combattants, enfermés dans le calvaire immédiat, ont manqué de recul et n’ont
joué qu’un rôle d’acteurs dans cette tragédie. La poésie du « Feu »
transcende les événements et le moment. Voilà le « livre de poésie et de
vérité », « le poème de l’humanité », qu’attendait l’auteur de
« l’Enfer » grâce à la sensibilité de l’auteur qui
sympathise avec ses modèles, les soldats deviennent poètes, ils s’élèvent
au-dessus d’eux-mêmes, dans leur diversité, leurs habitudes, leur passé, leur
sensualité, leur humour. Avec « Le Feu », nous avons là le cadre
exact du drame humain, avec ses lignes, ses odeurs, ses contrastes, ses
bruits ; la dernière indication sur le froid donne à la sensation humaine
une amplification spatiale concrète et infinie. On peut considérer
"Le Feu" comme une épopée : il en a les aspects grandioses,
visionnaires, prophétiques. Mais il rompt avec la tradition guerrière pour en
construire un nouveau type, celle de la révolte sociale et du pacifisme.
Terrible réquisitoire contre la guerre, il contient une vision de l’avenir, et
il conjugue sans les dissocier le réalisme et l’épique. La réussite de BARBUSSE
est d’avoir construit une réalité romanesque où l’exceptionnel d’une situation
extrême, favorable au souffle épique, au lieu de nous exiler dans l’aventure et
le légendaire, arrive à maintenir ses personnages dans une zone de réalité
quotidienne. « Le Feu » est l’épopée réaliste du peuple en guerre.
Son retentissement est considérable. Il aura été le premier roman
sincère sur la guerre. Les combattants pris dans l’effroyable engrenage dans le
corps à corps quotidien contre la souffrance et la mort, dans la « guerre
habitude » ne savaient pas la dire. BARBUSSE recevra des centaines de
lettres de soldats. Elles le remerciaient d’avoir « osé » dire la
« vérité » sur les poilus. Ainsi dans l’itinéraire de BARBUSSE,
« Le Feu » occupe une place centrale : point de départ d’une
position personnelle définitive, il opère pour son créateur la fusion de la
littérature et de la vie. Il a acquis une audience considérable, non seulement
en s’imposant d’emblée et durant toutes les années qui ont suivi comme le plus
grand livre de la guerre 1914-1918, mais en prenant au fil des ans une
remarquable pérennité. Il n’est pas un simple document, pour les générations de
l’avenir, il dure comme roman quand la réalité qui l’a fait naître a disparu.
Au lendemain de la publication du « Feu » et de son retentissement
éclatant, le prestige de BARBUSSE est immense. Ce succès ne fait qu’accroître
sa conscience d’un devoir social à remplir. C’est ce qu’il fera. Hommage à
BARBUSSE en ce 11 novembre 2021. Et je ne peux que vous convier à lire et à relire
« Le Feu », cette œuvre immense.
vendredi 10 novembre 2023
Avec « Le Feu », BARBUSSE, écrivain, poète et combattant
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