samedi 26 août 2023

« Y en a toujours que pour les mêmes », l’éditorial de Maud Vergnol dans l’Humanité Magazine.



Elle est fatiguée, a le visage pâle et les traits tirés. Silvana tient une petite boutique de chaussures. Mère célibataire, elle arrive à peine à en vivre. Elle a passé l’été à travailler. Ne part jamais en vacances. Elle rage contre les taxes qui la «saignent», contre «les politiques là-haut». Elle a envie de «tout péter». Parfois même den finir. Et puis: «Y en a toujours que pour les mêmes, nous les Français on na rien!» Sur le bitume parisien de cette fin d’été, voilà résumé en une scène le climat politique de cette rentrée.

Elle a raison Silvana, «il y en a toujours que pour les mêmes». Mais pas ceux quelle croit. Ce jour-là est sorti le rapport de Credit Suisse et dUBS sur la richesse mondiale. À l’Élysée, «là-haut», on a sabré le champagne pour cette médaille de bronze, derrière les États-Unis et la Chine. La France est désormais sur le podium des pays du monde qui comptent le plus de millionnaires. 2,821 millions précisément, quand partout ailleurs leur nombre est en baisse. Parmi eux, 3 890 détiennent chacun une fortune excédant 100 millions de dollars ; et 82 au-delà de 500 millions. Des sommes tellement pharaoniques qu’elles apparaissent surréalistes pour le commun des mortels. À vue de nez, si Silvana travaille jusqu’à 67 ans, il lui faudrait 500 vies pour amasser un tel pactole.

Heureux comme un milliardaire en France! Et ils ont de quoi rester optimistes, après que le président de la République a fustigé en Conseil des ministres «le piège à la con du débat sur la fiscalité des riches». Son refus obstiné daugmenter les impôts des plus fortunés, alors que les recettes fiscales de l’État fondent comme neige au soleil et que les besoins sont immenses, gène pourtant jusqu’à ses plus anciens fidèles soutiens. En mai, Jean Pisani-Ferry, qui avait élaboré le programme d’Emmanuel Macron en 2017, qu’on ne peut donc pas suspecter d’être un dangereux révolutionnaire, avait préconisé «un impôt exceptionnel sur le patrimoine financier des plus aisés». Une proposition violemment rejetée par l’exécutif. Mais le président peut encore compter sur la coqueluche du CAC 40, Alain Minc, lequel se félicite qu’«Emmanuel Macron ait rendu obscène le fait daugmenter les impôts», car la France «avait besoin de se remettre aux normes dune économie capitaliste». Voilà qui a le mérite d’être clair. Ils parlent bien, «les gens den haut».

En bas, les Français soufflent à chaque passage en caisse, subissent la flambée des prix de l’énergie. Ils comparent ceux des fournitures scolaires et se demandent si l’aîné va pouvoir poursuivre ses études, tant les loyers des logements étudiants sont indécents. Ils s’inquiètent de la sécheresse, ont peur pour la planète. Certains cherchent des boucs émissaires. La planète brûle, les inégalités explosent, les défis à relever sont immenses, et le pouvoir macroniste regarde ailleurs. À l’extrême droite. Aussi n’y avait-il pas de sujet plus urgent à inscrire au menu de la rentrée parlementaire que le serpent de mer de la loi immigration, terrain de jeu de la recomposition de la droite extrême qui a le double mérite de saturer l’espace public des obsessions du RN.

Dans ce magma, les formations de gauche auront fort à faire pour élever le débat de cette rentrée politique. Toutes les formations de la Nupes tiendront ce week-end leurs universités d’été, grand moment de formation et de débats, où le bouillonnement d’idées et de culture redonne le goût de la politique et forge des générations entières de militants. Ils auront beaucoup de Silvana à rencontrer, pour les convaincre de ne pas se tromper de colère.

 

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