Elle est fatiguée, a le visage pâle et les traits tirés. Silvana tient une petite boutique de chaussures. Mère célibataire, elle arrive à peine à en vivre. Elle a passé l’été à travailler. Ne part jamais en vacances. Elle rage contre les taxes qui la « saignent », contre « les politiques là-haut ». Elle a envie de « tout péter ». Parfois même d’en finir. Et puis : « Y en a toujours que pour les mêmes, nous les Français on n’a rien ! » Sur le bitume parisien de cette fin d’été, voilà résumé en une scène le climat politique de cette rentrée.
Elle a raison Silvana, « il y en a toujours que pour les mêmes ». Mais pas ceux qu’elle croit. Ce jour-là est sorti
le rapport de Credit Suisse et d’UBS sur la richesse mondiale. À l’Élysée, « là-haut », on a sabré le champagne pour cette médaille de bronze, derrière les États-Unis et la
Chine. La France est désormais sur le podium des pays du monde qui comptent le
plus de millionnaires. 2,821 millions précisément, quand partout ailleurs
leur nombre est en baisse. Parmi eux, 3 890 détiennent chacun une fortune
excédant 100 millions de dollars ; et 82 au-delà de
500 millions. Des sommes tellement pharaoniques qu’elles apparaissent
surréalistes pour le commun des mortels. À vue de nez, si Silvana travaille
jusqu’à 67 ans, il lui faudrait 500 vies pour amasser un tel pactole.
Heureux comme un milliardaire en France ! Et ils ont
de quoi rester optimistes, après que le président de la République a fustigé en Conseil
des ministres « le piège à la con du débat sur la fiscalité des riches ». Son refus obstiné d’augmenter les impôts des plus fortunés, alors que
les recettes fiscales de l’État fondent
comme neige au soleil et que les besoins sont immenses, gène pourtant jusqu’à ses plus anciens fidèles
soutiens. En mai, Jean Pisani-Ferry, qui avait élaboré le programme d’Emmanuel
Macron en 2017, qu’on ne peut donc pas suspecter d’être un dangereux
révolutionnaire, avait préconisé « un impôt
exceptionnel sur le patrimoine financier des plus aisés ». Une proposition violemment rejetée par l’exécutif. Mais le président peut encore
compter sur la coqueluche du CAC 40, Alain Minc, lequel se félicite qu’« Emmanuel
Macron ait rendu obscène le fait d’augmenter les impôts », car la
France « avait besoin
de se remettre aux normes d’une économie capitaliste ». Voilà qui a le mérite d’être clair.
Ils parlent bien, « les gens d’en haut ».
En bas, les Français soufflent à chaque passage en
caisse, subissent la flambée des prix de l’énergie. Ils comparent ceux des
fournitures scolaires et se demandent si l’aîné va pouvoir poursuivre ses
études, tant les loyers des logements étudiants sont indécents. Ils
s’inquiètent de la sécheresse, ont peur pour la planète. Certains cherchent des
boucs émissaires. La planète brûle, les inégalités explosent, les défis à relever
sont immenses, et le pouvoir macroniste regarde ailleurs. À l’extrême droite.
Aussi n’y avait-il pas de sujet plus urgent à inscrire au menu de la rentrée
parlementaire que le serpent de mer de la loi immigration, terrain de jeu de la
recomposition de la droite extrême qui a le double mérite de saturer l’espace
public des obsessions du RN.
Dans ce magma, les formations de gauche auront fort à
faire pour élever le débat de cette rentrée politique. Toutes les formations de
la Nupes tiendront ce week-end leurs universités d’été, grand moment de
formation et de débats, où le bouillonnement d’idées et de culture redonne le
goût de la politique et forge des générations entières de militants. Ils auront
beaucoup de Silvana à rencontrer, pour les convaincre de ne pas se tromper de
colère.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire