mercredi 16 août 2023

« Suspicion », l’éditorial de Laurent Mouloud dans l’Humanité.



Savez-vous combien de détenus meurent chaque année dans les prisons françaises? Pas vraiment? Cest normal, ce chiffre est aujourdhui gardé secret par ladministration pénitentiaire. La contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, instance indépendante, évoque plus de 250 personnes, dont «environ» 120 suicides. Des estimations sans plus de précision, notamment sur les circonstances de ces décès. Bon nombre – une centaine – restent floues aux yeux de proches confrontés au manque de transparence, à des procédures bâclées. Et, au final, condamnés à imaginer le pire. Cette omerta carcérale est intolérable. Elle jette, à tort ou à raison, la suspicion sur les agissements violents des personnels et le discrédit sur toute une institution censée assurer la protection des détenus, laissant penser que les lois de la République s’arrêtent aux portes du pénitencier.

«On mesure le degré de civilisation dune société en visitant ses prisons», écrivait Dostoïevski, repris par Albert Camus. La citation siffle depuis des années aux oreilles de l’État français. Déjà épinglé par les instances européennes pour la surpopulation dans les cellules, il s’avère, de fait, aussi défaillant lorsqu’il s’agit d’éclaircir ces morts «suspectes». Or, le respect du droit derrière les barreaux, comme dans les commissariats, n’est pas un sujet accessoire. Vis-à-vis des familles, l’administration a un devoir de vérité. Et vis-à-vis des autres détenus, comme de la société, un devoir d’exemplarité. L’opacité, l’arbitraire, la dissimulation nourrissent le ressentiment, le doute, la colère. Ils sapent la confiance dans la justice et la promesse de réinsertion.

Face à ces morts inexpliquées, on ne peut pas se contenter de la seule réponse qu’offrent, pour le moment, le gouvernement et son garde des Sceaux quand on parle prison: construire plus de places. Lavenir de ladministration pénitentiaire ne se joue pas que sur une question architecturale. Sil y a une place à faire derrière ces hauts murs, elle doit être réservée au respect du droit.

 

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