mardi 15 août 2023

" Le dernier jour d’un condamné " : Un livre qu’en son temps, on qualifia d’étrange !



« Le dernier jour d’un condamné », est un livre phare. L’auteur a vingt-six ans lorsqu’il l’écrit. Il est beau. Il est heureux. Il est poète. Sa vie est un chant d’amour à Adèle, au génie qui l’habite, à la gloire qui déjà l’a distingué. Il est le souverain des mots, des images, des passions. Il porte un prénom symbolique : Victor, le victorieux, un nom sonore fait pour résonner d’écho en écho, au long des siècles : Hugo.

Pourquoi dès lors se lève entre tous ce jeune homme rayonnant pour clamer son refus, de tout son être, de cette barbarie, de cette négation de l’homme que les juristes nomment la peine capitale. Il commence d’écrire ce livre en octobre 1828, un an après l’exécution d’Ulbach, un jeune homme comme lui, qui, a poignardé une jeune fille par désespoir d’amour. De la lutte d’Hugo contre la peine de mort, ce « dernier jour pour un condamné » est comme un manifeste. Œuvre étonnante, malgré ses facilités, « ses trucs » à la mode dans ces temps littéraires.

Certes depuis un demi-siècle, la question de l’abolition était posée, et parfois même dans certains États, comme la Toscane, la peine de mort avait disparu. Les hommes de liberté, continuateurs des hommes des lumières, s’étaient interrogés au premier temps de la Révolution, sur la nécessité d’abolir la peine de mort contraire en son essence aux droits de l’homme dont le premier est celui de vivre. Mais la guillotine a survécu. Le poète vivait la passion du misérable. Il était devenu le condamné à mort, c’était son supplice qui se préparait, et dont il imaginait déjà tous les moments, jusqu’à l’indicible instant. D’où la force incomparable de son œuvre. 

Pour la première fois dans l’histoire de l’abolition, l’homme, le condamné à mort lui-même fait irruption sur la scène. Il ne s’agit plus de plaider, de débattre, de dénoncer la cruauté, l’inutilité de la peine de mort, d’évoquer l’erreur judiciaire. La discussion s’évanouit devant cet être de chair et de sang qui attend le supplice. Et puisque c’est un homme, le criminel, et non le concept, le crime, que l’on va tuer. Hugo les cite tous à comparaître devant lui : juges qui condamnent, bourreaux qui exécutent, peuple qui applaudit. Qu’ils écoutent au moins cette voix terrible qui s’élève dans la nuit et crie : je suis jeune, je suis fort, j’aime la vie et demain je serai mort parce que vous l’aurez voulu.

Là réside le génie d’Hugo. Il a le premier compris qu’à l’atrocité du crime il faut opposer la barbarie du supplice, et qu’il ne sert à rien, de dénoncer la peine de mort si elle n’est pas incarnée, non par le juge ou le bourreau, mais par le supplicié. Hugo a senti qu’il fallait passer de l’humanité à l’homme, comme être unique, misérable créature de chair et de sang, haletant d’angoisse, suant de peur qu’on garde jour et nuit dans sa cellule, qu’on jette sur la planche et sent peser sur sa nuque le souffle de la bête immonde qui l’escorte, jusqu’à l’échafaud. Hugo sait que seuls les mots du poète peuvent révéler la réalité de l’autre et nous faire vivre ce qu’il éprouve. À cette intuition Hugo ajoute l’invention de l’artiste : son héros pour devenir nous, n’importe qui, c’est-à-dire libéré de son crime, un être qui n’est plus qu’angoisse, qu’attente de l’exécution. On lui reprochera comme une « habileté trop commode » l’escamotage du crime, l’ignorance où le lecteur se trouve des actes, peut-être atroce, qui ont motivé la condamnation. Le condamné en instance d’exécution ne compte déjà plus parmi les vivants. Il flotte dans un monde où la vie n’est qu’avenir et espérance, sauf en ces instants, ou explose l’espoir fou de la grâce royale : « Je veux bien des galères…mais grâce de la vie… Un forçat, cela marche encore, cela va et vient, cela voit le soleil… »

Grâce de la vie…Tout au long de la sienne, Hugo la demandera, aux rois, aux présidents, aux ministres. Lutteur infatigable, il se battra contre la peine de mort au Parlement comme dans les cours d’assises, par l’écrit comme par la parole. Dans la longue chaîne des combattants de l’abolition, il se dresse, appuyé sur son génie. Si son cheminement politique fut longtemps incertain, avant de découvrir la République et de s’y ancrer, s’agissant de la justice et de l’humanité, jamais Hugo n’hésita, ne recula ni ne fléchit. Guerre à la guillotine qui tue, au bagne qui détruit, à la prison qui corrompt. De l’adolescent qui découvre l’échafaud jusqu’au vieillard qui demande l’amnistie des communards, la ligne est droite. Le député qui, le 15 septembre 1848, déclarait à la tribune de l’Assemblée constituante : « Je vote l’abolition pure et simple de la peine de mort », ne faisait que poursuivre le combat de l’écrivain du « dernier jour du condamné ».

Certes, il faudra largement plus d’un siècle pour que s’accomplisse en France la prophétie d’Hugo. Mais sans lui, sans ce livre et tant d’autres écrits, l’exigence de l’abolition se serait-elle enracinée dans tant de sensibilités et de consciences ? Les batailles de l’humanité ne se gagnent en définitive que dans les esprits et les cœurs. À cette victoire-là, ce livre et son génial auteur ont, plus que tout autre, sans doute contribué. Et qu’en serait-il, aujourd’hui, en 2023, au moment où certains n’hésitent pas à réclamer le retour à la peine de mort ?

 

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