Mais à qui viendrait l’idée de vendre la tour Eiffel, l’Opéra Garnier ou le palais des Papes ?
Si l’idée nous semble si incongrue, c’est parce que
nous savons que ces lieux sont plus que de simples monuments ou édifices. Ils
sont notre héritage, une part de notre histoire ; ils sont l’incarnation
du génie français, de ses architectes, de ses ingénieurs, et des milliers
d’ouvriers qui leur ont donné vie. La propriété publique dont ils relèvent
scelle leur vocation patrimoniale et leur appartenance à chacune et
chacun ; elle combat intrinsèquement l’idée que l’argent du secteur privé
pourrait tout acheter, et donnerait à quiconque des droits exclusifs sur
l’héritage d’une nation tout entière.
Pourtant, à en croire le ministère de l’Économie et
des Finances, le Stade de France échapperait à cette identité commune. Deux
appels d’offres lancés par Bercy sont actuellement sur les rails ; l’un
pour continuer sur la voie d’une concession d’exploitation, comme c’est le cas
depuis 1995, et l’autre, en vue d’une cession avec charges – une vente, pour
faire simple.
S’il se murmure dans les couloirs du ministère que
cette seconde option n’a que très peu de chances d’aboutir, le simple fait
qu’elle soit sur la table doit nous alerter sur la volonté à peine masquée de
réaliser des économies sur ce haut lieu du sport français : celui qui
vit notre pays remporter sa première étoile lors de la Coupe du monde de
football masculin en 1998.
La perspective d’une cession est d’ailleurs de moins
en moins chimérique. Le Qatar, en guerre ouverte avec la Mairie de Paris pour
l’acquisition du Parc des Princes, pourrait bien tabler sur le Stade de France
pour assouvir ses appétits financiers ; et si Doha pense pouvoir y
arriver, c’est parce que le ministère de l’Économie lui tend la main pour le
faire.
Peut-être faut-il en déduire que, pour ceux qui nous
gouvernent, la culture populaire et sportive n’a pas sa place dans le
patrimoine national, car c’est bien de cela qu’il est question derrière la
cession du Stade de France. Ses murs, qui resteront à jamais imprégnés de
l’immense joie des supporters français au soir du 12 juillet 1998, n’ont
probablement pas suffisamment de légitimité aux yeux du gouvernement pour
demeurer propriété de la nation.
Si la symbolique – n’est-ce pas, après tout, ce qui
confère à un lieu son caractère sacré et exceptionnel ? – ne suffisait pas à saisir l’erreur d’une telle cession, l’enjeu d’une pratique
sportive et culturelle accessible à toutes et tous en Seine-Saint-Denis devrait
amplement suffire. En se séparant d’un tel élément de patrimoine, l’État
renoncerait à tout droit de regard sur la tarification et la programmation des
événements accueillis par le Stade de France. Peut-on réellement croire qu’un
investisseur privé ou extérieur, soit-il le Qatar ou un autre, se dispenserait
de faire gonfler les prix de la billetterie après avoir mis près de 1 milliard
d’euros sur la table ?
Il est temps de mettre un terme à ces privatisations
qui bradent notre patrimoine industriel, concèdent nos autoroutes et nos
aéroports, défigurent le nom des stades et salles de concerts pour en faire des
étendards publicitaires, comme Bercy ou le Vélodrome – devenus Accor Arena et
Orange Vélodrome.
À l’heure où la Coupe du monde de rugby 2023 et les
jeux Olympiques et Paralympiques 2024 approchent à grands pas, l’accès des
classes populaires au Stade de France est une question essentielle. Plutôt que
de brader le Stade de France aux intérêts privés, Bercy ferait mieux de
réfléchir à la valorisation de cet équipement sur le territoire
séquano-dyonisien, et à son ouverture au plus grand nombre. Les associations
sportives et les élus du département ne manquent pas d’idées et de
propositions ; encore faut-il qu’une porte de discussion leur soit
ouverte.
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