Rares
sont celles et ceux qui aiment le vent. Ou si peu ! Le vent du Nord, qui
coupe et mord la peau sans la moindre pitié. Il existe pour mieux nous faire
apprécier l’abri des maisons, pour nous donner cette impression de paix et de
sécurité dès que, la porte refermée, la chaleur des foyers nous réconforte. Certains l’affrontent sans
crainte, sachant que, passé la première morsure, il s’adoucira, ou du moins,
qu’ils s’habitueront à lui. C’est un vent sans parfum, clair comme une
banquise, qui parle de steppe, de toundra, de glace, de vastes espaces blancs.
Il a des yeux polaires, des mains comme des ciseaux, et il pousse les bêtes
sauvages à se rapprocher des humains. Il annonce les grands froids, le cœur de
l’hiver, le gel ou la neige. C’est un vent qui glace les os, qui porte au
frisson. Il ne faut en attendre aucune miséricorde. Il est têtu, implacable,
cruel. Il n’a pour lui que sa lumière : celle du monde d’où il vient, et
qui témoigne d’une pureté millénaire, d’un monde d’avant les hommes, d’où sa férocité.
Il se venge, il punit, puis il s’en retourne chez lui pour se ressourcer, se laver, oublier qu’il n’aurait jamais dû quitter la
banquise qui lui donne naissance. Le vent d’Est lui ressemble, mais il est
moins cruel. Il peut être aussi froid, mais parfois, pourtant, il charrie des
touffeurs venus du sud et qui remontent follement vers le nord avant de se
tourner vers l’occident : c’est un vent qui murmure des mélodies slaves,
qui se plaint, un vent de soupirs, d’âmes malades. Un vent qui ne dure pas,
sans véritable force, un vent capable de caprices et traîtrises. Ce n’est pas
le cas du vent d’Ouest, à qui l’on peut se fier : il apporte la pluie,
parle d’océan, d’immensités liquides, d’écume blanche, tout en provoquant des
changements de température. En hiver il casse le gel et la neige, fait rêver du
printemps, ramène une douceur perdue, oubliée, qui réchauffe le cœur et le
corps. Sa pluie n’est jamais froide, mais tiède le plus souvent, même pendant
les longs jours de soleil. Il transporte des odeurs de marée jusque dans
l’intérieur des terres, des parfums de ports atlantiques, évoque les voyages,
les tempêtes de Terre Neuve où sombraient les bateaux trop fragiles. Il est
force de courage, utile aux prés et aux jardins, généreux aux forêts et aux
rivières. C’est un vent plein d’espoir, qui vivifie. On n’aime guère le vent du
Sud, que l’on appelle le « vent des fous ». Et c’est vrai que ses
foucades chaudes, parfois chargées de sable du désert, portent à la tête quand
il souffle le jour et la nuit. Il est sans pitié, dangereux pour les forêts
qu’il embrase sans allumette. Capable de dévaster un champ en une nuit, il
inquiète et angoisse, ne sait quoi faire de sa force et court de-ci de-là sans
raison, pour le seul plaisir de nuire. Il sait qu’après lui viendront les
nuages, les orages, la foudre, et il s’en réjouit. Il faut lui pardonner :
c’est un jeune homme qui n’a pas su grandir. Il y a le vent de toujours. C’est
celui du premier souffle tiède, au mois de mai. Il parle du triomphe de la vie
sur la mort, de la renaissance de chaque printemps. Depuis toujours et pour
toujours, il nous souffle à l’oreille que nous sommes les enfants de la terre
et du monde. L’espoir de renaître, ailleurs peut-être, mais plus forts, plus
grands, pour un printemps, puis un été, l’automne enfin d’une autre vie.
samedi 2 avril 2022
Nouvelle : « Le vent »
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