C’est une
hécatombe silencieuse, une série de drames humains qui endeuillent les
campagnes, dans l’ombre des radars médiatiques. Les chiffres sont effroyables.
Selon la Mutuelle sociale agricole (MSA), le risque de suicide dans le monde
paysan est supérieur de 46 % à celui du reste de la population
active et de 77 % pour les seuls chefs d’exploitation. Le mal-être est
profond.
Il plonge ses
racines dans l’angoisse d’une profession en perte de repères, rongée par les
inégalités, les injonctions contradictoires, les impasses financières. Notre
modèle agricole est à bout de souffle, broyé par le productivisme et la
mondialisation déraisonnée. Favorisée par toutes les politiques publiques, de la loi Duplomb aux
directives Omnibus de l’Union européenne, la course au gigantisme a fait
fleurir des exploitations démesurées, en monoculture destinée à l’export,
voraces en traitements phytosanitaires qui tuent les sols et ceux qui les
cultivent.
En 2024, le Fonds d’indemnisation des victimes
des pesticides a vu les demandes exploser, parmi lesquelles les
travailleurs agricoles sont surreprésentés. Certes, renier les faibles avancées
environnementales sous pression de la FNSEA et consorts
permet à très court terme d’éteindre la colère des gros exploitants.
Mais, à plus
longue échéance, la stratégie est désastreuse, rendue plus aberrante encore
lorsqu’elle se double de l’élaboration de traités de libre-échange mortifères.
Aux antipodes des grands discours sur la souveraineté alimentaire, les
politiques agricoles à l’œuvre éloignent le monde paysan des impératifs de la
transition écologique.
Mais pas
seulement. Elles omettent surtout sciemment de répondre à la revendication cardinale
des agriculteurs : pouvoir vivre dignement de leur travail. La précarité
ronge les campagnes, sans que jamais les mesurettes promises dans les deux moutures de la loi Égalim n’aient porté
le moindre fruit. Et, lorsque le sentiment de déclassement nourrit une colère
légitime, l’extrême droite et ses relais syndicaux y voient un réservoir de
voix. L’instrumentalisation est grotesque, mais le risque est manifeste.

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