Voir les vaches
et les veaux euthanasiés chargés comme de vulgaires déchets par des
camions-grues installés au coin de l’étable est une indescriptible
tragédie pour les familles paysannes et leur entourage.
Entendre des
animaux souffrants appelant au secours à l’aube est un déchirement.
L’émotion, le
respect dû aux êtres doués de sensibilité n’auraient jamais dû quitter l’action
publique. Cela permettrait de mieux mesurer à quel point ce qui se passe dans
les campagnes avec la propagation de l’épidémie de Dermatose nodulaire
contagieuse est un terrible drame. Cette maladie extrêmement dangereuse et
contagieuse pour les animaux*, transmise par les piqûres de mouches appelées
stomoxes, ne se soigne pas. Déjouant les frontières, elle est passée par le
continent africain, où elle a décimé une grande partie du cheptel,
puis remontée vers les Balkans, avant de toucher l’Asie puis
d’apparaître en Sardaigne et en Lombardie au printemps 2025 avant de pénétrer
en France par la Savoie.
Un troupeau n’est pas un chiffre.
Comme tout
virus, le nationalisme lui est donc totalement étranger. Un virulent
virus qui condamne les animaux à de fortes fièvres, et à
l’apparition de nodules sur la peau et les muqueuses. Une partie des vaches en
meurent. Celles qui réussissent à survivre ont de telles séquelles et
souffrances que leur vie devient insupportable. Ces raisons ont conduit le
comité national d’orientation de la politique sanitaire animale et
végétale sur la base des travaux scientifiques et vétérinaires à mettre en
place le protocole actuel d’abattage ciblé donc à euthanasier des élevages
entiers dès lors un animal malade y est détecté.
Seulement, un
troupeau n’est pas un chiffre. Il n’est même pas une image. Il est une
création. Il est le résultat d’années, parfois de générations de travail, de
soins, d’attentions, de sélection, de complicités aussi dans une osmose
singulière entre le travail de l’éleveur et celui des vaches pour produire de
la valeur ajoutée et de la nourriture avec le lait et la multitude de produits
laitiers.
C’est dans cet
affect, dans ce travail commun entre l’être humain et l’animal
et l‘ampleur des pertes de lignée et de production future, qu’il faut
comprendre et mesurer l’irrépressible détresse paysanne qui se
manifeste.
De telles
épizooties réduisent à néant des vies de labeur et de soins, ouvrant le sombre
tunnel du découragement et de l’angoisse. Du désespoir souvent.
Car la maladie
ne se présente pas seule aux portes des difficultés et des souffrances. La
dermatose comme les autres maladies qui apparaissent ces dernières années
viennent encombrer le carrefour déjà embouteillé par un entremêlement
d’enjeux locaux et internationaux : pression à la baisse sur les prix à la
production alors que les coûts de production augmentent sans cesse ;
concurrence déloyale organisée au sein de l’espace européen, traité de
libre-échange qui écrasent notre production ovine, accélération du
démantèlement de la production bovine et laitière avec le traité Mercosur,
modifications climatiques, insécurité sanitaire, insertion toujours plus grande
de la production agricole et alimentaire dans le vaste marché capitaliste
mondial ou quelques grandes multinationales de l’agro-industrie et les marchés
boursiers font la loi.
Ce désarroi ne
peut se traiter à coups de gaz lacrymogène contre des rassemblements de
paysans choqués et en larmes refusant l’abattage systématique de leurs
troupeaux. Il ne se traite pas non plus à coups de petites phrases
ministérielles aussi sèches et dépourvues de la moindre empathie envers les
travailleurs de la terre asphyxiés par dans un système
économique qui marchandise tout en n’ayant que faire de la vie paysanne et de
tout le vivant.
Heureusement
que ces travailleurs-paysans se rassemblent pour se faire entendre, pour
partager leur tristesse, mais surtout pour combattre de fatales dépressions et
semer des graines d’avenir. Le lien sur les barrages est l’ennemi du
désespoir.
Les autorités ont refusé la vaccination
générale à la seule fin de respecter le fameux « marché ouvert où
la concurrence est libre »
C’est sur ces
barrages paysans qu’il faut être pour s’informer, discuter, soutenir, et
projeter avec les intéressés un nouveau modèle de production agricole et
alimentaire ne niant rien de la science et de la médecine
vétérinaire pour progresser vers la sécurité sanitaire humaine,
animale et végétale. Un tel modèle est incompatible avec une orientation
agricole tournant le dos à la reconquête de la souveraineté alimentaire et
agricole au profit d’une agriculture d’exportation, une agriculture
« compétitive » « ce pétrole vert » comme on le dit sous
les lambris des bureaux ministériels et dans les bunkers de la commission
européenne.
C’est cette
stratégie qui interdit depuis des mois de vacciner préventivement les
15 millions de bovins de notre pays. La vaccination empêcherait
l’exportation. Or, nous n’exportons que 16 % de la production française.
Autant dire que les autorités ont refusé la vaccination générale à
la seule fin de respecter le fameux « marché ouvert où la concurrence
est libre ». C’est ubuesque ! On peut concevoir les
inconvénients d’une interdiction d’exporter des animaux durant plusieurs
mois. Cependant, abattre une partie du cheptel à cause de la maladie interdira
de toute façon tout commerce car le cheptel national se réduira. D’autre part,
ne serait-il pas utile de procéder à des études permettant des accords
bilatéraux notamment avec l’Italie et l’Espagne pays récepteurs de nos exportations,
afin de se mettre d’accord sur la santé des animaux et surtout sur les
vaccinations massives et préventives dans nos pays ? En effet les
traitements partiels en cours, n’immunisent pas contre un risque de
réapparition de la maladie compte tenu du réchauffement climatique favorable à
la multiplication des mouches vectrices de l’épidémie.
L’Union Européenne devrait se doter d’une banque
publique de vaccins
Ce n’est donc
pas de coupes budgétaires dont a besoin notre pays, mais de colossaux
investissements pour des moyens de contrôle et d’anticipation de la
circulation de virus mortels, dans la recherche sur de
possibles nouvelles épizooties et pour les
traitements préventifs des maladies animales et végétales ainsi que leurs
implications sur la santé humaine. Les agences de sécurité sanitaire ont besoin
d’être dotées de nouveaux moyens face aux risques qui grandissent. L’État doit
investir urgemment pour construire un service public de santé animale à partir
des centres de recherche existant qu’il conviendrait de renforcer et
la mise en place de services publics vétérinaires régionaux
chargés des détections, préventions et traitements lorsque cela
s’avère nécessaire.
Ajoutons que
nous n’avons pour l’instant aucune confirmation que nos pays disposent d’un nombre
de vaccins suffisants pour traiter tout le cheptel. Il est utile de
préciser à ce propos que l’Afrique du Sud, si méprisée par les pays du Nord
lorsqu’elle avait pris la tête des pays dit du « Sud global »,
militant pour une production suffisante et accessible de vaccins contre
le Covid 19, est le pays qui aujourd’hui fournit le vaccin très efficace
contre la dermatose nodulaire contagieuse (DNC)*. L’Union
Européenne devrait se doter d’une banque publique de vaccins.
Ce contexte
renforce encore la nécessité de ne pas signer le traité Mercosur. Ni
aujourd’hui, ni demain. Il appelle aussi à maintenir les crédits de la
politique agricole commune (PAC) tout en les réorientant vers le travail et
l’agro écologie, ainsi que les financements européens de développement
régional. Ces deux postes d’investissement européen sont aujourd’hui menacés au
profit de la stratégie militariste européenne.
La prise en
considération des multiples fonctions du travail paysan doit conduire à agir
pour le sortir des entraves de son insertion dans le marché capitaliste
mondialisé.
Elle oblige à
entendre le désarroi, la détresse et les appels au secours. On ne peut
accepter sans frémir de compter un suicide de paysan chaque jour qui
passe. De nouveaux moyens d’accompagnement, de détection et de soins des
dépressions, des crises d’angoisse et des troubles liés à l’anxiété
doivent être construits en coopération avec les associations d’aides aux
paysans et la mutualité sociale agricole. Un moyen de réduire la pression
serait d’engager un vaste plan de désendettement des
exploitations agricoles par des
renégociations d’emprunts et des annulations de dettes. Il est temps
de diriger nos regards vers les institutions bancaires et financières qui se
repaissent du travail paysan.
Nous parlons ici
de vies croisées humaines et animales. Nous voudrions tracer dans les
campagnes des sillons d’espoir, sans Mercosur, ni Dermatose ; sans
mépris, ni surexploitation des paysans-travailleurs qui, en lien avec les
scientifiques, portent une grande part de l’avenir du vivant.
* la dermatose nodulaire contagieuse (DNC) ne présente aucun risque pour
les êtres humains. La loi santé animale qui encadre l’action sanitaire des
éleveurs européens votés en 2021 la classe en catégorie A, soit
comme une maladie à « éradication immédiate ».
**Vaccin produit par le laboratoire
Sud-Africain Onderstepoort Biological Products (OBP).

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