Auster « L’histoire
n’est pas dans les mots, elle est dans la lutte », écrivait Paul Auster dans la Chambre dérobée, le troisième tome de sa Trilogie new-yorkaise (Actes Sud, 1986). Une pirouette
valant mieux que de longs discours, la mort du grand écrivain américain est
venue bousculer, un 1er mai, l’ordonnancement d’une chronique
consacrée aux libertés publiques en France.
Quoi de mieux que des citations pour s’en sortir et se souvenir que
l’auteur de Brooklyn fut, au croisement des années 1980-1990, bien plus qu’une
source d’inspiration universelle, mais d’abord et avant tout un immense passeur
de Lettres et un transmetteur hors norme d’incroyables structures narratives en
tant que genre intellectuel. Selon lui, « rien n’est dépourvu de sens, tout en ce monde
est relié au reste », affirmait-il dans Léviathan (Actes Sud, 1993).
De quoi reprendre une bonne respiration revigorante, à l’heure où, dans
notre pays, certains débats essentiels se règlent par des convocations
policières – symbole des dérives du pouvoir ordo libéral de Mac Macron II. Que
pensait Paul Auster des mouvements dans les universités
américaines, et de cet
élan de solidarité en faveur des habitants de Gaza, massacrés sous les bombes
israéliennes ? Savait-il, lui, le francophone, que, dans la patrie de
Jaurès et d’Hugo, on poursuit judiciairement des militants syndicaux comme
Jean-Paul Delescaut, on harcèle une femme comme Rima Hassan, on interdit des
réunions publiques, on accuse des élus comme la présidente d’un groupe
parlementaire, l’insoumise Mathilde Panot, d’« apologie du
terrorisme », pour avoir revendiqué la « cause »
palestinienne ?
Poursuites « Un
mensonge ne peut jamais être effacé. Même la vérité n’y suffit
pas », écrivait
aussi Paul Auster dans Cité
de verre, le premier volet de sa Trilogie new-yorkaise (Actes Sud, 1985). L’ancien
étudiant à l’université Columbia (en littérature française, italienne et
anglaise), traducteur de nombreux auteurs français, défenseur d’une
certaine Amérique progressiste, n’aurait sans doute pas aimé savoir que la
calomnie à la française, portée par les soutiens inconditionnels du
gouvernement d’extrême droite israélien, devient une arme de disqualification
massive, voire le motif à des poursuites judiciaires.
De même aurait-il été stupéfait d’apprendre, lui, le juif héritier d’une famille
venue d’Europe centrale, que dénoncer le nettoyage ethnique et le risque
plausible de génocide dans la bande de Gaza (dixit la Cour internationale de
justice) pouvait
être assimilé à un soutien au Hamas ou à une preuve
d’« antisémitisme »… Le bloc-noteur-éditorialiste et de nombreux
journalistes de l’Humanité ont souvent subi l’immonde anathème. Cette
qualification, en contradiction avec les combats personnels et collectifs de la
plupart de ceux qui en sont accusés, se veut infâme et déshonorante. Critiquer
l’extrémisme des pouvoirs israéliens qui violent depuis des décennies tous les
chapitres du droit international serait donc systématiquement de
l’antisémitisme ? Cette idée, hors de toute raison, est devenue un lieu
commun, relayé désormais par tous les échelons du pouvoir macroniste. À ce
propos : honnir le Hamas fait-il de nous des xénophobes anti-Arabes ?
Honte à celles et ceux qui profèrent semblable propagande.
Principes « Chacun
est seul et nous n’avons donc nul recours qu’en notre prochain », rappelait Paul Auster, toujours
dans Léviathan, comme une mise en abyme pessimiste des
dérives américaines. Et il ajoutait dans Moon Palace (Actes Sud, 1990) : « Si on n’est pas prêt à tout, on n’est prêt à
rien. » Par un
esprit d’escalier labyrinthique, une question surgit dès lors : où va la
démocratie française ?
Après de multiples atteintes portées aux libertés d’association et de
manifestation, après le vote de lois dont le RN s’enthousiasme d’en inspirer la
philosophie, fallait-il attenter à celle des libertés fondamentales qui est le
fondement même d’une société démocratique, alors que la critique de la
politique d’un État, y compris celle de la France (qui paraît avoir oublié les
principes qu’elle a historiquement défendus), est un droit fondamental reconnu
aux citoyens dans un système démocratique ? Dans la Chambre dérobée, Paul Auster suggérait : « Le ciel à Paris a ses propres
lois qui opèrent indépendamment de la ville en dessous. »
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