Un grand chelem. En à peine un mois, la nouvelle ministre de l’Éducation a
non seulement réussi à faire descendre dans la rue les enseignants, mais aussi
mis au jour la réalité de la ségrégation scolaire, les dérives
inquiétantes de certains établissements privés catholiques, et même suscité la
démission du recteur de Paris… Conspuée par la gauche, Amélie Oudéa-Castéra
irrite aussi la droite, qui aurait préféré qu’on ne mette pas le nez dans une
école privée hors de contrôle. Tout comme le directeur de la fameuse école
Stanislas, qui se serait bien passé de cette mauvaise publicité sur les
contenus séparatistes de son enseignement : propos anti-IVG, sexisme et
autres discours homophobes abjects.
En recreusant les tranchées de la « guerre scolaire », la ministre
a réactivé un débat ancien, trop vite enterré en 1984, avec la fameuse loi
Savary. Sous la pression de la droite conservatrice, François Mitterrand,
président depuis trois ans, avait fini par renoncer au grand « service
public unifié laïque de l’éducation nationale » (Spulen). Le 24 juin,
2 millions de personnes avaient manifesté à Paris pour défendre la bien
mal nommée école « libre » (privée catholique), dont Michel Sardou,
dans une chanson écrite pour l’occasion, en avait finalement soulevé la substantifique
moelle : « Je veux que mes enfants s’instruisent à mon école. S’ils
ressemblent à quelqu’un, autant que ce soit moi. » On ne saurait être plus
clair.
Quarante ans plus tard, le débat ne se pose plus dans les mêmes termes.
Dans les années 1980, la querelle se concentrait entre cléricaux et
anticléricaux. Près d’un demi-siècle plus tard, la motivation du
privé n’est plus tant fondée sur la religion que sur le prétendu
« niveau », et sert surtout à perpétuer une ségrégation sociale.
C’est qu’entre-temps l’école, comme nombre de services publics, s’est affaissée
sous les coups du néolibéralisme : 15 millions d’heures de cours non
remplacées chaque année, 3 000 postes vacants aux concours,
10 000 supprimés… Sans compter la dévalorisation du métier d’enseignant,
deux fois moins payé qu’en Allemagne.
Depuis 2022, il existe un indice de positionnement social (IPS) qui,
aberrant, ne prend pas en compte le patrimoine, censé permettre, selon le
ministère, d’« appréhender le statut social des élèves à partir des
professions de leurs parents ». En juillet de la même année, une note
publiée par le ministère de l’Éducation nationale établissait que 40 % des
élèves scolarisés dans un collège privé sous contrat étaient issus d’un milieu
social « très favorisé », contre 20 % dans le public. Et
l’écart a doublé en trente ans. Les boursiers ne représentent
que 11,8 % des effectifs du privé, contre 29,1 % dans le public.
Le pouvoir macroniste, qui vante pourtant la « méritocratie » des
trémolos dans la voix et pourfend le « séparatisme », ne semble pas
trop dérangé par la situation. Comme il ne saisit pas le problème de nommer une
ministre, incarnation d’une caste de privilégiés, qui scolarise ses enfants
dans le temple de l’entre-soi, lequel s’affranchit allégrement des lois
républicaines. Ces établissements sont pourtant financés par les impôts… Selon
la Cour des comptes, la modique somme de 13 milliards d’euros leur est
versée chaque année sans aucun contrôle sérieux, soit plus que le budget de la
justice… quand l’éducation nationale souffre aussi cruellement de moyens pour
assurer ses missions. L’école républicaine a beau figurer en tête des
priorités affichées par le président, son projet en est le fossoyeur. Et il
faudra plus que le retour de l’uniforme pour refaire de l’école « le
berceau de la République ». « Laïcité de l’enseignement, progrès
social : ce sont deux formules indivisibles, écrivait Jaurès. Nous
lutterons pour les deux. »
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