Silencieux
sur les drames au Proche-Orient le Rassemblement national poursuit sa stratégie. « On a tout essayé, alors pourquoi pas
le RN ? » Cet argument est souvent relayé. Comme si, les idées de
l’extrême droite étaient frappées du sceau de la banalité. Plus de quarante ans
après sa première percée électorale, le parti d’extrême droite cofondé par
Jean-Marie Le Pen ne saurait prétendre à une quelconque virginité.
L’essayer c’est se fourvoyer. Dans les
quelques villes qu’il dirige, c’est un endettement record, la bétonnisation, le
favoritisme, une chasse aux « pauvres » permanente. Le bilan du RN au
parlement européen, où siège Bardella est éclairant. Ses 18 députés révèlent
leur véritable nature. Pas une voix pour les textes visant à étendre les droits
sociaux, l’égalité femme-homme ou la protection de l’environnement. Sur
l’immigration, leur sujet de prédilection, les lepénistes de Bruxelles n’ont
pas changé leur idéologie raciste et souverainiste. Les vérités de Bruxelles
déconstruisent nettement la stratégie de « banalisation » imposée,
depuis une dizaine d’années, par Marine Le Pen à ses troupes. À la
transgression du père, la fille a substitué la dissimulation. Pour s’emparer
d’un pouvoir qui s’est toujours dérobé, elle avance masquée. Et se glisse dans
l’uniforme républicain en poliçant son discours et en occultant sa violence
xénophobe. Cette habilité de faussaire s’est exprimée à l’occasion de l’attaque
contre Israël : En prenant la défense de l’État hébreu et des juifs, la présidente
du parti d’extrême droite a tenté d’effacer les pires saillies antisémites de
son paternel. Un brevet de républicanisme ? À Gaza comme à Paris, sa
doctrine implicite reste celle du prétendu choc des civilisations entre
l’occident judéo-chrétien et l’islam. Si nous en sommes là c’est aussi parce
que la droite, affranchit l’extrême droite par la surenchère de son discours
sécuritaire et anti-migrants. Marine Le Pen et les siens n’ont même plus besoin
de prendre la parole. Éric Ciotti, Olivier Marleix ou Bruno Retailleau
vocifèrent à leur place. Aux élections législatives, dans bien des cas la
macronie a préféré le vote du RN plutôt que celui en faveur du PCF, du PS, de
la FI et de EELV. L’entrée si longtemps différée de 88 députés a permis au RN
de s’institutionnaliser. Alors comment s’opposer à une éventuelle ultime
conquête ? Le ministre de l’Intérieur multiplie les saillies et les
sorties censées répondre aux angoisses identitaires. Peine
perdue : on préférera toujours l’original à la copie. Du côté de Matignon
et de l’Élysée, on se rassure en pensant que « Les Français verront, en
2027, toute l’incohérence de la politique économique et sociale du RN ». De
récents sondages ont estimé que l’attitude irresponsable de la France Insoumise
inspirait, dans l’opinion, une plus grande peur que le clan Le Pen. Si
l’attitude et les sorties de la France Insoumise doivent être critiquées, de
grâce ne nous trompons pas d’ennemis.
L’extrême
droite plonge son histoire dans celle du fascisme européen mais elle a aussi
hérité d’un national-populisme hexagonal, du boulangisme au poujadisme en passant
par le mouvement antisémite contre Dreyfus et le pétainisme. Alors, faut-il
diaboliser le RN et tendre autour de lui un cordon sanitaire pour l’enfermer et
le discréditer dans son héritage ?
Ou faut-il, pour mieux le combattre, tenir compte des formes nouvelles que
prennent les discours et les actes politiques du parti lepéniste ?
L’expérience
le montre, diaboliser n’a pas suffi pour faire reculer ses idées. C’est même
l’inverse qui s’est produit avec le succès de ce que les médias ont
appelé « la dédiabolisation ». Comment donc se faire
comprendre des millions de français∙e∙s qui n’hésitent plus à mettre dans les
urnes un bulletin de vote RN ? Les idées lepénistes sont entendues
par eux parce qu’elles
font écho à leurs conditions
sociales dégradées mais aussi parce
qu’elles leur suggèrent une vision sociétale et des solutions concrètes. Elles
sont certes simplistes et dangereuses à nos yeux, mais c’est précisément parce
qu’elles le sont qu’elles parlent à des catégories sociales apeurées par
l’ampleur et la durée de la crise et surtout troublées par l’absence d’une
perspective alternative clairement lisible à gauche.
Marine
Le Pen revisite des thèmes qui parlent à l’imaginaire collectif de notre peuple :
ainsi du détournement
des idées républicaines et laïques
contre l’islam et les musulmans avec un discours raciste désormais plus
identitaire que biologique ; ainsi du lien établi entre le social,
le sécuritaire et l’instrumentalisation
fantasmatique de l’immigration
pour masquer les vraies causes de la précarité ;
ainsi de son discours antimondialiste et anti-européaniste dont elle se
garde bien d’en
faire un discours anticapitaliste.
Ce
sont ces idées qu’il nous faut déconstruire en montrant qu’elles ne peuvent
être l’outil pour comprendre les causes de la crise du système et qu’elles ne
peuvent en aucun cas ouvrir une issue à celle-ci. Cela relève d’un combat
politique et idéologique qu’il nous faut mener autour des enjeux d’aujourd’hui
et non d’hier. Il est donc indispensable de s’atteler à définir et à nommer
cette extrême droite du XXIe siècle pour mieux comprendre les raisons de
son implantation et de son influence. Mais ne nous y trompons pas, l’électorat
RN n’est pas composé de « fâchés pas fachos » et il ne suffira
pas de faire reculer la pauvreté pour en finir avec lui. L’extrême droite
constitue désormais une option politique permettant le maintien de la
domination des forces de la conservation sociale à l’aide d’un capitalisme
nationaliste et antidémocratique. C’est donc à une crise du sens même de la
civilisation humaine qu’il faut attribuer son émergence et son installation
durable.
Il
faut nommer cette force politique pour ce qu’elle est :
l’extrême droite. Ce n’est pas un hasard si c’est le mot que le RN récuse avec force. Une
extrême droite nationale-populiste,
autoritaire, raciste et xénophobe, sexiste et homophobe, néolibérale sur le
plan économique et écologique, néoconservatrice sur le plan des valeurs.
Seule
une telle démarche peut permettre de faire reculer ses idées sur tous les
terrains où s’exerce son influence. C’est aussi le meilleur moyen de construire
d’une manière citoyenne une société alternative faite de solidarité et
d’émancipation, de liberté et d’égalité, de fraternité et de sororité. Face à
la vision lepéniste de la République, il faut opposer le projet d’une
République sociale et écologique, laïque et citoyenne, pacifique et ouverte sur
le monde.
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