mardi 12 septembre 2023

« Maroc : tragique paralysie », l’éditorial de Rosa Moussaoui dans l’Humanité.



Voilà bientôt vingt ans, alors qu’un terrible tremblement de terre venait d’endeuiller le Rif, au nord du Maroc, ces montagnes étaient le théâtre de scènes aussi cruelles qu’absurdes : des convois d’aide immobilisés, sous les yeux de sinistrés aux abois. Aucun mouvement n’était permis avant l’arrivée de Sa Majesté le roi Mohammed VI, dont la compassion mise en scène pour les caméras ne devait être précédée d’aucun geste de solidarité. C’était à lui, et à lui seul, de distribuer la première couverture, comme il aurait posé la première pierre d’un édifice. Même les véhicules de secours étaient interdits de circulation, dans l’attente du passage du cortège royal. Le premier ministre, Driss Jettou, avait été cloué au pilori pour son empressement : alors qu’il s’apprêtait à rejoindre les zones meurtries, il a été prié de faire demi-tour.

Du Rif au pied du mont Toubkal, dans le Haut Atlas, la même tragique paralysie laisse aujourd’hui s’éteindre bien des vies. Rentré de sa villégiature française, le roi se tait ; ses ministres l’imitent. Tout est suspendu aux décisions et à la volonté du Palais, qui a balayé d’un revers de main des offres d’assistance étrangère, au nom d’obscures intrigues politico-diplomatiques. Des équipes de secours spécialisées sont restées bloquées dans les aéroports, alors que les premières heures sont cruciales pour espérer sortir des survivants des décombres. Quarante-huit heures après le séisme, dans des dizaines de villages enclavés, les rescapés restent sans aide médicale, sans eau, sans électricité, sans abri, au milieu des ruines et des morts.

L’abîme est frappant entre, d’un côté, le silence royal et la catalepsie d’un État centralisé, autoritaire et, de l’autre, l’extraordinaire élan d’entraide du peuple marocain. Les zones frappées par le séisme abritent les populations les plus pauvres, les plus marginalisées du pays. Celles qui souffrent déjà, en temps normal, du dénuement, de l’enclavement, du manque d’infrastructures de santé. Dans l’arrière-monde du « Maroc utile » hérité de la colonisation, le désarroi, le sentiment d’abandon sont plus vifs que jamais. Après le cataclysme, une solidarité au long cours avec ces rescapés s’impose. Elle ne devrait connaître aucune frontière.

 

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