jeudi 1 juin 2023

« Ouvrir les yeux », l‘éditorial de Laurent Mouloud dans l’Humanité.



Allison Glorieux. S’il fallait chercher des symboles, le nom de l’une des représentantes syndicales CGT de Vertbaudet a ce petit quelque chose de prédestiné. Comme un clin d’œil illustrant le courage impressionnant de ces dizaines d’ouvrières qui, depuis le 20 mars, mènent une grève exemplaire dans l’entrepôt de Marquette-lez-Lille (Nord) afin d’obtenir 150 euros net d’augmentation par mois. Jusqu’ici, la plupart d’entre elles n’avaient jamais osé cesser le travail. Mais étranglées par l’inflation, méprisées par une direction qui les gifle d’un «+ 0%», elles ont «ouvert les yeux», comme elles disent. Les voilà devenues l’emblème de la lutte contre les bas salaires. Et, au-delà, de ces millions de femmes précaires refusant un destin tout tracé de smicardes à vie.

Le combat des Vertbaudet, c’est la révolte de toutes les invisibles. Il faut lire leur récit. À l’usine dès 4h45, toujours debout pour tester, emballer, déplacer poussettes et autres gigoteuses commandées en ligne. Le corps vite usé. Et, malgré tous les efforts, des fins de mois dans le rouge. Pendant le confinement, ces travailleuses de «deuxième ligne» étaient portées aux nues par Emmanuel Macron, qui les a vite oubliées, et ne pipe mot depuis. Leur lutte relève aujourdhui de la justice sociale la plus élémentaire. Mais aussi de la simple dignité humaine.

À l’image des femmes de chambre de l’hôtel Ibis, les révoltées de Vertbaudet sont un caillou dans les rouages de l’exploitation. Depuis la reprise en 2021 de l’enseigne de puériculture par le fonds Equistone Partners Europe, dirigé par Édouard Fillon – le fils de l’ancien premier ministre –, l’ambiance s’est durcie, la pression ­accentuée. Les nouveaux actionnaires, logique financière en bandoulière, pensaient marcher sur ces travailleuses, imposer, fût-ce à la force des matraques, leurs primes en guise de récompense. Tout faux. Confrontée à la solidarité des ­grévistes et leur exigence résolue de vivre décemment de leur travail, la direction, longtemps inflexible, se voit désormais contrainte d’ouvrir des négociations salariales. Un début de reconnaissance pour les Vertbaudet. Qui pourrait bien «ouvrir les yeux» à beaucoup d’autres. 

 

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