mardi 16 mai 2023

« La Turquie sans sa jeunesse, l’éditorial de Stéphane Sahuc dans l’humanité.



Bekir Bozdag, le ministre de la Justice d’Erdogan, a eu cette formule avant le premier tour de scrutin: «Le 15 mai, les Turcs boiront le champagne ou se prosterneront sur le tapis de prière.» Si une partie du peuple turc s’est en effet réveillée le 15 mai avec la gueule de bois, ce n’est pas en raison d’un abus d’alcool mais d’une mauvaise nouvelle. Alors que les sondages annonçaient une possible victoire dès le premier tour de Kemal Kiliçdaroglu, à la tête d’une large coalition d’opposition, le président sortant, Erdogan, est finalement arrivé en tête. Certes, pour la première fois, un second tour aura lieu. Mais pour les progressistes turcs, le coup est rude.

Même si nombre d’observateurs étrangers et de Turcs pointent de nombreuses irrégularités et zones d’ombre, notamment dans les territoires les plus touchés par le récent séisme, le scrutin confirme l’existence de deux Turquie. La carte des votes est particulièrement éloquente. Les régions côtières égéennes et méditerranéennes, les grandes villes de l’Ouest ainsi que l’Est se sont majoritairement prononcées pour le parti de Kiliçdaroglu. Mais le centre du pays, l’Anatolie et les régions en bordure de la mer Noire ont choisi l’AKP d’Erdogan.

Les raisons sociologiques, économiques et culturelles de cette division du pays sont connues. L’électorat du Sultan d’Ankara est plus rural, plus traditionaliste. Dans certaines régions, l’AKP a mis en place un système de subventions massives, qui permet à des millions de foyers de subsister. À cela s’ajoute le facteur religieux, le pouvoir disposant d’un atout majeur avec Diyanet, qui contrôle l’ensemble des mosquées.

Clientélisme, religion et l’épouvantail de la menace kurde seront ­encore les trois piliers de la campagne du camp de l’autocrate. Les Kurdes risquent une nouvelle fois d’être les grands perdants de la ­séquence. Mais c’est la Turquie dans son ensemble qui va payer très cher une éventuelle victoire d’Erdogan. Une partie importante de la jeunesse, la mieux formée et la plus productive, lassée par vingt ans de règne absolu, pourrait d’ailleurs quitter ce pays dans ­lequel elle étouffe.

 

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