jeudi 28 octobre 2021

« Les constructeurs », l’œuvre aboutie de Fernand Léger !

 


Le retour en France de Fernand Léger marque à la fois la présence désormais acquise de l’homme dans ses tableaux et le retour définitif du sujet. Pour l’homme, Léger s’en explique : « Dans mes dernières toiles, où prennent place des figures liées à des sujets, peut-être trouverez-vous que la figure humaine aurait tendance à devenir l’objet majeur. L’avenir dira si cela est meilleur plastiquement ou si c’est une erreur. En tout cas le dispositif actuel est toujours dominé par des valeurs contrastées qui doivent justifier cette évolution. » Quant au sujet, Léger prend bien garde de souligner : « Il faut s’entendre sur le mot « sujet ». Je ne peins pas des sujets, mais des contrastes. Je fais de la peinture, pas de littérature descriptive. »

Le « contraste » le plus célèbre, mais aussi le plus « mal-aimé » de l’après-guerre – à l’image de son auteur d’ailleurs – est celui des « Constructeurs ». Léger, rêvant toujours de prendre ses travaux dd travailleur pour des travailleurs, a cru trouver là une bonne occasion d’établir le dialogue tout en élevant un monument à sa façon à ses chers camarades. L’idée lui en est venue en allant à Chevreuse. « Il y avait près de la route, trois pylônes de lignes à haute tension en construction. Perchés dessus, les hommes y travaillaient. J’ai été frappé par le contraste entre ces hommes, l’architecture métallique, les nuages du ciel. Ces hommes tout petits, comme perdus dans un ensemble rigide, dur, hostile. C’est cela que j’ai voulu rendre sans concession. J’ai évalué à leur valeur exacte le fait humain, le ciel, les nuages, le métal. Si les figures de mes ouvriers sont plus variées ; si je m’approche davantage d’une individualisation des personnages, c’est que le contraste violent entre eux et la géométrie métallique dans laquelle ils sont situés est au maximum. Les sujets modernes, sociaux ou autres, seront valables autant que cette loi des contrastes sera respectée. Notre vie moderne est faite de contrastes journaliers. Ils doivent entrer dans nos préoccupations actuelles. »

Fernand Léger n’en démord pas, si ces « Constructeurs » sont proches de l’humain, c’est pour accentuer le contraste avec le monde mécanique. Mais ce qui a changé, depuis l’époque « des éléments mécaniques », qui subordonnaient l’homme-robot à la machine, c’est que Léger, dans son approche nouvelle du monde, a en quelque sorte, libéré l’homme des contraintes de la technique. Ces petits bonhommes n’occupent pas plus de place, certes,  dans les tableaux de la série des « Constructeurs » que les échafaudages, mais ils s’y promènent désormais librement.

Cela suffit-il à séduire le peuple ? Pour s’en rendre compte Léger accroche un jour ses « Constructeurs » dans la cantine des usines Renault : « À midi, les gars sont arrivés. En mangeant, ils regardaient les toiles. Il y en avait qui ricanaient : « Regarde-les, mais ils ne pourraient pas travailler ces bonhommes avec des mains comme ça. » En somme, ils faisaient un jugement par comparaison. Mes toiles leur semblaient drôles, ils ne comprenaient rien. Moi, je les écoutais et j’avalais tristement ma soupe. Huit jours plus tard je suis retourné manger à la cantine.

L’atmosphère avait changé. Les gars ne riaient plus, ils ne s’occupaient plus des tableaux. Pourtant pas mal d’entre eux, tout en mangeant, levaient les yeux, regardaient un instant mes toiles, puis se plongeaient à nouveau dans l’assiette. Qui sait, les toiles les intriguaient-ils ? Et quand j’étais pour partir, voilà un gars qui me dit : « Vous êtes le peintre n’est-ce pas ? Vous allez voir, ils vont s’apercevoir mes copains, quand on aura enlevé vos toiles, quand ils auront le mur tout nu devant, ils vont s’apercevoir ce que c’est vos couleurs… » Ça fait plaisir, çà ! Et puis… »

 

« Quand nous parlons nous entendons

La vérité des charpentiers

Des maçons des couvreurs des sages

Ils ont porté le monde au-dessus de la terre

Au-dessus des prisons des tombeaux des cavernes

Contre toute fatigue ils jurent de durer »

Paul Éluard : Les Constructeurs.

À Fernand Léger

 

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