samedi 20 décembre 2025

« Abolitionniste(s) », le bloc-notes de Jean-Emmanuel Ducoin.



Violence : En 2013, à la suite d’une sordide pétition publiée dans Causeur, la revue ultra-réac d’Élisabeth Lévy, réclamant la « libéralisation » de la prostitution, le bloc-noteur écrivait : « Puisqu’elle génère en tant que telle un système porteur d’une double violence, sociale et sexuelle, la prostitution sera abolie, tôt ou tard. » Les signataires avaient alors intitulé leur texte « Manifeste des 343 salauds ».

À l’époque, nous nous étions dit : en effet, comment mieux nommer ces gens-là, d’autant que la référence aux grandes luttes féministes (l’avortement) participait de la supercherie, sinon de l’ignominie ? En 2025, on pensait avoir tout vu, tout entendu, mais non. Voyez-vous que, douze ans plus tard, le Rassemblement national propose donc de rouvrir les maisons closes.

En entendant le député RN, Jean-Philippe Tanguy, annoncer qu’il préparait une proposition de loi afin de réautoriser les maisons closes, interdites en France depuis 1946, nous avons presque cru à une mauvaise plaisanterie. L’affaire s’avère hélas sérieuse, puisque l’homme a reçu l’aval de toute la hiérarchie du parti d’extrême droite, à commencer par Bardella-le-voilà. Selon ce dernier, il s’agirait d’un « sujet de sécurité »…

Malheur : Beaucoup d’idées sentent la naphtaline idéologique à plein nez – et encore, l’odeur de naphtaline, la vraie, à condition d’en trouver encore, révèle de jolis souvenirs olfactifs d’antan. Là, rien à voir. La proposition du RN de rouvrir ces maisons de « tolérance » (expression inappropriée) appartient à une catégorie qui pue : un recyclage de fantasmes d’ordre moral, emballé dans un discours prétendument pragmatique, mais réactionnaire.

Rien d’étonnant, en ce moment inouï d’involution et du retour des concepts fascisants, telle une sorte de préfiguration de ce qui pourrait nous attendre en cas de malheur, ici même en France. Il y a des combats que nous croyons gagnés, d’autres que nous imaginions sur la bonne voie. Jamais en vérité.

Sous couvert de « réalisme », le RN exhume un monde où le corps des femmes – majoritairement de femmes – serait administré, réglementé, assigné à résidence sexuelle, comme on gérait jadis les mines ou les manufactures. Une vision qui ne choque pas ceux qui rêvent d’un pays discipliné, hiérarchisé, où chacun resterait à sa place. Les dominants debout, les dominées couchées.

L’extrême droite et les « maisons closes »…

Inhumanités : Ne nous y trompons pas. Les maisons closes ne sont pas un symbole de liberté, mais de contrôle. Elles furent fermées en 1946 non par pudibonderie, mais parce qu’elles incarnaient un système institutionnalisé où la misère sociale alimentait un marché du corps, au bénéfice quasi exclusif des hommes et des proxénètes. Les rouvrir, ce serait ignorer ce que des décennies de luttes féministes ont mis en lumière : la prostitution n’est pas un « choix » abstrait, quand il est dicté par la précarité, les violences, l’exil ou l’absence d’alternatives.

Le RN, qui se découvre soudain une passion pour la « sécurité des personnes prostituées », oublie opportunément de parler des causes : pauvreté, inégalités, marchandisation généralisée des corps. Aucune amnésie dans cette position, pour un parti qui combat toute politique sociale ambitieuse. En réalité, cette proposition nous éclaire (était-ce nécessaire ?) sur le regard porté par l’extrême droite sur la société.

Elle révèle une nostalgie d’un ordre ancien, viril et vertical, où la sexualité serait compartimentée, surveillée, exploitée. Une société où l’on « range » la prostitution derrière des murs plutôt que de s’attaquer à ce qui la produit. Non, la prostitution n’est pas le « plus vieux métier du monde », encore moins un « mal nécessaire ». Et non, le désir des hommes n’est pas à ce point « irrépressible » qu’il faudrait trouver « naturel » d’acheter une personne pour en jouir. La prostitution génère en tant que telle un système porteur d’une double férocité, sociale et sexuelle.

Réclamer son abolition et s’en donner les moyens n’a rien d’une utopie, puisqu’elle épouse tous les combats contre les violences et les discriminations, pour l’égalité et le droit de disposer de son corps… Seulement voilà, pas avec les fachos de l’extrême droite (pléonasme). Avec eux, bienvenue dans un monde où la peine de mort, l’excision et le viol seraient acceptés car pratiqués depuis des siècles ! Retour à un monde d’inhumanités !

 

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